mardi 26 février 2019

Orange et roux : vive la diversité !


Bon honnêtement, et sans vouloir vexer personne, je m’en fiche un peu de la couleur orange et des gens roux. Et aussi des blonds, des bruns, des auburn, des dames âgées aux cheveux violets... Un humain, c’est un humain, quelle que soit la couleur de ses poils de tête…

Ça me rappelle une histoire arrivée récemment à une de nos amies. Sa fille aînée lui parlait depuis des mois de son nouveau petit copain. Et un jour elle propose de lui présenter. Notre amie, trop contente, organise un petit thé à la maison. Le copain arrive, il est charmant et tout se passe très bien. Mais quand il repart, notre amie dit à sa fille : « il est super ton copain, mais tu ne m’avais pas dit qu’il était noir ! » Et sa fille, très étonnée, de lui répondre : « ben non, pourquoi ? » C’était un détail que la maman avait remarqué, mais que sa fille avait oublié. Très bon signe pour l’évolution de nos sociétés : ça bouge, ça bouge, et dans le bon sens.

Attention, tout n’est pas parfait, loin de là, et l’actualité récente nous montre que les « ismes » de tout poil (racisme, sexisme, antisémitisme et autres fléaux idiots) ne sont pas encore en voie d’extinction. Il faut du temps pour les extirper de nos cerveaux ; même lorsque nous sommes de bonne volonté, comme notre amie avec le copain de sa fille. Les personnes rousses, par exemple, ont longtemps mal vues, et parfois même considérées comme maléfiques

 Plus grand monde ne croit à ces sornettes, heureusement. C’est bien, la capillo-diversité, c’est bien que toutes les chevelures ne soient pas semblables. Même chose pour la dermato-diversité : c’est bien qu’il existe des peaux de toutes les couleurs.

Dans la nature, la biodiversité est toujours une chance et une richesse. Toujours ! Plus il y a de variétés de plantes, d’insectes, d’animaux de tous genres et de toutes apparences, plus le monde va bien. Et notre moral aussi : des recherches scientifiques montrent qu’évoluer dans un environnement marqué par la diversité, même si nous ne nous en rendons pas compte consciemment, fait du bien à notre esprit.

Mais il y a une autre diversité qui me tient à cœur : la psychodiversité. Le fait que nous n’ayons pas toutes et tous le même caractère, les mêmes idées, les mêmes préférences, etc.

Ça nous agace parfois, que les gens ne pensent pas comme nous, ne partagent pas nos convictions, ne se comportent pas comme il le faudrait, à nos yeux. Qu’ils n’aient pas les mêmes idées que nous, qu’ils ne fassent pas les mêmes erreurs que nous !

Pourtant c’est une bonne chose ! Si nous avions tous le même avis, quel ennui ! Et quel danger aussi ! C’est d’ailleurs un des nombreux problèmes des réseaux sociaux : nous prenons peu à peu l’habitude de ne fréquenter par écran interposé que des gens pensant comme nous. Et on devient du coup de plus en plus raide et intolérant envers le reste du monde…

Non, vraiment, c’est une chance, la psychodiversité. Et même les casse-pieds ! Tout le monde est utile à une société humaine. Pensez au casting des marins de Christophe Colomb quand il part à l’aventure sur l’Atlantique, sans savoir ce qu’il y a de l’autre côté. Il avait besoin à son bord d’un bon pourcentage de psychopathes fonceurs et bagarreurs pour entraîner tout le monde, mais aussi de quelques anxieux pour vérifier qu’on embarquait assez de vivres et d’eau, de quelques histrioniques pour faire le spectacle sur le pont pendant la traversée, de quelques obsessionnels pour vérifier chaque jour les fuites d’eau dans la cale… Bref s’il n’avait pas eu à son bord un ramassis de casse-pieds, il n’aurait jamais atteint son but.

D’ailleurs, le meilleur endroit où chercher la sagesse est là où nous nous attendons le moins à la trouver : dans l’esprit de nos détracteurs et contradicteurs. Logique : nous connaissons déjà très bien nos propres idées et celles des gens qui pensent comme nous, alors pour progresser il faut faire l’effort de connaître celles de nos adversaires. Ce qui ne nous oblige pas pour autant à penser comme eux.

Moralité : même si ça nous demande des efforts parfois, vive la psychodiversité, vive la biodiversité ! Et pour revenir à notre sujet, vivent les personnes rousses et la couleur orange !

Et vous, sûrement que vous adorez la couleur orange et les personnes rousses, mais faire l’effort d’écouter et d’aimer les casse-pieds, vous y arrivez ? 

Illustration : une belle exposition sur la rousseur, aux Musée Henner à Paris, de février à mai 2019. 

PS : ce texte reprend ma chronique du 19 février 2019, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. Également disponible en vidéo.






vendredi 22 février 2019

Vieillir ou mourir ?



Sincèrement et en ce qui me concerne, je préfèrerais plutôt ne pas vieillir…

Mais, comme tous les humains, je n’ai pas le choix. Alors je me console. D’abord en me disant que finalement, vieillir reste encore le meilleur moyen qu’on ait trouvé à ce jour pour ne pas mourir. Ensuite, en lisant les études scientifiques sur le vieillissement.

Elles sont encourageantes, ces études ! Elles nous montrent qu’on n’est bien sûr pas obligé d’être heureux de vieillir, mais qu’il est possible, et même fréquent, de vieillir heureux. Ainsi, il semble que les aptitudes les plus grandes au bonheur se situent pour la plupart des occidentaux dans la fourchette 50 – 70 ans, voire au-delà. Au fond, c’est à la soixantaine - on est tout de même dans la vieillesse - que la plupart des gens se sentent les plus heureux.

Comment expliquer cela ? D’abord parce que nos sociétés nous permettent de mieux vieillir : par rapport à nos ancêtres, à 60 ans, nous sommes en bien meilleure santé, nous savons que nous toucherons une retraite nous permettant de ne pas dépendre de nos enfants, la société ne nous oblige pas à nous vêtir de noir et à vivre au ralenti. Notre regard sur le vieillissement a favorablement changé.

De fait, les personnes qui ont une vision positive du vieillissement (car il permet, en général, d’avoir plus de temps pour soi et ses proches, plus de recul sur la vie, plus d’expérience…) eh bien ces personnes vieillissent mieux. 

Mais tout de même, revenons à cette histoire de pic de bonheur vers 60-70 ans : bizarre, tout de même, alors que notre corps flanche, que certains de nos proches et de nos contemporains commencent à mourir, bizarre que notre cerveau soit heureux, malgré tout ! 

Pas si bizarre en fait : justement, c’est bien parce que la fin approche, parce qu’on sait qu’il nous en reste moins devant que derrière, que pour beaucoup d’entre nous, le calcul est vite fait : le bonheur c’est maintenant ! Avant, on avait le temps de se dire : «  je profiterai de la vie quand… quand j’aurai remboursé le crédit de la maison, quand j’aurai fini d’éduquer les enfants, quand je serai à la retraite, quand, quand, quand, etc. » 

Mais passé cinquante ans, les « je serai heureux quand » ça ne marche plus ! On a compris que si on n’est pas heureux maintenant, on ne le sera jamais. On a compris que le bonheur c’est au présent pas au futur, pour aujourd’hui pas pour demain. On a compris qu’il vaut mieux savourer le présent, plutôt que ressasser le passé ou s’angoisser du futur.

Et comme on est plus expérimenté, plus intelligent émotionnellement, comme on sait choisir entre les bons et les mauvais combats, on sait mieux vivre, tout simplement.

Vieillir n’est pas une chance, mais vivre oui. Alors, face au déclin du corps, gardons l’esprit en joie. Car le danger est là, aussi, dans notre esprit, comme le notait Montaigne en parlant de la vieillesse : « Elle nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage… »

Et vous, prêts à vieillir ? 

Illustration : L'art de vieillir joyeux, saisi sur le vif par l'ami Matthieu

PS : ce texte reprend ma chronique du 18 décembre 2018, dans l'émission d'Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. Également disponible en vidéo.


vendredi 15 février 2019

Petit avec de grandes oreilles



Trop grand, trop petit, trop ceci, trop cela… ; mais aussi le nez, les oreilles, les seins, les muscles, la peau, les cheveux, les poils, les dents… ; sans oublier l’intelligence, la culture, l’humour, la beauté, la popularité… Les raisons de complexer ne manquent pas !

Un complexe, c’est la focalisation de notre esprit sur un défaut ; que ce défaut soit réel ou supposé, ça n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est que cette focalisation est suivie d’une amplification de ses conséquences : on attribue au défaut la responsabilité de nombre de nos problèmes existentiels, de nos échecs, de nos difficultés. Si on ne trouve pas l’amour, si on n’a pas assez d’amis, si on végète dans son travail, c’est à cause de ce satané défaut. Être petit avec de grandes oreilles, par exemple…

Pourtant, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir qu’on peut être heureux, même si on est petit avec de grandes oreilles. Et qu’il y a aussi de grands avec de petites oreilles qui sont capables, malgré leur chance inouïe, d’être très malheureux !

Car, le plus souvent, le problème ce n’est pas le défaut mais notre réaction au défaut : on se persuade que tout le monde le voit, le scrute et nous juge ; mal, évidemment.

Que faire ? Défocaliser : se rappeler qu’une bonne estime de soi, c’est comme une bonne alimentation, elle doit être nourrie de sources variées. Si défaut il y a, il ne doit pas nous faire oublier toutes nos autres qualités, sur lesquelles nous devons ouvrir les yeux. Défocaliser, c’est aussi observer les autres personnes : sont-elles toutes parfaites, douées, brillantes et belles ? N’ont-elles aucun défaut, vraiment ? Bien sûr que non ! Et pourtant, elles vivent !

Défocaliser donc, de désenfermer de soi-même. Et puis, agir comme si le défaut n’existait pas. Et observer le résultat.

C’est comme ça que marche la chirurgie esthétique, lorsqu’elle marche : quand on en vient à se faire opérer d’un défaut physique, et qu’on se sent mieux après, c’est parce qu’on cesse du coup d’être obsédé et focalisé, et que dans les échanges sociaux, on n’est plus tourné vers soi et ses défauts mais vers les autres, on n’est plus dans l’observation mais dans l’interaction.

Mais on peut aussi faire l’économie de la chirurgie en suivant une thérapie comportementale, qui nous apprendra, au travers d’exercices concrets, à agir malgré le défaut, malgré le sentiment de gêne, malgré l’impression de honte. Et à observer que notre défaut 1) la plupart des gens ne le remarquent pas, 2) la plupart de ceux qui le remarquent s’en fichent et ne nous jugent pas inférieurs pour autant.

Donc : défocaliser, socialiser, en parler à ses proches (qui vous parleront aussi de leurs complexes et de leur manière de les tenir à distance) et surtout, surtout, ne pas fréquenter les réseaux sociaux ! Parce que ce sont des usines à complexes : tout le monde passe son temps à y balancer des images parfaites des moments où on a bonne mine, dans de beaux endroits, entouré par plein de gens qui nous aiment. Et comme le complexe se nourrit de la comparaison avec autrui, de l’interrogation « je suis mieux ou moins bien ? », vous imaginez la catastrophe. Ce n’est pas sur les réseaux sociaux, nids à mensonges, qu’il faut aller chercher la vérité vraie de notre popularité…

« Moins je pense à moi et mieux ça va » me disait un jour une de mes patientes. Il est là le secret : ne plus se soucier de l’effet que l’on fait. Et s’occuper de vivre, tout simplement.

Et au fait, et vous, encore quelques petits complexes, ou vous leur avez définitivement tordu le cou ?

Illustration : On arrête d'urgence de complexer ! Parce que la vie est compliquée, inutile d'en rajouter ; et aussi parce qu'elle est belle, mieux vaut en profiter.(photo prise dans une salle des machines au Pic du Midi)

PS : ce texte reprend ma chronique du 9 octobre 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. Également disponible en vidéo.


vendredi 8 février 2019

Cher Journal


Une devinette : je ne coûte quasiment rien, je suis très écologique, accessible à tout le monde, les études scientifiques montrent que je fais un bien fou à l’âme et au corps, et pourtant et pourtant : de moins en moins d’humains s’intéressent à moi, et encore moins me fréquentent. Qui suis-je ? 

Le journal intime ! 

Oui, je sais, le journal intime c’est ringard, c’est daté, c’est fleur bleue, c’est plein de clichés, à l’opposé de la modernité des écrans imbéciles, bleutés et branchés. Je m’en fiche !

Tenir un journal, c’est peut-être une activité vieillotte et à contre-courant ; mais après tout, marcher ou jardiner aussi, c’est vieillot et à contre-courant. Or, nous avons aujourd’hui quelques bonnes raisons de nous méfier de tout ce qui est moderne et dans le courant, qui souvent n’est là que pour manipuler nos cerveaux et nos cartes bleues, pas pour nous aider à réfléchir et devenir de meilleurs humains.

Le journal intime, si ! Il nous aide à comprendre ce que nous vivons, à prendre du recul, à accueillir nos émotions, à clarifier nos passions. En ce sens, il est supérieur à la seule réflexion, la simple introspection, comme l’écritMontaigne dans ses Essais : « Ceux qui s’analysent en pensée seulement, et oralement, une heure en passant, ne s’examinent pas aussi essentiellement et ne se pénètrent pas comme celui qui a fait de cela son étude, son ouvrage et son métier, qui s’engage à tenir un registre permanent, avec toute sa foi, toute sa force… » 

Et il n’y a pas que Montaigne : la plupart des grands auteurs ont tenu un journal, qui est souvent, à mon avis de psy, la partie la plus passionnante de leur œuvre, en tout cas la plus touchante, la plus proche de cette fragilité qui nous concerne tous, nous les humains… 

Bien sûr, lorsqu’il s’agit d’écrivains, le journal a une valeur littéraire unique, mais il est aussi l’occasion de découvrir leur humanité, et de réfléchir sur la nôtre. Dans un journal, nous ne prenons pas la pose, nous ne mentons pas, comme l’écrit Rousseau, en incipit de ses célèbres Confessions : « Je me suis montré tel que je fus : méprisable et vil quand je l'ai été; bon, généreux, sublime, quand je l'ai été… » 

Et c’est à ces conditions que l’écriture de soi, l’écriture intime, peut avoir un impact considérable sur nous. Sur l’intelligence de soi, l’intelligence émotionnelle, mais aussi - désolé de redescendre sur terre - sur notre santé. 

Voilà longtemps qu’à la suite d’un chercheur précurseur, James Pennebaker, on a montré qu’écrire sincèrement et précisément ses expériences existentielles, notamment douloureuses, nous faisait un bien fou, améliorait notre équilibre émotionnel, et de ce fait, notre santé physique. 

Il y a des règles simples pour cela : d’abord, ne pas chercher à construire d’emblée un récit cohérent, mais coucher sur le papier ses ressentis émotionnels, le désordre des pensées, des émotions, des événements, des ruminations… Sans souci de clarté ou de beauté du style. 

Ensuite, ne pas chercher à résoudre, à trouver des explications ou des solutions, des certitudes, mais en rester aux faits, aux ressentis, aux doutes, aux craintes, aux hypothèses, aux espérances. Ne pas avoir peur d’écrire au fil de l’eau, se souvenir de ce conseil de Gide, dans son Journaljustement : « J’attends trop souvent que la phrase ait achevé de se former en moi pour l’écrire. » N’attendez pas que tout soit clair, écrivez, vous verrez ensuite. 

Enfin, se montrer aussi régulier que possible : dans les études de Pennebaker, la consigne était d’écrire chaque jour pendant au moins 15 jours, et à chaque fois 15 minutes, sans s’arrêter pour se relire.

Et puis, très important aussi : ne faites pas comme le champion du monde toutes catégories, le suisse Henri-Frédéric Amiel, qui rédigea au XIXème siècle un journal intime de plus de 17.000 pages ! Parfois passionnant, parfois barbant, comme tous les journaux. Mais toujours émouvant. Pourtant sur la fin, Amiel était perplexe, notant ainsi : « J’ai observé ma vie, au lieu de la vivre… » 

L’observation et l’écriture de soi comme un détour régulier, pas comme un séjour permanent. Écrire, certes, mais ne pas oublier de vivre !

Et au fait, et vous, vous avez déjà essayé de tenir un journal ? 

Illustration : le journal intime pour aller au-delà (et en-dessous) des apparences. illustration de Muzo.

PS : ce texte reprend ma chronique du 16 octobre 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. Également disponible en vidéo.