vendredi 18 mai 2018

Trop de psy dans nos vies ?


Certains pensent qu’il y a trop de psychologie dans nos vies. Parfois, ce sont des psys eux-mêmes qui disent ça, les pédo-psys par exemple : ils constatent que beaucoup d’enfants qu’on leur envoie n’ont pas véritablement de problèmes psychologiques mais simplement des problèmes éducatifs : on ne leur a pas appris la frustration, on ne leur a pas dit assez non, on les a beaucoup aimés mais assez peu éduqués…

Et puis, d’autres disent que c‘est l’inverse, et qu’il n’y a pas assez de psychologie dans nos vies. Que si dans notre vie de couple, en famille, au travail, nous avions appris à mieux nous écouter, mieux nous parler, mieux nous comprendre et nous respecter, il y aurait moins de conflits et moins de souffrances.

Peut-être ne parle-t-on pas de la même chose, d’ailleurs, quand on parle du « trop de psy » : est-ce trop de recours à la psychothérapie (envoyer ses enfants ou son conjoint chez le psy dès qu’il nous dérange ou se plaint) ? Ou est-ce, plus largement, de trop avoir recours à la psychologie pour comprendre et améliorer notre vie ?

Sur ce dernier point, pas mal de gens pensent, effectivement, que bon sens et bonne humeur devraient suffire pour bien conduire une vie humaine…

C’est une façon de voir les choses qui se défend, mais ça ne marche pas pour tout le monde, et ça ne satisfait pas non plus tout le monde. D’où pour certaines personnes, l’envie d’un peu de psy, car tout ne se résout pas en trinquant et en chantant…

De toute façon, nous autres occidentaux vivons dans des sociétés de pléthores, où il y a globalement trop de tout. Regardez chez vous et autour de vous : trop de nourriture, trop de fringues, trop d’objets inutiles, trop d’informations, trop de tentations… Le « trop de psy » n’est peut-être pas le pire des « trop de » que nous ayons à affronter !

Et puis, ce sentiment de « trop de psy », c’est peut-être un bon signe, le signe que nous avons satisfait nos autres besoins fondamentaux.

Vous connaissez la fameuse pyramide de Maslow, cette loi psychologique qui explique qu’il existe une hiérarchie de nos besoins, et qu’ils ne peuvent survenir que les uns après les autres. Il y a d’abord les besoins liés à notre survie : manger, boire, dormir ; lorsqu’ils sont satisfaits, peuvent alors émerger les besoins liés à notre sécurité : pouvoir vivre en paix, dans des environnements sans danger ; puis viennent les  besoins d’appartenance, besoins d’amour, d’amitié, de solidarité…

Et c’est seulement lorsque tous ces besoins fondamentaux sont satisfaits qu’on accède à des besoins plus spécifiquement psychologiques : besoin d’estime de soi, d’autonomie, de réalisation de soi, de transcendance…

Une société où on se pose la question du « trop de psy » c’est donc une société qui, a priori, et pour la majorité de ses citoyens, a réussi à répondre à tous les besoins plus fondamentaux (nourriture, logement et citoyenneté). Plutôt réjouissant.

Mais nous sommes d’accord : ce n’est pas une raison pour envoyer tout le monde sur le divan ! Éduquons nos enfants, sans déléguer ça aux écrans ou aux psys. Écoutons nos proches et exprimons-leur nos émotions. Parlons-nous les uns les autres, entre voisins et entre inconnus. Engageons-nous, militons, votons…

Rendons à la psy ce qui relève de la psy, et à la vie ce qui relève de la vie. On y verra déjà un peu plus clair !

Et au fait, vous, est-ce que vous avez tendance à parler trop souvent de psychologie ?

Illustration : tout de même, un bon psy, ça fait du bien rien que quand on le voit nous attendre sur le pas de sa porte...

PS : ce texte reprend ma chronique du 8 mai 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. 






lundi 14 mai 2018

La charge mentale



Au départ, nous les humains, nous sommes des chanceux : nous avons un chouette cerveau qui peut nous aider à voyager dans le temps et l’espace. Nous aider par exemple à anticiper : à rêver de nos prochaines vacances, à faire des projets pour notre retraite, à savourer le futur par avance, à mieux le préparer…

Mais ces mêmes capacités d’anticipation et de planification, situées dans notre cortex préfrontal, ces capacités organisatrices si précieuses peuvent déraper, et se transformer en moteurs à anxiété, en fabriques d’inquiétude. Ces capacités à nous projeter plus tard ou ailleurs peuvent faire qu’on n’est jamais totalement présent à l’instant, qu’il s’agisse de loisirs : on est dimanche mais on pense au lundi ; ou de travail : on est au bureau mais on pense aux courses à faire en sortant ; on pense par exemple à ne pas oublier d’acheter des cornichons, de la moutarde, du pain et tout ça…

C’est ce qu’on appelle en psychologie expérimentale « l’effet Zeigarnik », du nom de la chercheuse russe Bluma Zeigarnik. Celle-ci a montré, dès les années 1920, que toutes les tâches que nous n’avons pas eu le temps de terminer nous restent davantage en tête que celles que nous avons pu achever. Elles nous restent en tête, et donc nous tourmentent un peu, nous mettent la pression, nous démangent, nous poussent vers l’action… Car faire soulage ! Boucler un dossier, clore une action, ça fait baisser la tension mentale.

Le problème évidemment, c’est quand on a plein de choses à faire : alors, la liste de ces choses à faire, et donc pas encore faites, reste bien au chaud dans notre tête, mais elle n’y reste pas calmement, elle nous met la pression, insidieusement. C’est ça, la charge mentale : devoir héberger à notre esprit toutes les listes remuantes de ce que nous n’avons pas encore eu le temps de faire.

Et la charge mentale, c’est aussi savoir, au fond de nous, que nous n’aurons jamais assez de temps pour toutes les faire, ces choses, ou du moins pour toutes les faire tranquillement, calmement, comme il faudrait. Il va falloir accélérer,  il va falloir speeder, il va falloir, surtout, ne pas se reposer, ne pas perdre de temps… C’est là que les ennuis commencent.

Il est alors urgent de pratiquer l’exercice du canapé !

Le soir, en rentrant chez soi, on commence par s’asseoir dans le canapé, pour respirer, se détendre, tranquille, ne rien faire pendant 5 mn ; non, plutôt 10 mn, allez, tant qu’on y est ! Évidemment, à peine assis, on est attaqué de tous les côtés ; attaqués par nos pensées, nos propres pensées, les pensées sur les choses à faire : « quoi ? comment ? tu te poses un instant ? alors que tu n’as pas fait les courses, pas acheté les cornichons ? pas rangé la maison,  alors que des amis viennent dîner ? pas commencé à préparer le repas ? pas terminé de répondre à tes mails de boulot ? pas téléphoné à ta copine qui vient de divorcer ? pas vérifié que les enfants étaient bien sur leurs devoirs et pas sur leurs écrans ? »

Là, on s’aperçoit qu’on s’est déjà remis debout pour agir, pour cocher des trucs sur la liste des choses à faire. Alors, on dit NON, et on reste dans l’exercice : on se rassied et on respire, juste ça, respirer. Les pensées attaquent encore ? On leur redit NON, et on leur explique : « non, c’est bon, j’ai compris ! J’aurai toujours des choses à faire, même sans jamais dormir, sans jamais me reposer. Alors là, j’ai décidé de faire une chose encore plus importante : prendre soin de moi, me reposer, souffler. Tout le reste, n’importe qui peut le faire à ma place : ranger, nettoyer, travailler ; quand je serai mort ou malade, d’autres le feront. Mais me poser et me reposer, il n’y a que moi qui puisse le faire. Et c’est maintenant, tant que je suis vivant… »

Voilà, à partir de désormais, grâce à cette chronique, ce sera comme ça tous les soirs, on fera l’exercice du canapé ! La charge mentale n’a qu’à bien se tenir !

Et, vous, qui appréciez la psychologie puisque vous fréquentez ces pages, vous la ressentez cette charge mentale ? De temps en temps ? Ou tout le temps ? Et d’ailleurs, vous avez un canapé chez vous ?

Illustration : " Et halte aussi à la charge mentale !"

PS : ce texte reprend ma chronique du 10 avril 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. 

mercredi 9 mai 2018

Pourquoi tant de peurs ?


L'autre jour, je me demandais quelles étaient les dernières fois où j’avais vraiment ressenti de la peur ?

Pas de l’anxiété, qui est la forme de peur associée à un danger possible ou approchant, non, de la peur, la peeeeeeur !... la vraie, celle qui déboule violemment dans notre corps et notre esprit lorsque le danger est là, le danger pour de vrai, et pas seulement comme une virtualité ! Ce n’est pas si fréquent que ça dans nos vies, la vraie peur.

Pour moi, je me souviens, j’ai senti sa morsure lors d’un accident de rafting, quand notre embarcation s’était renversée et que nous étions tous passés à deux doigts de la noyade, coincés dans l’eau glacée entre courant violent et énormes rochers ; je l’ai sentie aussi lors d’un vol agité en parapente où tout mon corps se raidissait de frayeur à chaque fois que je regardais en dessous de moi (ma prof de parapente d’alors est morte dans un accident 2 ans après) ; ou encore lors d’une bagarre de rue imprévue avec des inconnus louches et équipés comme il fallait pour me tuer… Mais à part ça, pas grand-chose, finalement.

Ressentir la vraie, la grande peur, face à un risque mortel, ce n’est pas si fréquent, donc, et tant mieux. En tout cas, ce n’est pas fréquent pour nous autres, occidentaux du XXIe siècle, ayant la chance immense de vivre dans un pays démocratique en paix. Par contre, les anxiétés et les inquiétudes, toutes ces petites peurs du quotidien, j’en ai chaque jour, et plusieurs fois par jour même. Mais je ne suis pas seul dans ce cas, et j’ai l’impression qu’un paquet d’humains sont comme moi, même les plus souriants et détendus en apparence, de véritables sacs à peurs

C’est vrai que si on utilise le mot peur pour désigner toutes nos inquiétudes, alors on a tout le temps de quoi avoir peur : peur de ne pas s’endormir, peur de ne pas se réveiller à l’heure, peur de tomber malade, peur de REtomber malade, peur de décevoir, peur de faire du mal sans le vouloir, peur d’échouer, peur de ne pas y arriver, peur de vexer ceux qui n’y arrivent pas si nous on y arrive, peur de ne pas être assez généreux, peur de se faire bouffer par les autres…

Nous avons peur parce que la vie n’est pas facile, parce que nous y rencontrons beaucoup d’adversités, grandes et petites, mais surtout parce que la vie est incertaine et imprévisible, et que chaque jour nous apporte sa dose de la plus grande des nourritures de la peur : l’incertitude.

L’incertitude (que va-t-il se passer ? est-ce que je vais rater mon train ? avoir mes examens ? survivre à cette opération ?) est le plus grand carburant de l’anxiété. D’ailleurs, une des maladies anxieuses les plus fréquentes, qu’on appelle l’anxiété généralisée, c’est à dire la capacité à se faire du souci pour tout, est en fait, tout simplement, une allergie à l’incertitude : dès qu’on n’est pas sûr de quelque chose, on angoisse…

Et du coup, à mes yeux, le vrai mystère ce n’est pas « pourquoi les humains sont-ils si anxieux ? », mais plutôt « comment font-ils pour vivre avec toutes ces raisons d’être inquiets et d’avoir peur ? »

Car, étonnamment, nous y survivons plutôt bien, à nos peurs : elles nous meurtrissent régulièrement, elles nous prennent la tête le temps d’une crise d’angoisse ou d’une nuit d’insomnie, puis nous passons à autre chose, nous nous remettons à rire, à agir, à vivre.

C’est pour ça que j’adore l’espèce humaine. Nous sommes les seuls, parmi tous les représentants du monde animal, à clairement savoir que nous allons mourir un jour, que nos proches peuvent disparaître d’un moment à l’autre avant que nous n’ayons pu les revoir, que l’adversité peut nous frapper à tout moment, quand elle le voudra. Et pourtant nous rions, nous créons, nous passons l’essentiel de notre temps à penser à autre chose, et à faire comme si tout cela n’existait pas. Nous arrivons à vivre heureux…Trop fort, les humains !

Et au fait, vous, c’est quoi votre plus grande peur ?

Illustration : "Au secours, les parents, y a un truc bizarre qui fait du bruit sous mon lit !"

PS : ce texte reprend ma chronique du 13 mars 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.