vendredi 18 décembre 2009
J'écoute le chant de l'oiseau
"J'écoute le chant de l'oiseau non pour sa voix, mais pour le silence qui suit."
Noguchi Yonejiro
Je vous souhaite de belles fêtes. On se retrouve à la rentrée, le lundi 4 janvier. Merci encore une fois, sincèrement, pour votre participation active à ce blog, qui est devenu en neuf mois, grâce à vous, un lieu de discussion qui me passionne, me réjouit, me secoue, m'émeut, bref : me nourrit et me transforme.
Illustration : statue de Kûya-Syônin, prêtre du Bouddha Amida, qui se trouve à Kyoto dans le temple Rokuharamitsu-Ji. Merci à Claire.
Pour plus de précisions, voir son message du 28 décembre, dans la liste des commentaires ci-dessous.
jeudi 17 décembre 2009
Papa médite
Une histoire racontée par mon copain Florent, infirmier du service qui anime avec moi les groupes de méditation à Sainte-Anne.
Un jour qu’il méditait chez lui, dans une pièce à l’écart, assis sur son coussin, sa fille de 6 ans entre dans la pièce. Voyant son papa les yeux fermés, elle s’approche à pas de loup, et s’installe doucement à côté de lui.
Il a toujours les yeux fermés, mais il l’a évidemment entendue arriver : dans la méditation de pleine conscience, tous nos sens sont en éveil, tranquilles mais parfaitement affûtés. S’il y a bien un moment où nous entendons tout, c’est lorsque nous méditons !
Bref, il a simplement intégré l’arrivée de sa petite fille dans son exercice de pleine conscience. Il l’entend qui respire, il devine qu’elle l’observe, ou qu’elle l’imite. Puis au bout d’un moment, une petite voix :
« - Papa ? Tu dors ?
- Non, je médite.
- Ah… (déçue peut-être, et étonnée) Et… tu m’as entendue arriver ?
- Oui, oui, je t’ai entendue arriver.
- Ah… »
Elle est surprise, et admirative sans doute, de ce papa qui voit tout et sait tout même les yeux fermés, même l’air de dormir.
Mais lorsqu’on médite en pleine conscience, on est intensément présent : la méditation n’a rien (normalement) à voir avec la somnolence…
Illustration : Route 66, gallerie Sollertis.
mercredi 16 décembre 2009
Cauchemars
Cauchemar du claustrophobe : être enfermé dedans.
Et cauchemar du dépendant : être enfermé dehors.
Et cauchemar du dépendant : être enfermé dehors.
mardi 15 décembre 2009
Se sentir de trop
« Plus profondément je rentre en moi-même, plus attentivement j'examine toute ma vie passée, et plus je me convaincs de la rigoureuse vérité de cette expression. De trop : c'est bien cela... De moi, il n'y a pas moyen de dire autre chose : homme de trop, c'est tout. » Pour en savoir davantage sur le triste héros qui parle ainsi, lisez la célèbre nouvelle de Tourgueniev, Le Journal d’un homme de trop. Vous y découvrirez une petite merveille d’introspection, parsemée de nombreuses perles psychologiques. Comme ce passage sur le masochisme moral : « Il est plaisant et douloureux de retourner le fer dans la plaie des vieilles blessures. » Ou cet autre sur la rumination : « Voilà le genre de pensées mi-avortées, mi-exprimées qui me revenaient interminablement, et roulaient dans ma tête en un tourbillon monotone. »
lundi 14 décembre 2009
Injustice
Je me souviens : en classe de 5ème, cours de Sciences Naturelles. Je suis assis à côté d'un élève de ma classe qui n'est pas un vrai copain (la prof nous a placé d'office pour séparer les vrais copains, justement), mais nous coexistons sans heurts.
Ce jour-là, le cours porte sur la main. Nous devons dessiner nos mains, les doigts, les ongles et tout ça. Quand nous avons fini, la prof passe dans les rangs pour regarder le résultat : "il manque quelque chose, il manque quelque chose" répète-t-elle à tout le monde. "Regardez mieux". Je regarde mieux, mais j'ai beau regarder mieux, je ne vois rien que je n'ai pas dessiné.
Elle a fait le tour de la classe, personne n'a trouvé ce qu'il fallait voir. Elle nous aide : "regardez mieux vos ongles". Et elle repasse dans les rangs. Tout à coup, je vois ce que nous avons oublié : la lunule. Je la rajoute, et j'attends tout fier que la prof repasse.
Mais manque de bol, elle commence par mon voisin : "ah ! enfin ! bravo, très bien !" Le fourbe a vu mon dessin et l'a recopié à toute allure ! Puis elle passe au mien, et laisse tomber : "évidemment, si le premier trouve, l'autre aussi..." Et elle repart au tableau nous faire le dessin complet. Il ne se dénonce même pas, il ne me demande pas pardon, il est juste sacrément embarrassé, il n'ose plus me regarder ni me parler.
Je m'en souviens encore aujourd'hui ! De la scène, de son prénom et de son nom (je ne cafterai pas...), de sa tête. Je ne lui en veux plus, évidemment. Je crois que je ne lui en ai même pas voulu à l'époque. J'en voulais plutôt à la prof. J'étais en colère contre l'injustice, pas contre les humains qui en avaient été les vecteurs. D'ailleurs, en y repensant, je me souviens de la majorité des injustices dont j'ai été l'objet. Sans colère, mais avec intensité. Même si elles n'étaient absolument pas graves, comme l'histoire de la lunule. C'est drôle comme nous sommes psychologiquement équipés pour ne pas tolérer l'injustice. C'est drôle et c'est bien ; sans cette allergie à l'injustice, nos sociétés ne seraient pas bien agréables à vivre...
Illustration : "regardez mieux !"
vendredi 11 décembre 2009
Allonger la foulée
L’autre jour, je me promenais dans les bois, lorsqu’à un embranchement, je me retrouve à emprunter le même chemin qu’une élégante dame qui trottinait très lentement, mais avec grâce.
Tout son corps faisait le mouvement de la course, mais ses pieds accomplissaient celui de la marche : l’un d’entre eux était toujours en contact avec le sol (alors que lorsque nous courrons, il y a entre deux foulées, un moment où nous sommes suspendus en l’air). C’était étrange mais élégant, et j’observais avec attention cette allure délicate et atypique.
Seul problème : la dame n’allait pas très vite. Du coup, simplement en marchant, j’arrivais à la suivre. Au bout de 100 mètres, elle se retourne brièvement et s’aperçoit de ma présence admirative. Alors, elle se met doucement à accélérer et à vraiment courir. Et elle disparaît au bout du chemin.
J’ai supposé que ce n’était pas par peur de moi (je l’espère en tout cas) mais simplement parce que c’était vexant pour elle, dans son beau survêtement de sport, avec ses chaussures à coussin d’air, de se voir suivie par un nigaud en godillots. En accélérant, elle a cessé de faire de l’exercice physique tranquille (juste le plaisir de bouger harmonieusement son corps) pour passer dans le registre du sport (le dépassement de soi ou des autres). Et elle m’a privé de sa présence. Tant pis, j’ai recommencé à regarder les arbres et le chemin.
Ilustration : le célèbre film, d'Eadweard Muybridge, en 1876.
Waf !
Désolé de vous avoir ainsi mis involontairement (quoique ?) à contribution. J'espère (je n'ai pas de souci à ce sujet...) que les critiques continueront de se faire entendre : cela intéresse tout le monde, et voyez comme ça chauffe l'ambiance ! Pour ma part, ce que j'ai lu me motive beaucoup. Merci. C'est une expérience très étonnante sur une multitude de plans, ce que je viens de vivre grâce à vous toutes et tous. De celles qui rendent à la fois plus sensible et plus fort. Dans le même temps.
Illustration : un psychiatre confiant mais prudent.
jeudi 10 décembre 2009
Petits remontages de bretelles
Depuis un bout de temps déjà sont apparues les premières critiques par rapport à mes billets, de la part des internautes. Le phénomène s'est accentué cette semaine, avec les deux textes des jours derniers (Humilité et politique, Ne me prenez pas).
J'espère que vous me croirez : j'en suis ravi ! Enfin, ravi... Disons plutôt que j'accepte de bon coeur. Même si ça picote un peu désagréablement l'ego, c'est vivifiant, c'est OK, c'est utile.
C'est la supériorité du blog sur l'écrit en papier : le retour immédiat, approbateur ou critique. C'est toujours important et intéressant de découvrir qu'on a déplu par ses propos, qu'on a irrité, ou déçu, ou peiné. Parfois on est d'accord, et on assume, et on tire les leçons pour la prochaine fois (nuancer, étoffer, argumenter davantage). Parfois on n'est pas d'accord, et on apprend ainsi comment nos intentions peuvent tomber à côté.
Voilà pour les critiques. Maintenant, pour être tout à fait sincère, si ces critiques me sont supportables, c'est parce qu'elles sont entourées de commentaires et messages de soutien. Et parce qu'elles suscitent un débat (vraiment intéressant, je me régale à lire le fil des discussions). Et enfin, parce que globalement, il y a plus de soutien que de critiques.
Du coup, ces derniers jours, je me suis posé la question : est-ce que je continuerais si le rapport s'inversait ? Si je me faisais majoritairement allumer, si les internautes, finalement, votaient contre moi ? Mmm... Pas sûr. Je pense que je replierai les voiles, et que je retournerai à l'écriture de mes petits carnets intimes, au lieu d'en détourner une partie sur ce blog extime. Je ne suis pas assez costaud émotionnellement pour m'exposer volontairement à de fortes doses de désapprobation ! Ce qui m'intéresse c'est de vérifier que je ne suis pas tout seul à penser et à ressentir ce dont je parle sur le blog, c'est d'appartenir à une communauté. M'apercevoir que je suis à contre-courant ne me flatterait pas (comme pour certains qui s'en réjouissent). Cela me donnerait plutôt un sentiment de solitude. Pas suffisant pour renoncer en bloc à mes idées ; mais suffisant pour que je m'interroge et que je me taise.
Bon, en attendant, à demain !
Illustration : un jeune auteur-blogueur avec le bonnet d'âne envoyé par des internautes...
mercredi 9 décembre 2009
Humilité et politique
Dans son célèbre Livre du courtisan, publié en 1528, l’écrivain et diplomate Baldassare Castiglione écrit ceci : « On doit toujours être un peu plus humble que ne l’exige son rang. » L’humilité comme politesse des grands et des puissants. Donald Trump (voir le billet du 2 décembre 2009) n’a pas dû le lire…
Illustration : Portrait de Baldassare Castiglione, par Raphaël.
mardi 8 décembre 2009
Ne me prenez pas !
C’est une patiente très malheureuse, et très abîmée en matière d’estime de soi.
Elle a d’énormes problèmes de ce côté-là : persuadée qu’elle ne vaut rien, n’a aucun talent, ne peut plaire à personne ni rien faire de bien, à part échouer. Elle ne reste jamais longtemps dans le même travail : soit elle fait correctement le job mais finit par démissionner, intimement convaincue qu’elle le fait mal ; soit elle le fait effectivement mal, tant elle est stressée, insécurisée, inhibée, crispée, et on la congédie…
Elle me raconte comment, lors des entretiens d’embauche qu’elle passe quelquefois (il faut bien payer son loyer), elle s’entend dire dans sa tête : « Ne me prenez pas, ne me prenez pas ! Vous le regretterez ! » Et évidemment, ça marche, le plus souvent : on ne la prend pas. C’est d’ailleurs un souci de plus pour moi, cette névrose du « je ne mérite pas qu’on me prenne » : car je ne peux pas la prendre en thérapie justement ; trop débordé, je n’ai plus de place pour de nouveaux patients.
Alors j’adopte des ruses de sioux pour qu’elle ne soit pas blessée par mon refus, un de plus dans sa vie. Heureusement que je connais plein de collègues thérapeutes sympas et compétents qui vont pouvoir l'aider.
Photo de Henri Cartier-Bresson, Brooklyn 1947 (merci passou).
lundi 7 décembre 2009
Grand-père
C'est un de mes amis qui est devenu grand-père. Ce n'est pas un grand expansif, il vit ça sobrement, sans grandes déclarations. Mais ça lui plaît.
Lors des vacances de Toussaint, nous avons passé quelques jours ensemble dans une grande maison de vacances où il y avait tout plein de monde, dont sa fille et sa petite-fille. Un après-midi où la maison était calme, alors que presque tout le monde était parti en ballade, lui et moi étions restés. Moi pour bouquiner et lui pour s'occuper de sa petite-fille. J'étais à un bout de la grande pièce et lui à l'autre. Il m'avait complètement oublié.
Et à un moment, plongé dans mon livre, je l'entends qui fait des bruits bizarres, des petits grognements tendres. Je lève la tête discrètement : c'était mon pote, qui poussait ces petits cris primitifs en donnant le biberon, pour causer avec le bébé, les yeux plissés de bonheur, un petit sourire au coin des lèvres.
Comment dire ? Ce tout petit instant m'a bouleversé plus que tous les grands discours possibles sur le bonheur d'être grand-père. Cet amour paléolithique qui sortait du fond de sa gorge et de la nuit des temps m'a ému jusqu'aux larmes.
Illustration : Jean-Étienne Liotard, Fillette à la poupée.
vendredi 4 décembre 2009
Marcher sous la pluie
En thérapie comportementale - mais c’est aussi comme ça dans la vie - il faut essayer de faire personnellement ce que l’on recommande aux autres de faire. Donner des conseils qu’on n’appliquerait pas soi-même, quelle drôle d’idée !
L’autre jour, je discutais avec un de mes patients, en période doucement dépressive. Il me racontait qu’il avait tendance à beaucoup rester chez lui, à tourner en rond, à peu s’activer, à peu sortir, à peu bouger. Comme il exerce déjà son travail à domicile, ça fait vraiment peu de mouvement dans sa vie ! Et ce qui nourrit la dépression, entre autres choses, c’est l’immobilité.
Alors nous commençons à réfléchir à tout ce qu’il pourrait essayer de recommencer à faire, pour se bouger.
Et tout à coup, je réalise que la situation a quelque chose d’un peu absurde : nous parlons de nous bouger, tout en gardant les fesses bien calées dans nos fauteuils ! Du coup, je lui annonce : « allez hop ! on prend nos manteaux, et on va continuer cette réflexion dehors, on sort se balader ! » Il est un peu surpris, mais il accepte en souriant.
Dehors, il fait moche : gris, froid, un peu de crachin, un vrai temps de novembre, tout triste. Pas grave : nous marchons, d’abord dans Sainte-Anne, puis dans le parc Montsouris voisin. Nous marchons et nous parlons. Et à la fin, nous rentrons, tout tranquilles et contents d’avoir marché et parlé. Mon patient me dit que ça lui a fait du bien. Que ça lui rappelle les ballades qu’il fait parfois le dimanche lorsque des amis viennent les visiter. Qu’il aime beaucoup ces marches. Moi aussi, je suis content d’avoir marché avec lui sous ce ciel gris, qui du coup a cessé d’être hostile ou contrariant, mais qui a trouvé sa place dans notre journée, qui a accompagné notre balade, comme un brave chien.
Je demande à mon patient de marcher, comme nous l’avons fait, une heure chaque jour. Je lui rappelle qu’un des moyens de ne pas ruminer, plutôt que vouloir mentalement s’empêcher de ruminer, c’est de sortir et d’aller marcher. Il me tarde de le revoir, pour savoir si… ça aura marché !
Photo de Pierre Assouline.
jeudi 3 décembre 2009
Et maintenant, on passe aux choses sérieuses
Le mois dernier, je donnais une conférence aux anciens d’une Grande École renommée. Une conférence sur le bonheur. Conscient qu’il s’agissait d’un public avec un bon niveau scientifique, j’avais pas mal insisté sur les travaux de recherche en psychologie positive et tout ça. D’après leurs têtes et leurs réactions, ça leur avait convenu…
Après la séquence des questions-réponses (ou tentatives...), j’étais en train de quitter l’estrade lorsque le président de séance, qui m’avait poliment écouté, en commençant à présenter l’orateur suivant, membre de cette Grande École, laissa échapper : « Bien, merci encore au Docteur André ! Et maintenant, nous allons passer aux choses sérieuses… »
Énorme éclat de rire dans l’assemblée ! Au moins, c’était clair : j’avais joué le rôle de la danseuse ou du bouffon ; allez, disons : du distracteur. Il y a quelques années, ça m’aurait vexé sans doute. Mais plus maintenant. J’ai même trouvé ça très drôle : c’est toujours mieux de savoir exactement quelle place nous tenons dans le grand spectacle de la vie !
Illustration : un psychiatre donnant une conférence sur le bonheur.
mercredi 2 décembre 2009
Donald Trump
Une blague que Matthieu Ricard, que les excès d’ego exaspèrent, m’a racontée sur le milliardaire américain.
C’est Donald Trump qui parle de lui, de lui, de lui, encore de lui… Au bout d’une heure, voyant que son interlocuteur commence à fatiguer un peu, il lui propose majestueusement : « Bien ! Assez parlé. Je vous donne la parole : que pensez-vous de moi ? »
C’est Donald Trump qui parle de lui, de lui, de lui, encore de lui… Au bout d’une heure, voyant que son interlocuteur commence à fatiguer un peu, il lui propose majestueusement : « Bien ! Assez parlé. Je vous donne la parole : que pensez-vous de moi ? »
mardi 1 décembre 2009
La dame qui procrastine
Un jour en consultation, je reçois une dame qui stagne dans sa vie : « Je n’arrive pas à prendre de décisions, tout est compliqué, tout me pèse. Que ce soit des décisions importantes, comme celle de chercher un nouvel emploi, car je n’aime pas le mien. Ou des décisions mineures, comme de changer ma cafetière, qui ne marche plus. Je repousse toujours à plus tard… »
Et elle se sent toujours fatiguée.
Mais elle ne se rend pas clairement compte qu’elle est fatiguée surtout par les choses qu’elle n’a pas faites : tout le poids des « choses à faire » qui pèse sur ses épaules, depuis un repli de son subconscient. Elle a l’air étonnée quand je lui en parle. Mais elle comprend vite. Tout comme elle comprend que sa thérapie va consister non pas seulement à savoir pourquoi elle est comme ça (elle a déjà passé quelques années à chercher à comprendre, sans résultats probants). Mais à aller changer sa cafetière, à ranger ses placards, à répondre à son courrier, à contacter ses amis… Elle devrait se sentir beaucoup moins fatiguée ensuite.
C’est drôle comme nous, thérapeutes et patients, avons parfois tendance à négliger ces stratégies toutes simples de relance comportementale dans les problèmes de dépressivité…
Illustration extraite de notre livre, à Muzo et moi : Petits complexes et grosses déprimes, paru aux éditions du Seuil.
lundi 30 novembre 2009
Perdu les élections
Après une conférence sur l’estime de soi, une dame vient me parler.
L’air assez sûre d’elle-même, mais avec quelque chose de triste. Elle me raconte qu’elle a bien aimé mon intervention, et surtout mes mises en garde contre les compétitions sociales et l’anxiété insécurisée des personnes à estime de soi haute et fragile. Puis elle continue en m’expliquant qu’elle vient de perdre des élections municipales récemment, et que cela l’a profondément blessée. Qu’elle s’en est sentie abaissée, humiliée, rejetée. Et qu’elle a du coup décidé d’abandonner la politique.
Je repense effectivement à cette nécessité des véritables bêtes politiques d’avoir un ego en acier, pour survivre aux « rejets » que sont les défaites électorales. Il leur faut tout un ensemble de mécanismes psychologiques de défense pour ne pas déprimer à chaque fois. Du coup, normal que beaucoup d’entre eux dérapent du côté du narcissisme (quand ils ne baignent pas dedans depuis qu’ils sont petits). Et pratiquent volontiers le déni en cas de problèmes (« c’est la faute des autres, pas la mienne »).
Illustration : une vision pessimiste de la politique, par Loup
vendredi 27 novembre 2009
Le cahier de classe
Il y a quelques années, ma plus jeune fille, alors au cours préparatoire, me raconte que la maîtresse a montré son cahier en exemple aux autres enfants de sa classe. Elle est bonne élève pour tout un tas de raisons : par anxiété (elle n’a pas envie d’être réprimandée), par empathie (elle ne veut pas faire de peine à sa maîtresse et ses parents), par plaisir d’apprendre (elle est curieuse). Bref, c’est comme ça, et elle estime n’avoir aucun mérite dans l’histoire.
D’où sa réaction au geste de la maîtresse : elle est à la fois flattée et embarrassée. « Tu comprends, ça va faire de la peine aux autres, ceux qui n’arrivent pas à bien tenir leur cahier. »
Elle m’a fait alors penser à ces lignes du poète Christian Bobin (dans son ouvrage avec le photographe Édouard Boubat : Donne-moi quelque chose qui ne meure pas) : « Je suis incapable de penser à une chose sans aussitôt faire venir son ombre à côté d’elle. Je ne peux, par exemple, réfléchir à la lecture sans penser à ceux qui n’y auront jamais accès… Les livres me font penser aux analphabètes. Et les photographies aux aveugles. » Et ses succès devaient le faire penser à ceux qui toujours échouent (ou croient échouer...).
C’est la richesse et la fragilité des mouvements de l’estime de soi chez les sensibles empathiques : dès que le bonheur ou la satisfaction pointent le bout de leur nez, alors surviennent aussitôt les ombres du malheur et des douleurs des autres. Chez eux, pas de risque d’emballement vers le narcissisme ou la béatitude…
Illustration : le magnifique livre de Bobin et Boubat, "Donne-moi quelque chose qui ne meure pas".
jeudi 26 novembre 2009
Égoïsme
Il y a évidemment toutes sortes d’égoïsme.
Certaines personnes, lorsque je leur parle de l’altruisme, me disent qu’il est important, aussi, d’être égoïste parfois, de penser à soi. Bien sûr…
Car l’égoïsme ce n’est pas tant le « moi aussi », qui est normal ; ou le « moi d’abord », que l’on peut comprendre…
C’est plutôt le « tout pour moi », quand même plus problématique !
Illustration : Giotto, allégorie de l'Envie
mercredi 25 novembre 2009
Allo, c’est toi ?
Un jour, je téléphone à mon ami Étienne. Quand il est de bonne humeur (c’est-à-dire souvent) il fait volontiers des blagues. C’est le cas ce jour-là. Et à mon « Allo, c’est toi Étienne ? », il répond majestueusement et lentement, sûr de son effet : « Absolument ! ». Puis il se tait, attendant la suite. J’éclate de rire. Tout est dit en matière de tranquille affirmation de soi…
mardi 24 novembre 2009
Le garagiste qui n’aimait pas le rugby
J’aime le rugby et j’aime le Stade Toulousain, l’équipe qui propose le plus beau et le plus intelligent rugby de France. Alors j’ai des chemises, des maillots, des T-shirts aux armes de mon équipe favorite. Je sais c’est un peu bête, mais c’est comme ça.
Un dimanche, j’étais à la station service pour prendre de l’essence, avec un beau T-shirt du Stade (c’est à ça que vous pouvez reconnaître un toulousain : il ne dit pas « le Stade Toulousain » mais simplement « le Stade » ; pour lui, il n’y en a qu’un d’assez grand et beau et fort pour qu’on n’ait même plus à le nommer).
Le garagiste à la caisse regarde mon T-shirt, qui porte la mention « Toulouse Rugby » et s’écrie : « Moi, j’aime pas du tout le rugby ! Je préfère le foot ! »
Houmpf… Je suis à deux doigts de lui rendre son essence. Il doit le voir à mon visage, et il rajoute : « Sauf l’Afrique du Sud, là, quand ils font le Gnaka ! » Et il m’ébauche un début de Haka (qui n’est pas exécuté par les Sud-Africains mais par les All-Blacks de Nouvelle-Zélande). J’éclate de rire, et lui aussi. Du coup, je suis décoincé, et je lui lance : « Je ne vous crois pas, c’est impossible de ne pas aimer le rugby ! » et finalement, j’accepte de le payer. On se quitte bon copains, il ébauche même un dernier mouvement de Haka pour moi quand je quitte sa boutique.
C’est drôle comment je me souviens, des mois après, de ce petit dialogue improbable et sans grande importance, et comment après-coup, je comprends que mon T-shirt a alors parfaitement joué son rôle d’outil de communication, là où il y aurait pu ne pas y avoir de communication. Le garagiste n’a fait que répondre à ma déclaration pectorale d’amour pour le rugby toulousain. Et ça nous a fait (au moins à moi en tout cas) un petit souvenir drolatique.
Illustration : un fan du Stade Toulousain qui devient fou au rayon fruits et légumes du supermarché...
lundi 23 novembre 2009
Peinture hollandaise
Il y a en ce moment, à la Pinacothèque de Paris une belle exposition sur la peinture hollandaise, peinture du simple et de l’intime.
Comme toujours dans les expositions et les musées, on est accroché par un tableau, un détail de tableau. Pas forcément par les chefs d’œuvre ou les grands peintres. Mais quelque chose de latéral, discret, qui nous émeut tranquillement.
Ce jour-là, c’est une nature morte d’Abraham Mignon, et un pot de porcelaine, qui vont me secouer.
Comme toujours, les règles qui régissent une nature morte sont très codées. On y retouve souvent les mêmes messages à l’intention du spectateur que dans les vanités (peintures destinées à nous faire réfléchir à la mort et au caractère fragile et fugace de l’existence humaine) : la vie est fragile, s’y attacher est illusoire, elle s’écoule vite (voyez la mèche d’amadou qui se consume, sur la gauche), etc.
Mais à ce moment, c’est le bol de porcelaine qui me fait rester de longues minutes devant le tableau, et surtout l’intérieur de ce bol dont le brillant fait écho au nacre des huîtres ouvertes sur la table (incarnant, là encore, le caractère éphémère et périssable de nos plaisirs).
Je passe un bon moment à le contempler, mon ami le pot. Je rêve à sa vie. Ce à quoi il a servi avant de poser, ce à quoi il est retourné ensuite. Dans quelles mains est-il passé ? Combien de temps a-t-il duré ? Existe-t-il encore, dans quelque vitrine de musée hollandais ?
Puis, avant de quitter l’exposition, je reviens le regarder (j’allais dire le saluer) une dernière fois.
C’est drôle de se dire que ce peintre au nom bizarre (Abraham Mignon, je vous jure…) me secoue émotionnellement, influence mon comportement à des siècles de distance. Sans importance ? Oui et non. C’est important que cela existe, ces moments de communion d’humanité. Ces liens de complicité muette et hypothétique entre deux existences. Voilà, c’est ça qui me réjouit, comme toujours dans la vie : sentir qu’un lien s’est créé, même fugace, même léger, entre deux humanités. C’est ça (entre autres choses) que j’aime dans la vie.
Illustration : Abraham Mignon, Nature morte aux fruits, huîtres, et compotier de porcelaine.
vendredi 20 novembre 2009
Toute sa vie à l'hôpital psychiatrique
C'était il y a quelques années, au congrès de l'Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Un de mes confrères nord-américains faisait une conférence sur les moyens éventuels de dépister précocement la schizophrénie (pour essayer d'en faire la prévention). Il commence pour cela par nous parler de la trajectoire existentielle d'un patient (on appelle ça un "cas clinique"). Il nous montre quelques photos de lui ("avec son accord", précise-t-il), à différents âges de sa vie.
Et il raconte son histoire : c'était un petit garçon assez mal dans sa peau, timide, avec une gaucherie chronique, maladroit, empoté. Il a suivi des études plutôt réussies, car la maladresse n'empêche pas l'intelligence, mais très tôt (dès l'âge de 23 ans) il a été amené à fréquenter l'hôpital psychiatrique. Qu'il n'a ensuite pratiquement plus quitté. Et aujourd'hui, il y passe encore la majeure partie de son temps, à l'âge de 52 ans...
"Et ce petit garçon, c'est moi !" conclut mon confrère en rigolant, et en nous projetant sa photo actuelle : s'il a passé sa vie en hôpital psychiatrique, c'est simplement qu'il est devenu psychiatre ! Malgré les problèmes de son enfance, qui auraient pu inquiéter ses parents ou les psys de l'époque, si on avait été aussi attentifs qu'aujourd'hui.
Moralité ? Prudence avec nos histoires de prédiction de risques. Une fragilité ne conduit pas toujours à une maladie. Mais toute vulnérabilité mérite d'être chouchoutée, compensée, travaillée. Comme mon confrère l'avait fait en devenant lui-même psychiatre.
Illustration : un petit humain fragile devenu psychiatre pour s'efforcer d'aller mieux et d'aider les autres à aller mieux...
jeudi 19 novembre 2009
La jeune fille et le Grand Morgon
Ce titre ressemble à celui d’un conte de fées, ou à celui d’un quatuor à cordes de Schubert. C’est un peu ça. C’est une histoire de naissance d’un sens. Le sens de la beauté de la nature.
Ça se passe cet été, lors de vacances dans les Alpes. Nous faisons une petite randonnée avec des cousins. Louise, la plus sportive de mes filles, nous accompagne avec deux copines. Après la marche d’approche dans la forêt, nous arrivons dans un vaste cirque naturel, avant la montée vers le sommet (le Grand Morgon) un de ces endroits d’une beauté magique.
Je sens Louise touchée par l’endroit, et il me semble que c’est la première fois qu’elle me dit spontanément, sans que ça vienne au préalable de moi : « Papa, c’est incroyable ce que c’est beau ! C’est tellement beau qu’on se croirait dans un film, dans Le seigneur des anneaux, ou Narnia ! »
Puis, une fois ce moment d’émerveillement esthétique exprimé par des mots, elle se met à gambader, à faire la folle, suivie par ses copines, la troupe poussant des cris aigus, comme de petits chevaux sur la prairie alpestre. Autre façon, plus physique, de dire que c’est beau.
Ça se corsera ensuite à la montée vers le sommet, un peu raide et longue, qui s’accompagnera de récriminations, mais ce n’est pas grave.
J’ai assisté à une naissance, une naissance d’un sens : le sens du beau. En tout cas, de la capacité à s’en émouvoir et à le dire. Belle journée...
Illustration : ce n'est pas le Grand Morgon, mais un coin de Pyrénées, photographié par mon ami Frédéric Richet.
mercredi 18 novembre 2009
Couper l'eau
Un jour, une copine d'une de mes filles me raconte : "Quand j'étais petite, mon père avait dit à ma mère qu'il allait couper l'eau pour réparer le lavabo. Du coup, je voulais absolument voir comment il allait faire ! Parce que moi, après l'avoir écouté, j'avais essayé de couper l'eau avec des ciseaux, et ça ne marchait pas du tout : l'eau continuait à couler !"
C'est mignon. Et en plus c'est vrai, ça ne marche pas : je le sais, j'ai essayé !
C'est mignon. Et en plus c'est vrai, ça ne marche pas : je le sais, j'ai essayé !
mardi 17 novembre 2009
Parler de son cancer à ses enfants
Désolé pour celles et ceux que le sujet du cancer effraie ou dérange. Mais c’est trop important.
La dame dont je parlais hier nous racontait aussi ses interrogations envers ses enfants : comment leur en parler ? Elle nous disait au passage comment la première psychologue qu’elle avait rencontrée ne l’avait pas aidée à ce propos : lorsqu’elle lui avait demandé comment parler de sa maladie à ses enfants, cette dernière lui avait répondu « parlons d’abord de vous, occupons-nous de vous ». Ce qui n’était pas si mal vu ; mais qui n’était pas dans le bon timing. Ce dont la patiente avait besoin à ce moment, c’était d’un conseil comportemental, ou du moins qu’on l’aide à réfléchir à ce qu’elle avait, elle, envie de dire. Comme quoi, la psychothérapie, ce n’est pas seulement question de mots mais aussi de tempo…
Bref, elle se débrouille donc toute seule, et annonce, avec son mari, qu’elle a une « boule dangereuse » dans le sein, et qu’il va falloir qu’on la soigne et l’opère, et que donc elle ira à l’hôpital, etc.
Et c’est finalement leur fils aîné (14 ans, si je me souviens bien) qui vient le voir ensuite, et leur dit : « j’espère que ce n’est pas un cancer ?! »
Elle raconte aussi comment son plus jeune fils (6 ans) est très inquiété par cette maladie grave ; elle s’en aperçoit, et va le trouver pour le rassurer. En bonne maman, elle comprend ce qui l’angoisse : l’incertitude, ne pas savoir ce qui va arriver à sa mère. Mais vu son âge, elle comprend qu’elle ne peut pas tout lui dire, tout lui expliquer et lui faire porter. Alors elle a cette idée de génie : « Je te jure que si quelque chose de grave doit m’arriver, je te le dirai ». Et son fils est apaisé du jour au lendemain. Elle a finalement guéri ; que se serait-il passé si le « grave » était arrivé ? Je suppose qu’elle aurait trouvé alors une nouvelle solution.
Un problème à la fois, c’est bien suffisant, non ?
lundi 16 novembre 2009
Cancer
C’est au cours d’une réunion médicale sur les difficultés psychologiques liées au cancer, à laquelle je participe. Elle est organisée par Gilles Freyer, cancérologue lyonnais et humaniste. Une patiente vient faire le récit de son expérience de la maladie cancéreuse ; elle en parle simplement, racontant les étapes de son cheminement intérieur, et comment elle a fait face. Pas de théories ou de grands discours, juste ce qu’elle a essayé de faire, ce qu’elle n’a pas réussi à faire, ce qui l’a aidée, ce qui l’a faite souffrir.
Elle rappelle ce que les patients et les soignants connaissent bien : les paradoxes qui sont propres à toutes les épreuves.
Premier paradoxe : comme dans toutes les maladies qui menacent notre survie, on se sent souvent seul ; mais le soutien de l’entourage est pourtant vital. En écoutant son histoire à elle, je ne peux m’empêcher de me dire que c’est peut-être ce qui l’a sauvée, cet entourage familial et amical, ce qui a permis aux soins reçus de donner toute leur puissance. Deuxième paradoxe : c’est après, et non pendant la maladie, qu’on se sent parfois le plus seul. Après la fin des soins, après ce qui est considéré comme guérison ou rémission. Tout l’entourage, qui s’est mobilisé, a maintenant envie d’un retour à la normale. Mais le patient se sent différent, rescapé, vulnérable, secoué, insécurisé ; peut-être pour toujours. Et lui, il a du mal, évidemment, à tourner la page comme ça…
Troisième paradoxe (mais qui n’en est pas un, en fait, pour ceux qui connaissent les bases de la psychologie positive) : elle raconte enfin comment, malgré la tourmente, sa famille et elle continuaient de fêter les bons moments, ne renonçaient à aucune occasion de se réjouir, de se faire du bien. Même si évidemment, l’ambiance n’y était pas à 100%. Mais c’était bien mieux, quoi qu’il arrive et quoi qu’on ressente, que la morosité et le néant d’une attente figée et crispée de l’avenir…
En écoutant cette dame, je me sentais ému et impressionné, avec le sentiment de recevoir une leçon aux visages multiples : d’humilité, d’énergie, de lucidité. Heureux aussi d’avoir la chance d’être là, de me nourrir et de grandir dans ma tête juste en l’écoutant.
Illustration : un Grandgousier, poisson des abysses
vendredi 13 novembre 2009
Gentillesse
Je suis toujours épaté du regard condescendant ou méfiant parfois porté sur la gentillesse.
On la soupçonne d'être l'expression d'un manque : si on est gentil, c'est qu'on ne peut pas faire autrement, c'est parce qu'on est faible ; si on était fort et puissant, plus besoin d'être gentil.
Ou on s'imagine qu'elle cache quelque chose : la personne gentille attend forcément quelque chose en retour.
Mais la gentillesse est un don, sans conditions et sans attentes. On donne, et puis on verra bien ; et on continue, même si on ne voit rien. On n'est pas gentil pour obtenir quelque chose, on est gentil parce que ça fait du bien, aux autres et à nous, et que ça rend le monde plus agréable et plus vivable.
PS : aujourd'hui, c'est la journée de la Gentillesse, soutenue notamment par le magazine Psychologies.
Illustration de Grégoire Solotareff.
jeudi 12 novembre 2009
Panic transmitter
L’autre jour, Patricia, une des infirmières de la consultation, vient me remettre un bip d’une genre un peu spécial. Il est écrit sur sa boîte en carton : « Panic Transmitter ». C’est un moyen d’alerter tout le service en cas d’agression par un patient violent (ou par n'importe qui, d'ailleurs, il n'y a pas que nos patients qui peuvent péter les plombs ; ils le font peut-être même moins que les autres, mais bon, c'est un autre débat).
C’est vrai que le soir, nous finissons parfois nos consultations tard et seuls ; et que les portes sont souvent ouvertes, n’importe qui peut aller et venir. Donc, risque d'agression envers l'infirmière ou le médecin qui fait son boulot. Pas très gai, mais c’est comme ça, ça existe.
En tout cas, c’est drôle comme appellation : « Panic Transmitter », transmetteur de panique…
Ça va faire une sacrée ambiance, le jour où ça va sonner dans le couloir. D’ailleurs, pour éviter les fausses manœuvres, la manipulation est un peu compliquée : il est nécessaire d'appuyer sur les deux boutons en même temps. Mais du coup, il ne faudra pas trop paniquer tout de même…
mercredi 11 novembre 2009
La guerre des tranchées
Quand il fait bien gris et froid et pluvieux en novembre, et tout l'hiver, je pense aux soldats de la guerre de 14-18, et à leur sale vie dans la boue des tranchées. Je sais que c'est un peu idiot, mais je leur fais une petite prière de remerciements. Ils se sont battus et ils sont morts dans l'espoir que notre vie à nous soit meilleure. Qui peut dire si cela a été ou non utile ? Paix à leur âme.
mardi 10 novembre 2009
Chat heureux
Une de mes amies (il s’agit de Jeanne Siaud-Facchin, psychologue marseillaise spécialiste des surdoués) m’envoie un jour cette photo de son chat, endormi sur son bureau, dans une pose béate comme seuls les chats peuvent en adopter, devant un de mes livres sur le bonheur, dont la couverture est précisément un chat, au sourire tranquille.
Contagion du bonheur : je me sens aussitôt heureux moi aussi, même si je sais que le chat n’a sans doute pas lu mon livre.
Heureux de la coïncidence, heureux que Jeanne ait pensé à moi et pris la peine de m’envoyer la photo. Petite bouffée de bonne humeur qui va me faire du bien maintenant, et plus tard, de temps en temps, quand je retomberai sur la photo.
Merci Jeanne !
lundi 9 novembre 2009
Trop comme il faut
Mon copain Massimo l’autre jour au téléphone : « Il est sympa ton blog, mais c’est trop gentil ! Tous ces efforts pour progresser, ça finit toujours bien, tu n’en as pas marre à la fin ? »
Et pour me convaincre, il me raconte les moments où, au cours de nos aventures communes, je me mettais en colère, je rouspétais, je faisais la tête ; bref, pas comme dans le blog. Il me raconte notamment une terrible colère, une colère homérique, comme dans l’Iliade, lors d’une ballade dans les Pyrénées…
Ben oui. C’est vrai tout ça ! Merci Massimo, ça va me permettre de faire trois précisions.
D’abord, en pensant à ce passé, je mesure à quel point on peut changer ; d’idéaux, de comportements. Même si rien n’est jamais acquis, même si c’est du boulot à perpétuité.
Ensuite, même s’il me semble ne pas le cacher, que je ne suis pas toujours paisible et détendu, toujours zen. J’ai l’impression que je décris surtout, dans mes livres et mon blog, mes efforts et idéaux pour l’être davantage. Mais peut-être n’est-ce pas si clair ?
Enfin, il me semble que raconter des anecdotes sombres ou pessimistes, montrant à quel point le genre humain est indécrottable ou irrécupérable, est trop facile, que d’autres le font mieux que moi, avec plus de férocité et d’humour. Et surtout que c’est anti-thérapeutique, et je suis thérapeute ; que c’est anti-changer-le-monde, et j’ai envie que le monde change.
Voilà. Désolé pour celles et ceux que le côté boy-scout, que j’assume totalement, lasse parfois. Il n’y a aucun souci avec ça : il existe suffisamment d’endroits sur le Net où le pessimisme, la bile et le ressentiment envers le genre humain se déversent à jet continu.
Il suffit d’un petit clic !
Illustration : Jean-Baptiste Greuze, Jeune fille pleurant son oiseau mort.
vendredi 23 octobre 2009
Bonnes vacances
PsychoActif va s’interrompre pendant 15 jours pour cause de vacances (scolaires, et un peu de rabiot) : l’occasion de faire un petit point...
Merci de votre fidélité : nous sommes de plus en plus nombreux à réfléchir et discuter autour de ces moments que nous offre la vie quotidienne de nous interroger et de progresser. Chaque jour, avec intérêt et curiosité, je lis vos interventions.
La plupart sont approbatrices, cela me fait plaisir. Certaines sont parfois critiques, et cela aussi m’est utile. Presque toutes sont contributrices : elles nourrissent et élargissent la discussion, nous apprennent de nouvelles choses, nous entraînent vers de nouveaux thèmes.
Je n’interviens presque plus dans les débats, non parce que cela ne me concerne pas, vous l’avez compris, mais parce qu’il me semble qu’il s’agit d’une discussion entre mes invités, qui sera plus féconde si je ne m’y implique pas. Moi, j’ai déjà parlé et donné mon avis. Je préfère ensuite suivre la conversation depuis la cuisine à côté, tout en préparant le plat suivant…
Encore une fois, merci beaucoup d’enrichir ainsi cet espace de discussion sur les petits riens de notre quotidien.
Bonnes vacances à celles et ceux qui en prennent, bon courage pour les autres, et on se retrouve le lundi 9 novembre.
Illustration : un beau départ en vacances ; carte postale trouvée à Dresde, dans un vieux stock datant du temps de l'Allemagne de l'Est.
jeudi 22 octobre 2009
Avant d’ouvrir ton smoothie, fais-lui danser la Tecktonik !
Un jour, je prends dans le frigo un smoothie, vous savez ces jus de fruit épais, avec la pulpe, à la mode. Au moment d’y planter ma paille, je regarde la boîte, rigolote, pleine de couleurs et de petits textes en lettres colorées.
On m’y explique gentiment qu’il faut secouer l’emballage de mon jus de fruit avant de le boire : « Avant d’ouvrir ton smoothie, fais-lui danser la Tecktonik ! » Ah, d’accord, je secoue, je secoue. Bon, c’est plus sympa que le classique « agiter avant ouverture ». Et au moment de planter ma paille, je vois écrit à l’emplacement du trou : « Fait noir là-dedans ! » Pfff. Du coup, j’arrête de lire tous ces trucs, ça me rappelle trop les gamins pendant leur petit-déjeuner, encore mal réveillés, en train de lire les textes pas très futés écrits sur leurs paquets de corn-flakes.
Puis, je ne sais pas pourquoi, ça me donne un petit coup de vieux. Enfin si, je sais pourquoi : je me sens un peu loin de ce vocabulaire. Mais ça me fait sourire en même temps : c’est bien comme ça, que je ressente de temps en temps des petits coups de vieux. S’il n’y avait pas régulièrement toutes ces micro-occasions, tous ces petits rappels de notre âge réel, nous serions scandalisés de vieillir puis de mourir. Ne pas vouloir faire danser la Teccktonik à son jus de fruit malgré les injonctions, l’air de rien, ça nous prépare à accepter, à renoncer, à assumer notre âge. Où est le problème ?
Sinon, vieillir, c’est continuer de se sentir jeune dedans et constater tout à coup avec perplexité, parfois avec effroi, qu’on fait vieux au-dehors…
mercredi 21 octobre 2009
Tristesse
"
La tristesse descend et se pose comme la nuit, comme le brouillard, comme la neige, sur toute chose sans discrimination."
Éric Chevillard, dans son blog L'Autofictif, le 14 octobre 2009.
Éric Chevillard, dans son blog L'Autofictif, le 14 octobre 2009.
mardi 20 octobre 2009
Sourire dans le métro
L’autre jour, j’étais dans le métro. Je regardais les autres voyageurs, j’aime bien ça : les observer (aussi discrètement que possible), me demander qui ils sont, quel genre de vie ils mènent, qu’est-ce qu’ils font dans la vie, où ils vont, à quoi ils sont en train de penser ou de rêver ?
Comme j’étais de bonne humeur, j’étais aussi sensible au fait que peu d’entre eux souriaient ou avaient l’air de bonne humeur. Juste un ou deux visages légèrement souriants dans le wagon. Mais ça faisait du bien de les regarder. Alors je me suis joint à ce petit concert discret : j’ai tiré doucement sur mes zygomatiques et je me suis mis un tout petit sourire sur le visage. Pas trop gros pour ne pas incommoder ou déranger. Juste le petit sourire tranquille, les yeux dans le vague, de la personne qui pense à ses vacances ou aux gens qu’elle aime ou à quelque chose d’agréable qu’elle a vécu ou qu’elle va vivre. Juste comme ça, pour participer à l’amélioration de l’ambiance dans le wagon de métro. Pour tenter de faire doucement sourire, à mon tour, celles et ceux que ça intéressait de regarder les têtes des autres…
lundi 19 octobre 2009
428
« 428 est une année sans autre événement mémorable que la chute du royaume d'Arménie, perdu aux confins d’un Empire romain déclinant. Pourtant, cette année ordinaire est loin d’être une année sans histoire : rien n’est fait, rien n’est joué, tout est en train de changer. Le paganisme s’étiole avec panache, les nouveaux gouvernants ont des noms qui quelques années auparavant auraient semblé barbares. Les temps changent, imperceptiblement : le crépuscule de l’Antiquité devient l’aube du Moyen Âge… »
J’ai été fasciné par ce livre qui raconte une année ordinaire d’un monde finissant. Une année banale, que personne n’a particulièrement retenu dans l’Histoire, qui ne figure dans aucun manuel. Mais si riche en événements, en personnages incroyables.
Comme 2009.
Comme nos vies.
Comme nous.
Tout petits, tout perdus face à l’immensité du temps qui avance.
Mais tout vivants, présents, riches et incroyables.
Illustration : le livre 428, aux Éditions des Belles Lettres.
vendredi 16 octobre 2009
Pas contente, la dame ?
Avec ma fille aînée, il y a plusieurs années, alors qu’elle avait 3 ou 4 ans. Nous passons devant une grande affiche publicitaire, où des mannequins prennent la pose pour vanter une marque de vêtements. Je sens sa main qui tire la mienne pour que nous nous arrêtions, et je la vois qui observe attentivement l’affiche, le regard sombre et concentré.
Je lui demande ce qu’elle regarde, elle me répond vaguement que rien, qu’elle regarde juste l’affiche, puis nous repartons. Quelques minutes plus tard - comme d’habitude avec elle, chez qui les grandes questions arrivent toujours après un temps d’incubation – elle me demande : « Papa, pourquoi ils avaient l’air pas content, les gens sur la photo ? »
OK, j’ai compris… Son arrêt prolongé devant l’affiche, c’est qu’elle cherchait la clé de l’énigme : si ces gens font la tête, c’est qu’il y a un problème : ils se sont disputés, il y en a un ou une qui a fait une bêtise, qui a cassé un truc. Et du coup, ils ne sont pas contents. Mais elle n’a rien trouvé dans la pub qui révèle la clé de l’énigme : juste de beaux jeunes gens, bien nourris, bien vêtus, mais qui font la tête, l’air pas contents, sans qu’on perçoive clairement pourquoi.
Comment lui expliquer ça ? Comment me l’expliquer moi-même, d’ailleurs ? Je suppose que si on leur a dit de prendre cette tête peu avenante, comme on le voit régulièrement sur certaines pubs depuis les années 90, c’est pour de « bonnes » raisons, en termes de pub : ça change des sourires niais de certaines autres pubs ; ça donne un air supérieur et dominant, de sembler mépriser les passants ; ça attire l’attention (la preuve…). J’ai dû répondre à ma fille un truc du genre : « oh, ils font un peu leurs malins pour qu’on les regarde, je suppose ». J’ai dû lui demander aussi : « tu en penses quoi toi ? », mais il me semble qu’elle ne m’a rien dit, elle n’avait pas d’idée précise. Parce que pour elle, à l’époque, si on faisait ce genre de tête, c’est qu’il y avait un problème.
Elle est depuis devenu adolescente, et certains jours, elle adopte la tête "mannequin-pas-content" dès le petit déjeuner. La faute à l’adolescence ou à la pub ? Ou la faute à personne : la vie, c’est comme ça…
Illustration : mannequin pas content, dans le magazine Elle.
jeudi 15 octobre 2009
Jardinier
Dans les moments de grande surchauffe professionnelle, comme en ce moment, je rêve d’être jardinier.
Je m’imagine tranquille en train de bêcher, ratisser, planter, tailler. Entouré du chant des oiseaux, respirant de l’air pur. Personne pour me mettre la pression. Du temps devant moi pour m’arrêter, sourire en regardant passer un nuage, tomber une feuille, s’envoler une coccinelle.
Je sais que la vraie vie des vrais jardiniers ne ressemble pas toujours (ou pas du tout ?) à ça. Mais ça me fait du bien d’en rêver un instant.
Devenir jardinier, dans mon cas, fait partie de ces « illusions chaleureuses" dont nous avons tous besoin, par moments…
Illustration : publicité trouvée dans ma boîte à lettres, mais je n’ai pas testé ce Christophe jardinier, c'est donc une pub SGDCA (« Sans Garantie De Christophe André »).
mercredi 14 octobre 2009
mardi 13 octobre 2009
Rechute
Vous n'allez pas le croire, j'ai encore eu une histoire avec un 4x4 ! Décidemment…
Hier matin, dans une petite rue tranquille, je traverse au passage clouté (sans regarder le feu, j’avoue). Il n’y avait pas de voiture à l’horizon. Et là, poum !, un 4x4 qui déboîte un peu vite d’un croisement proche, et que je force à freiner pour finir de traverser. Pas contente, la conductrice m’envoie un coup de klaxon, et me montre le panneau piéton au rouge, d’un petit mouvement autoritaire. Pas d’insultes ni de gestes agressifs. Mais ça m'agace quand même.
Oui, mon premier réflexe, c'est l’agacement : « Eh, ho ! t’as qu’à rouler moins vite », que je me dis. « J’étais sur un passage piéton avant que tu ne déboules, tout de même ! Même si c’était au rouge... Je n’ai pas sauté devant tes roues exprès… »
Puis je me souviens de mes résolutions en faveur des 4x4 (voir la discussion d'hier). Et surtout, je me dis que j’étais tout de même en tort. Que c’est plus simple de cohabiter dans la ville si chacun respecte les règles. Et que la dame a raison, même si elle roule dans une trop grosse voiture. Euh, non pardon, ça, c'est de trop...
Désolé, madame, vous avez raison, je n’aurais pas du traverser au feu rouge. Et si je me fais klaxonner dans ce cas-là, je le prends pour moi. J’assume.
Mais c’eut été plus cool si vous m’aviez fait le petit geste vers le feu piéton au rouge avec un grand sourire. C’est ça : j’aurais été plus sensible à cette petite « correction fraternelle » comme disent les chrétiens, si vous me l’aviez administrée avec le sourire plutôt qu’avec un coup de klaxon et les sourcils froncés.
J’en demande trop ? Peut-être. Mais si on s’y mettait tous, la vie serait un peu plus agréable et surprenante et enrichissante, non ? Alors je me suis dit que si ça m'arrive à nouveau, je commencerai par ma part de boulot, je ferai un petit signe d'assentiment à la dame. J'essayerai. En plus, peut-être aura-t-elle changé de voiture...
Illustration : Dispute de chats, de Goya.
lundi 12 octobre 2009
Mes copains en 4x4
J’ai des préjugés. Plein de préjugés. Comme tout le monde, d’accord, mais quand même, j’aimerais bien en avoir moins.
Les 4x4 par exemple (voir mon billet du 24 septembre). J’avoue que les conducteurs de 4x4 démarrent dans mon estime avec des points en moins ; s’ils sont sympas et tout ça, je change d’avis sur eux, quand même. Mais ils partent de plus bas que les conducteurs de 2CV ou de 4L. Bon, si je vous parle de ça, vous vous doutez que j'ai une histoire à vous raconter. La voici...
L’autre jour, alors que je venais animer un atelier pour des collègues dans le Sud de la France, le copain qui vient me chercher à la gare arrive dans un magnifique et énorme 4x4, rutilant, géant. Glups…
Je ne sais pas trop comment on se met à parler de ça, mais ça y est, on aborde le sujet : les conducteurs de 4x4. Je lui avoue mes a priori négatifs. Il me dit : « Je sais, je sais ; je lis ton blog de temps en temps ». Re-glups…
Et il me raconte le pourquoi du comment : gamin, il rêvait du Paris-Dakar, s’imaginait en pilote de rallye. Alors devenu grand, devenu docteur, un jour, au moment de changer de voiture, il a commis l’erreur fatale : il est allé se renseigner, « comme ça, pour voir », chez un concessionnaire spécialisé en 4x4. Fichu, cuit, piégé. Il en est ressorti avec un gros 4x4.
Et il me raconte comment il se fait régulièrement foudroyer du regard, apostropher par d’autres conducteurs agacés. Comment on ne pardonne pas aux 4X4 ce qu’on pardonne aux petites voitures : bloquer une rue quelques minutes pour décharger des bagages, se garer sur le trottoir. Tout de suite, les pensées agressives jaillissent, et parfois les paroles : « ils se croient tout permis avec leur grosse bagnole ! » Et il me raconte comment, du coup, se sentant catégoriellement mal-aimé, il essaie de son mieux de, justement, conduire doucement, laisser passer les piétons, accorder la priorité sans rechigner, etc. Pour qu’on lui pardonne de rouler dans son gros jouet.
Je l’écoute en souriant. Bon, c'est vrai, au fond, tous les préjugés sont à repousser ; je vais essayer désormais de ne pas juger trop vite ces conducteurs. Et quand ils feront des trucs agaçants, me demander : « s’ils étaient dans une petite voiture, tu dirais la même chose ? »
Je vous tiens au courant…
vendredi 9 octobre 2009
Nos têtes de 20 ans
L'autre jour, j'étais invité à Tarbes à un congrès médical, de gynécologie plus exactement (pour y parler de l'estime de soi et de l'image du corps). Cela m'a permis d'y retrouver vieux copains et copines du temps de mes études de médecine à Toulouse : trois amies gynécologues, un ami chirurgien.
J'étais un peu ému de ces retrouvailles, tant d'années après (presque 20 ans que j'ai quitté Toulouse). Et rassuré, bizarrement, de les reconnaître si facilement : il me semblait qu'ils n'avaient pas changé, même sourires, mêmes regards, mêmes expressions du visage, même façon de parler. Malgré les rides au coin des yeux, l'impression que le temps n'a pas été si cruel avec nous. Est-ce du déni, de l'autosuggestion ? Ou est-ce que nous ne sommes pas encore devenus vieux, vraiment vieux ?
Dans l'avion du soir qui me ramenait à Paris, en regardant par le hublot, je repensais à ces visages des vieux amis. Tout songeur. Vagues successives d'états d'âme. Douce joie de les avoir revus, d'avoir reparlé du bon vieux temps. Puis douce tristesse de la conscience de ce temps qui a, malgré tout, passé. Je repense (encore ! voir le billet d'hier...) à la chanson de Léo Ferré : "Avec le temps, va, tout s'en va..."
Mais non, Léo, tout ne s'en va pas. Pas complètement. Pas tout. Il nous reste plein de souvenirs heureux. Et de souvenirs futurs. Je sais que dans quelques années, je repenserai avec bonheur à ces retrouvailles, à la douceur de l'automne pyrénéen qui les baignait. Content malgré tout qu'on se soit revus. Peut-être pour la dernière fois ? Peut-être, mais heureux quand même, vraiment, tout au fond de moi.
Illustration : ma tête à 20 ans, dessiné par un ami de l'époque, Patrick, qui étudiait alors aux Beaux-Arts et qui est depuis devenu... psychiatre !
jeudi 8 octobre 2009
Les mots des pauvres gens
J'ai toujours été touché par ce passage de la chanson de Léo Ferré, Avec le temps, ce passage où il parle des "mots des pauvres gens" :
Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid...
Ces mots simples, pour exprimer le souci de l'autre, qu'on aime, auquel on est attaché, et à qui on exprime son attachement et son amour juste en lui disant des choses plates, évidentes, matérielles. Pauvres, finalement. Mais parce qu'on n'a jamais appris à parler riche, à parler poésie, émotions, sentiments. Parce que la vie n'a jamais permis qu'on l'apprenne. Parce qu'il y avait d'autres urgences, d'autres nécessités, d'autres priorités.
Illustration : Vincent Van Gogh, Les mangeurs de pommes de terre.
mercredi 7 octobre 2009
Une patiente
Une patiente qui a du mal dans la vie, plein de problèmes psychiatriques. Du mal, beaucoup beaucoup de mal, à se faire des amis. Et à les garder. Heureusement, elle a une soeur qui l'aime et s'en occupe de son mieux. Elle l'invite souvent et lui présente ses connaissances à elle. Alors la patiente me résume ça d'une formule lumineuse : "Ma soeur est très sympa avec moi, elle me prête ses amis..."
mardi 6 octobre 2009
Tiens-toi droit(e) !
Notre état mental s’exprime largement au travers de notre corps. Par exemple, lorsqu’on est triste, on a tendance à baisser les yeux, à parler plus lentement, d’une voix plus grave.
Et ce que de nombreuses études scientifiques montrent aussi, c’est que la manière dont nous nous tenons (que notre posture soit droite ou voûtée, etc.) influence en retour notre mental. Si l’on fait par exemple remplir des questionnaires de satisfaction existentielle à des volontaires, on obtient des résultats différents selon qu’on leur ait fait passer ces questionnaires sur une petite table basse, qui les force à se voûter et à se rabougrir, ou sur un pupitre assez haut, leur permettant de tenir tête et corps bien droits. Remplir le questionnaire dans une posture repliée modifie la satisfaction à la baisse, et à l’inverse, le remplir dans une posture droite pousse à la hausse.
Quand vos parents vous disaient : « tiens-toi droit(e) ! », vous ricaniez ? Vous aviez l’impression que cela ne servait à rien ? Eh bien, vous aviez tort.
Au fait, j’espère que vous n’êtes pas en train de lire ces lignes tout(e) avachi(e) ?!
lundi 5 octobre 2009
Entraînement de l’esprit
Pourquoi la méditation est-elle ainsi devenue, depuis quelques temps, en plus d’un outil de psychothérapie à part entière, un quasi-phénomène de mode ?
C’est très logique. Nous éprouvons le besoin de faire du sport au fur et à mesure que nous sommes sédentarisés et suralimentés. Et nous éprouvons le besoin d’exercices d’intériorisation – comme ceux que propose la méditation - au fur et à mesure que nous sommes sursollicités, soumis à un tapage constant (musique permanente, publicités omniprésentes), submergés sous les interruptions et les vols d’attention (coups de téléphone, SMS, mails, Twitter). Si nous n’y prenons pas garde, nous allons devenir des handicapés de l’intériorité, incapables de penser ou de contempler de manière continue plus de trois minutes, comme d’autres sont incapables, à cause du manque d’entraînement, de courir plus d’un quart d’heure.
Voilà pourquoi cultiver notre intériorité n’est pas seulement un luxe, mais une nécessité.
Illustration : derviche tourneur découpé dans une revue (Télérama ?)
vendredi 2 octobre 2009
Psychologie positive
L’autre jour, j’animais un atelier pour thérapeutes sur le thème de la Psychologie Positive. Nous étions en train de réfléchir à des exemples de ces moments de vie où nous nageons dans le stress, mais qui, avec quelques jours ou mois de recul, s’avèrent ne pas avoir été si graves. C’est très utile de réfléchir régulièrement à de tels instants, où nous déclenchons de grands branle-bas de combat émotionnel - rages, afflictions, énervements - pour des événements finalement de peu de portée sur le cours de notre vie. Comme le disait Cioran, « nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes ».
Bref, chacun – c’était l’exercice - réfléchissait à des exemples concrets. Un de mes collègues lève alors la main pour raconter son histoire. La voici, telle que je l’ai mémorisée, j’espère que je ne le trahis pas trop…
« J’étais en vacances dans un bel endroit du Sud de la France, sur une route complètement déserte, et ma voiture tombe en panne. À l’époque, pas de portable, aucun moyen d’appeler au secours assurances, dépanneuses ou garagistes. Il me fallait donc faire 7 ou 8 km à pied jusqu’au village voisin. Je les ai faits en pestant. Mais ce qui est bizarre, c’est qu’aujourd’hui, quand je repense à ce moment, ce n’est pas le souvenir du stress qui me revient, mais celui de la beauté du paysage dans lequel j’ai marché pendant une heure…. »
J’ai adoré ce petit récit : lorsque le stress nous submerge, il occulte et recouvre tout ce qu’il y a de bon ou de beau dans la situation. Et ce n’est que lorsqu’il reflue, par exemple avec le temps, que le beau et le bon peuvent réapparaître. C’est bien de s’en rendre compte et de savourer, au moins après coup. Mais évidemment, pouvoir faire le boulot à chaud, arriver à se dire « OK vieux, c’est hyper-énervant, voilà, c’est bon. Maintenant, tu fais quoi, tu fulmines pendant une heure ou tu marches en admirant ? », c’est exactement ce que l’on cherche en psychologie positive. Pas seulement limiter le stress (c’est le travail, nécessaire, que l’on fait en psychothérapie) mais aussi cultiver régulièrement nos capacités à admirer, nous réjouir, extraire le positif du négatif ; c’est l’ambition de la psychologie positive : donner encore plus de place aux émotions positives, pour qu’elles gênent la croissance des négatives.
Comment ? Une question dans le fond de la salle ? Pour moi ? Si je me serais énervé moi aussi dans cette situation ? Hélas, je dois avouer que oui, probablement... Pourquoi croyez-vous que je me passionne pour la psychologie positive ?!!
Illustration : les gorges de la Dordogne, par l'excellent Frédéric Richet.
jeudi 1 octobre 2009
Fin de thérapie ?
On nous pose souvent la question de savoir quand arrêter une thérapie.
On le voit à peu près (et encore, pas toujours…) dans les thérapies comportementales, ciblées sur la diminution ou la disparition d’un problème, l’atteinte d’un objectif défini au départ. Mais pour les autres, les thérapies de soutien, les thérapies humanistes, etc., comment savoir ?
J’ai l’habitude de répondre que la fin d’une thérapie, c’est quand le patient commence à s’ennuyer, à avoir le sentiment de tourner en rond, le sentiment qu’on se répète ou qu’on ronronne. C’est parfois confortable, la question n’est pas là. Mais ce n’est plus vraiment de la thérapie.
Il me semble qu’alors, il vaut mieux espacer, puis interrompre. Quitte à reprendre autre chose, ailleurs, si besoin. Ou à revenir plus tard. Ou tout simplement à arrêter toute forme de thérapie, et à continuer de progresser sur d’autres chemins.
Enfin, tout ça, ce n’est que mon avis…
mercredi 30 septembre 2009
mardi 29 septembre 2009
Mamma ! Perché mi hai fatto cosi bello ?
Quand j’étais étudiant, nous partions souvent en vacances en bande de copains, parmi lesquels mon pote italien Massimo. Massimo était (et est resté) un personnage jovial, toujours prêt à rire de lui comme des autres, et féru de psychologie. Un matin, alors que nous étions plusieurs dans les toilettes d’un camping, en train de nous raser face aux lavabos, il arrive après tout le monde, comme à son habitude, s’installe en chantant, se douche, se rase. Puis, il contemple un instant le résultat de tous ces soins dans le miroir, se caresse les joues, tourne la tête à droite, à gauche, avance, recule, avec l’air ravi de celui qui découvre ou redécouvre un merveilleux spectacle. Et finit par s’écrier : « Mamma ! Perché mi hai fatto cosi bello ? » (Maman ! Pourquoi m’as-tu fait aussi beau ?) Éclat de rire général dans le groupe, grosses blagues pour le remettre à sa place. Mais Massimo s’en fiche, il rit encore plus, et repart en sifflotant se choisir une belle chemise pour la journée. Quelques secondes de silence suivent son départ. Il me semble entendre chauffer les neurones : combien d’entre nous, dans le groupe, sont en train de se demander si eux aussi se trouvent beaux, se plaisent ainsi à eux-mêmes ? Et combien d’entre nous sont capables d’avoir de telles pensées spontanément et joyeusement positives en se regardant dans le miroir, chaque matin ? Massimo est content de lui, mais jamais frimeur ni prétentieux. Il s’aime bien c’est tout.
Illustration : Le Roi, de Grégoire Solotareff
lundi 28 septembre 2009
La paix du Christ
J’aime bien ce moment de la messe où les paroissiens se tournent les uns vers les autres pour se souhaiter « la Paix du Christ ». Proches, voisins, ou inconnus, on tente alors, au travers d’un regard et d’un sourire, d’une poignée de main ou d’une accolade, de faire passer un peu d’amour inconditionnel à son prochain.
J’aime ce geste qui renforce et incarne le discours, qui concrétise l’intention.
Je suis un indécrottable comportementaliste…
Illustration : merci à Philippe pour la carte postale
vendredi 25 septembre 2009
Amour et schizophrénie
Une jeune femme qui a sollicité une consultation avec moi à Sainte-Anne. Le regard triste et fatigué des personnes qui n’ont pas eu de chance dans la vie. Mais le sourire tranquille de la confiance, de la présence au monde, de la conviction que l’existence a du sens et de l’intérêt, malgré tout. Elle est venue me raconter son histoire, sans vraiment avoir de conseil à me demander. Elle veut juste avoir mon avis. Souvent les gens pensent que je suis sage parce que j’ai écrit des livres. Je ne démens pas, à quoi bon ? Je fais juste de mon mieux, bien conscient que ce sont souvent mes visiteurs qui me nourrissent de leur sagesse, que, souvent, ils ne voient pas.
Elle me raconte sa vie. Et surtout sa vie de couple : elle s’est mariée avec un garçon qui souffre de schizophrénie. Ce n’était pas si clair, au début de leur liaison : « il n’était simplement pas comme les autres ». Puis, peu à peu, la maladie s’est installée, et a pris beaucoup de place dans leur couple.
Une schizophrénie sévère, avec délires, hospitalisations, et difficultés en tous genres. Alors, la vie n’est vraiment pas drôle dans les périodes où il va mal, qui sont fréquentes. Beaucoup de personnes lui ont recommandé de le quitter, plus ou moins ouvertement, plus ou moins délicatement. Et dans le lot, pas mal de soignants, médecins, infirmières. Elle a toujours refusé : « Vous comprenez, je l’aime. Est-ce qu’on quitte quelqu’un qu’on aime parce qu’il est malade ? » Nous discutons de cela : personne ne nous recommanderait de quitter notre conjoint s’il était atteint de cancer, ou de sclérose en plaques, ou de diabète. On trouverait que ce n’est pas très digne. Alors pourquoi est-on tenté de le faire pour la schizophrénie ?
Au bout d’un moment, elle me pose la question qui la tracasse : « Vous pensez que c’est par masochisme ? » Elle a souvent senti que c’était le jugement que l’on portait sur elle. Ben non, je ne trouve pas que cela soit du masochisme, de la façon dont elle me raconte leur histoire. Elle n’aime pas son homme parce qu’il est malade (au contraire, lorsqu’il est malade, il lui pèse) mais malgré sa maladie. Ce n’est pas du masochisme, mais de l’amour, et de l’honnêteté, et du courage. Et de la grandeur, finalement. Non, vraiment, je n’ai pas envie de m’embarquer sur la piste du masochisme pour expliquer son choix de vie, si bizarre vu du dehors. Plutôt envie de l’admirer.
Je lui délivre des paroles de compréhension, de compassion, d’estime. Lorsque nous nous quittons, je lui serre longuement la main. Je retourne m’asseoir, un peu sonné. L’impression que c’est moi qui ait reçu une consultation, que c’est moi le patient, elle le thérapeute, et qu’elle m’a donné plus que je ne lui ai donné. Je me répète : « Elle est forte, cette fille ». C’est bon d’admirer…
On peut admirer de belles choses, de beaux paysages, de beaux nuages. Admirer des personnes célèbres et reconnues, pour leurs talents ou leurs forces. Mais le plus bouleversant, le plus réjouissant, c’est d’admirer les gens ordinaires. Surprise, intérêt, puis reconnaissance : on se réjouit, on sourit, on est content d’être humain, d’avoir vécu cet instant. On se dit que cela va nous être une leçon de vie, que l’on va s’en inspirer. Et on essaye…
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