lundi 18 juin 2018

L’amour ne suffit pas pour mettre un couple en joie



Quel boulot, la vie de couple !

Au début on croit que le plus dur, c’est de trouver l’amour. Puis, on réalise que l’amour ne suffit pas, qu’il faut aussi faire des efforts ! Et que les lois du couple  ressemblent à celles de la créativité, vous savez : « le génie, c’est 10% d’inspiration et 90% de transpiration ». Et bien pour le couple, c’est pareil : 10% de transports (amoureux) et 90% d’efforts (laborieux). Bon, les proportions peuvent varier, mais ne comptez pas laisser tout le boulot au conjoint et à l’amour, et vous en tirer avec moins de 50% d’efforts !

Hélas, hélas, un des problèmes que nous avons toutes et tous, c’est que nous aimerions bien ne pas avoir à les conduire, ces efforts, nous aimerions bien que notre couple carbure juste à l’amour et à l‘eau fraiche. C’est vrai que la tendre propagande, belles histoires et jolies chansons, nous vendant l’évidence du grand amour est ancrée très profondément dans nos petits cerveaux…

Alors ça, le mythe du grand amour facile, on peut dire que ça aura donné du boulot aux thérapeutes de couple ! J’en ai fait autrefois des thérapies de couple : j’ai vite arrêté, car je ne connais rien de plus difficile, de plus fatigant, stressant et frustrant pour un psychothérapeute.

Par contre, ça m’a permis de comprendre tout un tas de règles passionnantes sur la vie à deux.

Par exemple, que les conflits et les désaccords ne sont pas un problème. La différence entre couples fonctionnels et couples dysfonctionnels ne se situe pas dans la présence de crises, mais dans l’art de sortir des crises. La manière dont on discute rapidement du désaccord, le souci de chercher une solution plutôt qu’un coupable, la capacité à ne plus en reparler sans arrêt ensuite pour coincer l’autre, c’est là que l’on peut voir si le couple a de l’avenir ou pas, en tant que couple heureux en tout cas. Parce qu’on peut aussi rester en couple en se faisant la guerre…

Une autre loi, c’est celle du ratio de Losada (aujourd'hui contesté), du nom du chercheur qui a mis le premier en évidence ce rapport de 3 pour 1 : l’équilibre émotionnel c’est 3 émotions positives pour 1 émotion négative (inutile de viser le 100% d’émotions positives). Et l’équilibre conjugal, c’est pareil : au moins 3 échanges agréables pour un échange conflictuel. Prendre le temps de passer des bons moments avec notre conjoint nous permettra ensuite de mieux nous embrouiller avec lui ; mieux, au sens de « plus intelligemment », bien sûr !

Je pourrais continuer longtemps, car les règles, préceptes et recommandations sur le couple sont innombrables, mais il me semble qu’il y en a une petite dernière qui vaut la peine d’être rappelée : malgré tous ces efforts nécessaires, on n’arrivera jamais à tout mettre à plat.

Il y a toujours des parts bricolées et mal fichues dans un couple, des dissensions pas réglées, des zones d’ombre pas clarifiées… C’est là que l’amour est précieux : il sert à les recouvrir, à pardonner, à accepter. Mais quand il se retire, cet amour, comme dans les divorces, les conjoints se demandent comment ils avaient bien pu faire pour supporter tous les défauts de l’autre  pendant des années ! Ça, c’est la part irremplaçable de l’amour dans le couple. Et c’est pour cela que, même s’il ne suffit pas, il faut tout de même qu’il soit là !

Et au fait, vous, vous en pensez quoi de la part d'amour nécessaire dans un couple ?

Illustration : en tout cas, faire la cuisine ensemble et se parler à table au lieu de regarder des écrans, c'est bon pour le couple...

PS : ce texte reprend ma chronique du 15 mai 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. 


lundi 4 juin 2018

Voir Papa



Je marche dans la rue, derrière deux jeunes femmes, dont une maman, qui pousse son bébé dans un landau.

Elles sont en pleine discussion, mais de temps en temps la maman s’arrête pour s’adresser au bébé, qui lui fait face. Elle lui parle gentiment, avec ces intonations que l’on a lorsqu’on s’adresse à des jeunes enfants qui ne peuvent pas nous répondre : «  Tu veux voir papa, hein ? Oh oui ! Tu veux le voir, hein, ton papa ! » Le bébé doit avoir un large sourire et les yeux pétillants, car les deux jeunes femmes le regardent en riant elles aussi, et s’exclament sur lui.

Ça m’intéresse de savoir ce qu’en pense le bébé, alors j’accélère pour les dépasser. En fait, il n’en pense probablement rien : je vois sa petite tête réjouie, il doit avoir 2 ou 3 mois, et en dehors du fait qu’il est bien éveillé et tout heureux d’entendre la voix joyeuse de sa maman, je ne crois pas qu’à cet instant il ait un avis personnel élaboré sur les éventuelles retrouvailles avec son papa.

C’est plutôt la maman qui a très envie de revoir le papa. Et apparemment, elle souhaite que son bébé en ait autant envie qu’elle ! C’est touchant et limpide. C’est dans ce genre de petits moments de rien du tout que les mamans font (ou pas) une place privilégiée aux papas, en les faisant exister dans le désir de l’enfant. Si ce travail n’est pas fait, régulièrement, joyeusement, les choses sont certainement plus délicates pour le père. Je suis en train d’assister à une vraie leçon de micro-psychologie, cette psychologie des tout petits détails, qui accumulés, finissent par compter…

Après les avoir dépassées, je ralentis un peu le pas pour continuer d’apprendre des choses passionnantes. Mais la maman parle désormais de sa reprise de travail avec la copine qui l’accompagne. Bon, je ne vais pas passer ma journée à les espionner, j’accélère ; j’allais où, déjà ?

Plus tard, en repensant à la scène, je me demande si un papa aurait eu le même genre de réflexe. Est-ce qu’un père impliqué (comme le sont de plus en plus les jeunes pères) aurait pensé à dire « tu veux voir maman, hein ? » Je n’en suis pas si sûr. D’abord parce que ça nous semble évident, à nous les papas, qu’un bébé veut revoir maman. Puis parce qu’on y pense moins, qu’on est moins attentifs ; et peut-être plus égoïstes.




Du coup, je ressens à ce moment de la gratitude pour mon épouse, dont je pense qu’elle a du échanger avec nos trois filles des tas de petites paroles semblables, qui m’ont bien facilité la tâche, et permis de prendre ma place de papa gâteau encore plus facilement. Puis de l’admiration pour toutes les mamans du monde, qui font ainsi, discrètement et intelligemment, de la place aux papas. Ce petit bout de vie de 5 minutes m’a appris, nourri et réjoui. Comme c’est intéressant d’exister !

Illustration : Un couple en vacances à la montagne (le bébé est dans la voiture, au calme).


PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en mars 2018.