mercredi 23 décembre 2020

Repentez-vous !


 

Je suis sur mon scooter, sur une voie urbaine autour de Paris. La circulation n’est pas trop dense, alors j’ai le temps de regarder par petits coups d’œil le ciel et les bâtiments qui défilent. Avant de passer sous un pont, je déchiffre un message peint en grosses lettres maladroites sur le parapet de béton : « Repentez-vous ! »

 

La formule se fiche dans mon crâne. Ce mot de « repentir », à la connotation religieuse, me déstabilise. Repentez-vous ! Qui a pu écrire ça ? En bon psychiatre, je pense à un délire mystique ou un état délirant. Mais tout de même, il a fallu de l’organisation pour arriver à peindre ces grandes lettres, dans un endroit d’accès compliqué. Alors, un prédicateur allumé, ou très motivé ? 

 

Puis je me dis que ce n’est pas la question. Après tout, le meilleur moyen de ne pas écouter les messages qu’on nous adresse, c’est de disqualifier la personne qui les délivre. Or, ce message me touche. Pourquoi ? 


Je n’ai pas l’impression d’avoir commis des actes appelant de la repentance. Pas ces temps-ci. Mais dans ma vie, si. J’ai fait du mal à tout un tas de gens. Par inconséquence et par égoïsme dans ma vie amoureuse, quand j’étais jeune. Par manque de disponibilité et par mauvaise humeur, avec des proches, du fait du stress, quand je travaillais trop. Par manque de disponibilité ou de discernement, dans tout un tas de circonstances. 


La liste est longue, et sans doute l’est-elle encore plus que je ne l’imagine, du fait de tout ce qui passe sous le radar de ma mémoire, de tout le petit mal que j’ai fait et que j’ai oublié ou méconnu. Dois-je m’en repentir ?

 

Le repentir, pour Descartes, « c’est une espèce de tristesse qui vient de ce qu’on croit avoir fait quelque mauvaise action ; et elle est très amère, parce que sa cause ne vient que de nous. Ce qui n’empêche pas néanmoins qu’elle soit fort utile » Quelques siècles plus tard, le psychologue Pierre Janet note : « Le remords se distingue du repentir, qui désigne un état d’âme plus volontaire, moins purement passif... » 

 

Mais ça commence à me mettre en danger ces histoires de repentir, il est temps que je me reconcentre sur la route : en scooter, ne pas conduire en pleine conscience, c’est mettre sa vie en danger. 

 

Le soir en m’endormant, je repense à cette histoire. J’espère que si le « Repentez-vous ! » a été écrit par quelqu’un de perturbé, il (ou elle) va mieux aujourd’hui. Je me dis que je ne devrais pas me prendre la tête pour un oui ou pour un non, pour un simple graffiti. Je me demande si ça vaut la peine de prendre le temps chaque soir, de se poser la question du mal qu’on a pu faire à autrui. Ou si s’attacher simplement à faire du bien chaque fois que possible ne suffirait pas. Les deux, sans doute ? 


Je n’ai pas la réponse. 


Alors je m’endors...



Illustration : un ciel de Paris en hiver 2020, par l'ami Ali.


PS : cet article a été publié dans le magazine Psychologies en octobre 2020.

 

 

 

vendredi 11 décembre 2020

Cauchemars et rêves d’ange



Les cauchemars, c’est l’irruption de l’angoisse dans le cocon douillet du sommeil. En tant que psychiatre, je sais que ça peut gâcher bien plus que nos nuits, nos journées aussi, et nos vies. Je me souviens par exemple d’une patiente qui ne voulait plus dormir, par peur des cauchemars qu’elle faisait chaque nuit. 


Depuis qu’elle avait eu une crise d’angoisse dans son sommeil, une véritable attaque de panique, elle faisait des rêves terribles, durant lesquels elle s’étouffait, se noyait, se faisait étrangler ou enterrer vivante : l’horreur... Alors, elle ne se mettait plus au lit, mais somnolait sur son canapé, sans jamais éteindre ni la télé ni la lumière. 

 

Heureusement pour la plupart d’entre nous, nos cauchemars ne prennent pas cette ampleur. 


Pour ma part, j’ai eu toute une période de ma vie où, je travaillais trop, où je me sentais toujours débordé, submergé, trop sollicité. Et durant cette période, je faisais très souvent des cauchemars d’empêchement : quelque chose ou quelqu’un m’empêchait de faire ce que j’avais à faire ; des gens m’empêchaient de monter dans le train que je devais prendre, des embouteillages m’empêchaient d’avancer sur le périphérique alors que j’avais un rendez-vous urgent, des barrières m’empêchaient de porter secours à mes enfants en difficulté... Ces cauchemars répétitifs d’empêchements, j’en émergeais en gesticulant et en hurlant de colère autant que d’inquiétude : je vous laisse interpréter tout ça comme vous voudrez...

 

Bon, heureusement, tous nos rêves ne sont pas des cauchemars. Il y en a aussi de simplement... étranges. 


Je me souviens d’avoir lu un jour un livre du philosophe Clément Rosset qui racontait comment, lors d’une grave dépression, il avait l’impression irréelle de faire régulièrement les rêves de quelqu’un d’autre.  Et puis, il y a des rêves pleins de charme et de poésie, où l'on croise des anges parés de leurs plumes réglementaires...

 

Des rêves où l’on rencontre des anges, c’est merveilleux et délicieux ! Mais peut-être que pour voir des anges la nuit, il faut les avoir déjà vu passer dans nos journées. Peut-être faut-il apprendre à les deviner derrière chaque petite grâce qui nous émeut, derrière chaque adversité aussi, qu’ils nous envoient comme un message ou une mise en garde. 

 

C’est le poète Christian Bobin qui nous éclaire sur le rôle de ces anges, qui est de nous aider, mais à leur manière : « L’aide véritable ne ressemble jamais à ce que nous imaginons. Ici nous recevons une gifle, là on nous tend une branche de lilas, et c’est toujours le même ange qui distribue ses faveurs. La vie est lumineuse d’être incompréhensible ».

 

Nos rêves aussi sont parfois lumineux d’être incompréhensibles. Alors, on peut se contenter de les savourer, d’en admirer la beauté et le mystère, de se souvenir d’eux, sans chercher forcément à les décrypter en force, là, tout de suite, et attendre simplement qu’ils s’éclairent un jour d’eux-mêmes ; un jour ou jamais, quelle importance ? Du moment que nous avons rêvé, le plus beau n’est-il pas déjà fait ?


Illustration : ça ressemble à un rêve, mais c'est juste l'enregistrement de beaux chants indiens, au débuts du XXème siècle...


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 22 septembre 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.


 

 

 

vendredi 4 décembre 2020

Ça, c’est vraiment toi !




« Je ne mens jamais, c’est trop difficile. Il faut sans cesse se souvenir des millions de mensonges, anti-mensonges et quasi-mensonges précédents, quel embrouillamini ! » 

 

Cet aveu n’est pas de moi, mais du génial Joseph Delteil, écrivain inspiré et oublié du siècle dernier. Pas de moi, donc, mais j’adhère totalement à ses propos ! Non seulement, le mensonge pose un problème moral, mais en plus, il est un stresseur mental : à moins d’être un pur psychopathe, on ne sent pas bien dans le mensonge, on ne vit pas bien dans les faux-semblants, ni notre esprit ni notre corps n’aiment cela. 

 

Alors, l’attitude inverse, celle qui consiste à s’efforcer de ne jamais - ou presque jamais – mentir, cela s’appelle comment ?

 

Spontanéité, sincérité, authenticité : les mots ne manquent pas, et renvoient chacun à une dimension et une nuance spécifique. 


La spontanéité suggère un mouvement naturel qu’on ne réfrène pas, une impulsion. 


La sincérité évoque plutôt une décision volontaire, un choix moral et relationnel. 


Et l’authenticité renvoie à une manière d’être plus durable et permanente, à une façon d’être soi-même à chaque instant.

 

Être soi-même, c’est quelque chose qui plait beaucoup, à notre époque, où l’on valorise plus volontiers l’authenticité que les bonnes manières, par exemple. Quelqu’un d’authentique, c’est a priori quelqu’un de sympathique, quelqu’un de rassurant, qui ne ment pas, ne triche pas, quelqu’un à qui on a envie de dire : « ça, c’est vraiment toi ! »...

 

Alors, être authentique, être vraiment soi, ce serait donc l’idéal ? Pas si simple, tout de même...

 

D’abord parce que « être soi-même », ce n’est pas sûr que ça veuille dire quelque chose de précis. Quand on l’étudie de près, on finit par se demander si le « soi » existe vraiment. En tout cas, un « soi » qui serait toujours stable et prévisible, qui correspondrait à notre personnalité et notre volonté. 


La psychologie scientifique nous montre plutôt que nous changeons sans cesse, en fonction des environnements et des circonstances. Une nuit d’insomnie, un succès, un échec, un peu d’amour ou un peu de détresse, et voilà notre « soi-même » qui n’est plus tout à fait le même...

 

Et puis, il y a un autre souci : « être soi-même », ce n’est pas une garantie de comportement adéquat. Être soi-même, c’est parfois se permettre de se montrer grognon, égoïste, borné, pessimiste, agressif, méprisant... Il y a des personnes qui sont ainsi toujours elles-mêmes, et qu’on n’a pas envie de côtoyer ou de croiser.

 

Bon, je n’insiste pas, vous m’avez compris, comme beaucoup de ce qui est humain, l’authenticité a ses bons et ses mauvais côtés.

 

Alors, pour conduire son existence, mieux vaut peut-être s’aligner non sur son ego mais sur ses idéaux... Mieux vaut peut-être s’efforcer de suivre ses valeurs plutôt qu’attendre qu’elles émergent de notre moi profond, si toutefois il existe...

 

C’est ce travail qui est intéressant, ce travail de mise en cohérence entre ce à quoi on aspire et ce qu’on est spontanément, en se levant chaque matin. Être soi-même, c’est facile. Il n’y a qu’à écouter les pubs : Be yourself, Venez comme vous êtes, etc... 


Devenir quelqu’un de bien, ça par contre, c’est du boulot de longue haleine : lâcher son égo pour mieux se rapprocher de ses idéaux, ça prend souvent une vie entière...

 


Illustration : il y a des moments dans la vie où l'on n'est pas vraiment soi...


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 8 septembre 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.


 

 

 

 

 

 

mardi 24 novembre 2020

une histoire d'amour et de mort




 

C’est l’histoire d’une dame de 80 ans, qui vit toute seule à la campagne. Son mari est mort il y a... longtemps ; ils s’étaient un peu aimés puis beaucoup disputés. 


Mais elle ne se résout pas à rester veuve. Alors, elle s’achète un ordinateur et s’inscrit sur des sites de rencontre pour personnes de son âge. Et un jour elle tombe sur un monsieur de 90 ans, veuf lui aussi. 


C’est le coup de foudre : ils font connaissance, ils se découvrent, deviennent complices, se promènent, chantent tous les deux des chansons de leur jeunesse ; ils s’attachent...

 

Leurs relations ne sont pas toujours faciles, il y a des disputes, des portes claquées, et toujours, à la fin, des réconciliations. Malgré leur âge, ils sont comme des adolescents, remués et bousculés par des émotions qu’ils avaient oubliées, qu’ils ne comprennent pas toujours, qu’ils ne contrôlent pas toujours. 


Mais toujours le cœur battant, à chaque fois qu’ils se retrouvent, et leur histoire d’amour est comme un dernier arc-en-ciel dans leurs vies....

 

Ils savent bien qu’ils sont âgés, et que l’avenir ne leur appartient plus tout à fait. Mais ils savourent toutes ces fleurs qui déboulent dans leur quotidien, après tant de claques reçues... Ils savourent d’autant plus qu’ils sont loin l’un de l’autre : elle habite à Toulouse, il habite à Nantes. 


Ils doivent, pour se voir, prendre des trains, subir de longs trajets, qui les épuisent. Ils parlent parfois de vivre ensemble, mais ils sont trop enracinés dans leurs écosystèmes : leurs maisons, leurs chiens, leurs chats, leurs voisins, les oiseaux de leurs jardins... Alors ils se téléphonent beaucoup.

 

Un jour, la dame ne répond plus, ni au téléphone ni aux lettres envoyées, pendant des jours et des semaines. Et le monsieur apprend que sa bien-aimée est morte. Bouleversé, il meurt, lui aussi, un an après. 


On retrouvera, chez elle et chez lui, des poèmes d’amour qu’il lui écrivait, drôles et légers, habités par l’enfance et la grâce. Un de ces poèmes, qui parle de leur amour et de la distance qui les séparaient, sera lu à l’enterrement du monsieur. Et tout le monde se mettra à pleurer, parce que c’est beau et triste à la fois, ces histoires d’amour empêchées, même à 90 ans.

 

Aimer, c’est s’attacher. On s’attache parfois par nécessité, par fragilité ; mais quand l’attachement est heureux et réciproque, on y gagne en liberté et en joie d’exister. 

 

Aristote enseigne qu’« Aimer, c’est se réjouir ». Spinoza ajoute que « L’amour est une joie qu’accompagne une cause extérieure ». Et voilà l’équation : Aristote + Spinoza = « Aimer, c’est se réjouir que l’autre existe ». 

 

Vous pouvez l’apprendre par cœur, elle vous servira toute votre vie...


 

Illustration : le balcon de la maison de Juliette, à Vérone, sous lequel Roméo venait, peut-être, soupirer et lui envoyer des baisers...


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 25 août 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.



 

vendredi 13 novembre 2020

On n’est pas fatigués !



 

On se plaint souvent de la fatigue, mais il ne faut pas oublier qu’elle a aussi des avantages. Elle est comme la douleur, un signal d’alarme nous avertissant d’un problème en cours. 


Au départ, la fatigue est là pour nous aider. Nous aider, par exemple, à réguler nos comportements : en nous rappelant que nos réserves d’énergie sont épuisées ou que nos capacités sont dépassées, elle nous empêche alors d'aller au-delà de nos forces. La fatigue nous avertit que l’heure du repos et de la récupération est arrivée !

 

Ça, c’est pour notre fatigue à nous. Et puis il y a la fatigue des autres. Parfois, nous aimerions bien que certains autres soient un peu plus fatigués ! Nos enfants, par exemple, quand ils sont petits, et que, le soir venu, leur énervement masque leur fatigue. Ou nos voisins, notamment lorsqu’ils font du bruit : vivement qu’ils se fatiguent ! 


Autrefois, si quelqu'un qui se sentait heureux avait envie de chanter ou de faire de la musique avec un instrument, bien sûr ça cassait un peu les oreilles de l’entourage ; mais au bout d'un moment, le chanteur ou le musicien, fatigué, s'arrêtait. Et les voisins pouvaient souffler. La grande vertu de la fatigue, c’est qu’elle fatigue ! Et que quand on est fatigué, on arrête...

 

Ça, c’était autrefois ; parce qu'aujourd'hui, le souci, c'est la technologie, venue à notre secours pour alléger notre fatigue et repousser nos limites. Alors, si quelqu'un se sent très heureux, au lieu de chanter ou de gratter sa guitare, il peut mettre sa sono, à fond, pendant des heures. La sono ne se fatigue jamais, elle. Et plus c’est fort, plus ça excite, et plus ça efface la fatigue... 


Ah oui, la fatigue a parfois du bon !

 

Et puis, elle en dit long sur la condition humaine, et sur la manière dont chaque personne traverse l’existence : entre les toujours-fatigué(e)s et les jamais-fatigué(e)s, les fatigué(e)s du corps et ceux de l’esprit, ceux qui l’écoutent et ceux qui la refusent...

 

Nous l’avons dit, la fatigue est une conséquence naturelle de toute forme d’action. C’est facile à comprendre pour les actions du corps. Parfois plus subtil pour les actions de l’esprit. 

 

Pourtant notre cerveau lui aussi a ses limites. Réfléchir fatigue, faire attention fatigue, stresser fatigue, passer son temps sur les écrans fatigue... D’où l’étrange apaisement obtenu par la pratique de la méditation de pleine conscience, qui nous réapprend, finalement, à ne rien faire, et à offrir enfin du repos à notre cerveau...

 

L’intelligence de soi qu’apporte la méditation débouche aussi sur une intelligence de la fatigue, un art de l’écouter. Mais pas trop, tout de même, comme le rappelle Proust : « Dans la fatigue la plus réelle, il y a, surtout chez les gens nerveux, une part qui dépend de l’attention et qui ne se conserve que par la mémoire. On est subitement las dès qu’on craint de l’être, et pour se remettre de sa fatigue, il suffit de l’oublier. » 

 

Il en est de la fatigue comme de toutes les adversités : certaines sont à ignorer, d’autres à écouter. Et d’ailleurs... Mais non : je sens que vous êtes fatigués de me lire, je m’arrête ! 


Illustration : une amende pour la prochaine fois que je me plaindrai d'être fatigué (mieux vaut alors me reposer)...

PS : cet article est inspiré de ma chronique 
du 13 octobre 2020dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.



 

 


lundi 19 octobre 2020

Les orteils de la mort




Dans son dernier roman, Emmanuel Carrère rapporte ces mots, extraits d’une lettre d’un petit garçon de 8 ans à sa grand-mère : « Je ne suis pas encore mort...  Je continue à ne pas mourir. » Il ne dit pas : « je continue de vivre, je suis toujours en vie... » mais : « je continue à ne pas mourir... »

 

Le petit garçon sait pourquoi il écrit cela : lui et sa famille sont pris dans les grandes purges soviétiques de 1936, durant lesquelles Staline, tout à son délire paranoïaque, envoya des millions de ses concitoyens à la mort et au goulag. Le danger de mort était présent chaque jour. La mort était partout et il n’y avait plus de place pour la vie, juste pour la survie.

 

Mais cela est aussi vrai à tout instant de toute vie : la mort est toujours proche, toujours possible. Elle est comme un invité indésirable, qui se cache derrière les rideaux du salon pendant que nous sommes occupés à nos petites allées et venues : si on regardait mieux, on verrait toujours le bout de ses pieds qui dépassent.

 

Mais vivre en songeant à la mort, à chaque instant, c’est trop difficile, trop angoissant. Alors nous absorbons des philtres d’oubli, nous nous lançons dans tout un tas d’actions utiles ou de distractions futiles, pour tenir ces pensées à distance.

 

Jusqu’au jour où la mort nous rattrape, nous prend dans ses mâchoires, nous secoue... et parfois nous relâche, au lieu de nous avaler : un accident dont on réchappe, une maladie dont on guérit... Ou bien, c’est un proche qui meurt, que la mort garde entre ses crocs et emporte au loin...


La mort est entrée pour toujours dans ma vie quand j’ai perdu mon meilleur ami, alors que j’étais étudiant. Depuis, je sais qu’elle est là, fidèle, tranquille, à mes côtés. Sa présence me rend service. 

 

Lorsque je monte sur mon scooter, elle s’installe derrière moi, sur la selle, et pose ses mains sur mes épaules. Alors, je sais que je peux mourir à chaque trajet. Je sais que lorsque je roule sur le périphérique parisien, je suis comme une antilope qui galope entre des éléphants et des rhinocéros : s’ils font un écart, je suis mort. C’est comme ça. 

 

Mais je crois aussi que me rappeler cela avant de partir m’aide à ne pas oublier ma fragilité : et mon boulot va consister alors à rester hypervigilant en conduisant, mais sans me crisper. Puis, en descendant de mon scooter, je débranche mon logiciel « conscience de la mort », et je me tourne vers la vie. 

 

Année après année, ce système s’est perfectionné. Il ne s’est sans doute pas passé une journée sans que je ne pense à la mort. Et pas une journée sans que je ne m’efforce de me rappeler que j’étais encore en vie. 

 

Comme le dit Jon Kabat-Zinn, mon maître de méditation : « Tant que vous continuez de respirer, c’est qu’il y a dans votre vie plus de choses qui vont bien que de choses qui vont mal. »

 

C’est cette troisième voie, et elle seule, entre déni et obsession de la mort, qui peut rendre notre vie heureuse et lucide. Allez, je vous souhaite une belle journée. Continuez de respirer. Continuez, s’il vous plait, de ne pas mourir. Et n’oubliez pas : de votre mieux, aimez la vie tant qu’elle est là.



Illustration : ce qu'on voit quand on baisse la tête, lors d'un enterrement, pour cacher nos larmes...

PS : cet article est inspiré de ma chronique 
du 6 octobre 2020dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.



 

 

vendredi 9 octobre 2020

Méditation : un art de la sensibilité



De l’extérieur, méditer cela ressemble à réfléchir les yeux fermés. De l’intérieur, c’est tout autre chose : c’est faire un grand usage du corps, de la sensorialité, de la sensibilité.

 

Lorsqu’on médite, on arrête actions et distractions, pour se rendre présent, à soi et au monde, pour prendre pleinement conscience de ce qui se passe, en nous et autour de nous. On laisse filer les réflexions pour se tourner vers les sensations : souffle, corps, sons, odeurs, lumières... On ouvre grands les portes de la sensibilité, que l’on dépouille de ses défenses : les pensées, les explications, les rationalisations... On laisse parler la sensibilité nue.

 

Certains hypersensibles ont parfois du mal avec cela : ils craignent d’ouvrir une boîte de Pandore, ils ont peur - les anxieux et les paniqueurs surtout - que le flot de leurs émotions et de leurs sensations ne les submerge. Puis ils comprennent, ils apprivoisent ce voyage intérieur, ils découvrent le mode d’emploi de cette visite à soi-même et à ses ressentis que représente chaque séance de méditation. Ils éprouvent surtout ce que cela peut leur apporter : rester sensibles, mais mieux sensibles.

 

Les études de neuro-imagerie montrent ceci : méditer ne rend pas insensible et impassible, ne fournit pas une zénitude blindée, à l’épreuve de toute adversité. Dans le cerveau des méditants, la perception de la douleur est toujours là, les émotions sont toujours là, la tristesse, s’il y a lieu d’être triste, est toujours là. 


Mais il n’y a pas d’embrasement, pas d’affolement, pas d’anticipations avant, pas de ruminations ensuite : la méditation diminue la « réactivité cognitive », elle atténue les réactions mentales aux émotions, mais pas les émotions elles-mêmes. Car le problème, ce sont les pensées, pas la sensibilité. La méditation permet de vivre pleinement sa sensibilité, mais sans ses excès, sans la fragilité, en quelque sorte.

 

On ne médite pas pour se couper du monde, mais pour mieux se relier à lui. On ne médite pas pour se blinder mais pour s’ouvrir. C’est pour cela que la méditation est un merveilleux outil pour les hypersensibles : sans rien renier de leur sensibilité, ils y apprennent à en alléger la part douloureuse et parfois handicapante.

 

L’hypersensibilité, c’est la capacité de se relier au monde si fortement qu’on peut en souffrir. C’est l’incapacité à pouvoir filtrer ou écarter. Ou bien, formulé autrement, c’est la capacité de ne rien pouvoir filtrer ni écarter. Mieux encore : le don de ne rien pouvoir filtrer ni écarter : odeurs, sons, lumières, paroles, gestes, tout nous touche alors, tout entre, tout bouscule. Et tout nous nourrit, nous grandit et nous inspire.

 

Les hyposensibles évoluent dans un monde pauvre et sans subtilité, où ce qui les touche et les alerte est forcément visible, bruyant et agité : c’est la vie à coups de marteau. 


Les hypersensibles sont réceptifs aux signaux faibles du monde : sensibles à tout ce qui annonce que la pluie va bientôt tomber, et sensibles à tout ce qui reste de son passage une fois le soleil revenu. 


Dans quel monde préférons-nous vivre ?



Illustration : un hypersensible coincé dans une conversation qui l'oppresse (Types parisiens, par Daumier).


PS : cet article est paru dans la revue Chemins en avril 2020.


mardi 29 septembre 2020

Nos enfants nous font grandir


 

Nous ne restons jamais les mêmes : l’humain que nous étions il y a 5 ou 10 ans n’est plus tout à fait celui que nous sommes aujourd’hui. La vie nous façonne. Les événements heureux nous donnent joie et énergie pour nous lancer dans de nouveaux projets, qui vont nous transformer. Les événements douloureux nous contraignent à nous arrêter pour comprendre, réfléchir, et voir comment changer. De notre mieux, nous nous nourrissons ainsi des coups et des caresses de la vie.

 

Mais, à mieux y regarder, on découvre que la plupart des événements qui dessinent notre existence sont à la fois agréables et contraignants : les études, le travail, la vie de couple. Et la parentalité...

 

Être parent, c’est à la fois agréable parce qu’émouvant, intéressant, réjouissant. Et à la fois pénible parce que fatigant, déstabilisant, contraignant. Certes, on regrette rarement d’avoir été parent : avec le recul, c’est toujours une belle aventure. Mais la parentalité au jour le jour, c’est une autre histoire, qui nous arrache souvent des soupirs et parfois des larmes. C’est peut-être pour cela que certains futurs papas se font un peu forcer la main par les futures mamans...


Pour ma part - et il me semble que c’est vrai aussi pour beaucoup de papas - la paternité est l’événement de ma vie qui m’a le plus transformé, le plus contraint à progresser, et le plus enrichi.

 

Lorsqu’on est parent, on traverse, entre autres, deux grands moments : le premier est celui où l’on sent que nos enfants, en grandissant, commencent à nous juger. Le moment où, nous observant, ils découvrent nos limites et nos défauts. Nous souhaitons bien sûr ne jamais les décevoir ; et bien sûr, nous les décevrons. Au moins une fois. Au moins de temps en temps. L’essentiel est de ne pas les décevoir constamment. Premier aiguillon pour la transformation...

 

Et puis, autre moment clé : celui où nous comprenons que nos enfants nous sont supérieurs, dans différents domaines et parfois dans tous les domaines ! Le moment où nous découvrons que nous pouvons apprendre d’eux, de leur intelligence, de leur générosité, de leur enthousiasme. Le moment où leur supériorité nous réjouit, et où nous avons l’humilité de nous mettre à leur école. Deuxième aiguillon de transformation parentale...

 

Finalement, c’est souvent comme ça, dans la vie : nous croyons donner, et nous recevons. Nous pensons éduquer, et nous sommes éduqués. Nous n’avons qu’à faire l’effort de suivre ce mouvement, décrit par le philosophe André Comte-Sponville : « Les enfants veulent grandir. Notre devoir est de les y aider, et pour cela, de grandir nous-même, au moins par l’esprit... »

 

Moralité : ne vous demandez pas seulement comment vous allez éduquer vos enfants, demandez-vous aussi comment eux vont vous éduquer... 


 Illustration : "Hey, papa et maman, vous avez vu comme je sais tourner ma tête à l'envers !"


 PS : En écrivant cette chronique, je pense aussi à celles et ceux qui n’ont pas eu d’enfants. Qui n’ont pas pu, ou pas voulu devenir parents. Pour elles et pour eux, changer, se transformer sera peut-être plus confortable, car ils pourront décider de leur voie, de leur rythme. Mais le risque de ne pas changer sera aussi plus grand, car ils n’y seront pas contraints par la présence constante, dérangeante et stimulante des enfants. Efforts contraints ou efforts choisis, dans tous les cas, nous avons à travailler pour progresser !



vendredi 18 septembre 2020

N'applaudissez pas (trop) les conférenciers !




Je me trouvais l’autre jour au concert d’un ami pianiste. Comme d’habitude, à la fin, j’assiste à l’étrange rituel des rappels : lorsque tout est terminé, il est d’usage d’applaudir de manière à faire revenir l’artiste saluer le public, et ce, plusieurs fois ; c’est la même chose au théâtre. Je comprends bien le côté sympathique qu’il y a à marquer son contentement : les rappels sont alors comme la preuve que les spectateurs ont apprécié la performance offerte. 

Mais outre le côté systématique (je n’ai jamais vu un public ne pas rappeler) qui démonétise la sincérité du rappel, outre le côté « on veut du rab, on veut un petit morceau de musique supplémentaire en guise de bonus », c’est oublier aussi qu’à ce moment, l’artiste est épuisé, et n’a qu’une envie : partir se reposer !

Je me suis toujours demandé ce qui le retenait de ne revenir qu’une seule fois sur scène et de dire : « Merci beaucoup, je suis très touché par votre gentillesse, et très heureux que le concert vous ait plu. Mais maintenant, je suis crevé et je n’ai qu’une envie : aller me coucher ! Je vous souhaite maintenant une belle soirée ! ». Et hop ! Le rideau retombe, les lumières se rallument, et c’est terminé.

Bon, enfin, je ne suis pas artiste, ni musicien ni acteur ! Juste conférencier, et c’est nettement moins stressant : j’ai le droit de bafouiller,  d’avoir un trou de mémoire, de dire un mot à la place de l’autre, ce que ne peuvent en théorie pas faire les interprètes en musique ou au théâtre. Mais - vous allez me trouver bien grincheux - j’ai aussi un souci avec les applaudissements excessifs ! 

Récemment, je participais à une grande journée de conférences. À la fin de l’après-midi, tous les intervenants de la journée sont réunis pour une table ronde, et pour faire une sorte de bilan. 

Et là, un truc agaçant survient : le public se met à applaudir à presque chaque phrase des premiers intervenants (qui en font peut-être un peu trop dans le registre des bonnes paroles que tout le monde a envie d’entendre, ou des bonnes blagues qui détendent après une dure journée). 

Comme je suis sans doute un peu fatigué, ça m’agace plus que d’habitude, et lorsque mon tour de parler arrive, je demande à ce qu’on n’applaudisse pas tout le temps comme ça. Du coup, ça jette un petit froid dans la salle !

Mais je ne regrette pas ma sortie : ces applaudissements trop systématiques rendent les conférenciers cabotins ; je pense que ça nous pousse, même inconsciemment, à trouver de bons mots, à délivrer de bonnes paroles, celles que le public attend, et pas celles qui pourraient le déranger ou le réveiller. 

Ça fait ressembler les conférences à des plateaux télévisés, où le public est sollicité pour applaudir sans arrêt ; ou à des réseaux sociaux où on ne retrouve que des gens qui pensent la même chose.

La psychologie mérite mieux que ça, non ?


Illustration : applaudissements à l'Opéra...

PS : cet article a été publié dans Psychologies Magazine en février 2020

PPS : et c'était donc avant le Covid, et avant le touchant rituel des applaudissements aux soignants tous les soirs à 20h ; à propos de ce dernier, rien à critiquer, évidemment...


vendredi 11 septembre 2020

Calmologie





Ça se passe au début de l’épidémie de coronavirus du printemps 2020. Comme nombre de mes consœurs et confrères, on me sollicite beaucoup pour recueillir mon avis de psy : comment réagir à la peur du virus, au confinement, etc.

Un soir, je suis donc invité au Journal Télévisé de 20h sur France 2, à la grand-messe de l’info. Je suis chez moi, confinement oblige, en chaussettes, à mon bureau, devant l’écran de mon ordinateur. Nous avons fait des tests dans l’après-midi, et je suis en ligne un peu avant le début du journal. J’assiste donc à tout son déroulement, ce que je ne fais pas d’habitude : en bon anxieux qui se soigne, je préfère lire les infos, à mon rythme, à mon moment et à ma dose, ou les écouter à la radio, pour être moins influencé par l’émotion et la manipulation des images. Bref, c’est une expérience inhabituelle.

Je n’interviens qu’à la fin du journal : normal, on parle d’abord des nouvelles vitales et importantes. Du coup, j’assiste à 35 mn angoissantes, avant mon intervention de 5 mn à la fin. Je fais de mon mieux pour expliquer qu’il ne faut pas éteindre la peur mais l’écouter sans s’y soumettre, que nous avons à la transformer en prudence (continuer d’avancer) et non en panique (tout bloquer, tout arrêter). Avec l’impression de répéter toujours les mêmes bons conseils, évidents ; mais je me dis que là, je parle à des personnes qui ne lisent pas de livres ou de magazines de psychologie.

Une fois le JT terminé, je réfléchis à la logique de ce type d'information : après 38 mn à inoculer des inquiétudes, on s’efforce de calmer l’incendie émotionnel. Les paroles qui apaisent après les images qui effraient. Le calmologue après les virologues...

Du coup, je me pose des questions sur mon rôle dans ces moments, sur celui de la psychologie positive. Qui n’est pas de tout positiver, mais d’équilibrer le négatif avec du positif. 

Exemple : quand je croise des gens dans la rue, je m’écarte d’eux, c’est un geste barrière, mais négatif ; alors, en même temps, je les regarde, je leur souris, je leur dis bonjour, c’est un geste fraternel, positif. Pas question non plus que la psychologie positive nous pousse à vouloir minimiser ou oublier le danger. Mais elle peut nous aider à trouver les ressources pour l’affronter : faire vivre en nous la conscience que la vie est belle, et y puiser de la motivation pour tenir, de l’énergie pour agir, car on sait que ça vaut la peine ! 

J’ai faite mienne cette phrase de Paul Claudel : « Le bonheur n’est pas le but mais le moyen de la vie ». Le moyen, c’est-à-dire que sans le bonheur, on n’a plus les moyens de vivre, on n’a plus l’énergie pour affronter les difficultés de toute vie humaine, et encore moins celle des moments de crise. 

Le bonheur – sa présence, son souvenir, son espérance - n’est pas un luxe mais une nécessité. Surtout dans l’adversité.


Illustration : beaucoup de tempêtes à affronter en ce moment, tout autour de nous mais aussi dans nos têtes...

PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies en juin 2020.

PPS : et malheureusement, il reste d'actualité en cette rentrée.




mercredi 1 juillet 2020

Bel été






Jules Renard, dans son Journal le 22 avril 1899 : 

" Sors, va ! Promène-toi ! Le beau temps perdu ne se retrouve jamais. "

Je vous souhaite de pouvoir vous promener beaucoup cet été, de  renifler, savourer, admirer, vous réjouir chaque jour du plaisir simple d'être en vie, et d'habiter de toutes vos forces chaque instant de votre vie.

Merci pour votre fidélité, on se retrouve à la rentrée...




vendredi 26 juin 2020

Mal regardés et mal aimés...




C’est un souvenir d’enfance. Je dois avoir 6 ans, un petit cirque s’est arrêté dans notre village, alors toute la classe s’y retrouve, un après-midi après l’école. Un des numéros est animé par un monsieur vaguement déguisé en clown : il marche en jouant de la trompette, et un petit chien trottine entre ses jambes, zigzaguant entre chaque pas pour l’éviter.

À un moment, l’un des deux fait une mauvaise manœuvre, et le gros soulier du clown écrase la patte du petit chien, qui pousse un cri de douleur et s’arrête net, comme s’il s’apprêtait à être battu. J’ai tout oublié du spectacle, sauf la douleur et la peur du petit chien.

Autre souvenir, de ma vie étudiante cette fois. Je suis dans l’épicerie en bas de chez moi, à Toulouse. Je cherche un truc à manger pas trop cher pour mon sandwich. Et je découvre, à côté du pâté Hénaff que je viens de choisir, que certaines boîtes de nourriture chic pour chat (la marque s’appellait Sheba, je m’en souviens), que certaines de ces boîtes de pâté pour chat, donc, valent plus cher que celles de pâté pour hommes...

C’est comme ça, la vie. Certains y reçoivent beaucoup d’amour, peut-être trop, comme le chat de luxe toulousain. Et d’autres, pas assez, comme le petit chien du cirque ; ou comme certains humains...

Avec les humains, c’est compliqué ces histoires d’amour. Les animaux, finalement, on peut se contenter de leur foutre la paix, de les laisser vivre leur vie ; les animaux sauvages, du moins ; laissons-les tranquilles et ils seront heureux. Les animaux domestiques, c’est simple, aussi : ne pas les maltraiter, leur donner tous les jours nourriture, attention, affection, et ça roule. 

Les humains, c’est plus complexe : ils peuvent ne pas avoir été assez aimés, ou l’avoir trop été, ils peuvent ne pas savoir accueillir l’amour qu’on leur offre, ou ne pas savoir en donner...

Ce qui est sûr, qu’ils soient avec l’amour chanceux ou malchanceux, adroits ou maladroits, c’est que sans l’amour, les humains souffrent et s’asphyxient. Je parle de l’amour au sens large : reconnaissance, accueil, écoute, bienveillance, estime, tendresse, confiance, etc.

Tous ces sentiments qui nous font sentir qu’on a une place dans le cœur des autres. Nous devons recevoir chaque jour notre portion d’amour : chaque bonjour, chaque sourire, chaque confidence, chaque compliment, chaque geste tendre ou amical... représente un nutriment d’affection. 

Mais certains d’entre nous n’ont pas leur dose, certains ne reçoivent pas ce minimum vital et quotidien de signes fraternels de la part de leurs semblables. Il y a plein d’humains mal aimés : ceux qu’on oublie, qu’on néglige, qu’on ignore ; ceux qu’on ne comprend pas, qu’on n’écoute pas ; ceux qu’on maltraite, qu’on rejette...

Chaque rencontre avec un humain, surtout avec ces humains-là, peut être un acte d’amour. Et un acte d’amour, même sous sa forme la plus légère, sous la forme d’une attention sincère prêtée un instant à autrui, c’est une journée, ou une vie, de sauvée. C’est Christian Bobin qui écrivait : « La certitude d’avoir été, un jour, une fois, aimé – et c’est l’envol définitif du cœur dans la lumière. »

N’ayez pas peur : je ne vous demande pas de sauter au cou de tout le monde. Je ne vous demande pas de vous aimer les uns les autres ; d’autres l’ont fait avant moi, et mieux. Mais juste de vous regarder les uns les autres.

De relever la tête de vos écrans, dans les lieux publics, de regarder vos semblables, de regarder celles et ceux qui ont l’air tristes, et de leur sourire, vite fait, sans insister. 

Vous venez peut-être de leur sauver la vie ; et vous venez sûrement, de sauver leur journée...


Illustration : "OK, on vous aime et vous nous aimez, mais franchement, vous n'en avez pas marre de nous faire jouer aux clowns pour faire rire vos amis ?"

PS : cet article est inspiré de ma chronique 
du 23 juin 2020dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.