lundi 31 janvier 2011

Au revoir et merci


1) Merci, pour commencer.

Merci à celles et ceux qui ont lu et soutenu ce blog par leur présence. Qui ont critiqué et discuté les idées sans agresser les personnes. Qui ont raconté, proposé, encouragé, expliqué sans juger ni persifler. Qui ont consolé et réconforté. Qui se sont révélé(e)s sans s’étaler. Qui ont parfois, ou souvent, pris beaucoup de place, mais avec sincérité.

Merci, du fond du coeur, c’était un vrai plaisir de vous lire et de partager ce blog avec vous.

2) Merci et au revoir : PsychoActif va s’interrompre quelque temps.

Pour des raisons logiques : usure, fatigue, contrainte liées aux billets quotidiens.

Et par constat, aussi, que le système que je souhaitais ne marche pas parfaitement : il y a trop d’énervements, trop de souffrances provoquées par les discussions. Trop d'invectives et d'agressions envers les personnes. Ce n’est pas ce que je voulais pour PsychoActif : j’aurais préféré qu’on y discute des idées proposées dans le billet puis le débat, et non qu'on agresse celles et ceux qui les proposaient.

3) Cela va nous faire du bien à toutes et à tous d’aller prendre un peu l’air ailleurs. Pour ma part, je garderai un très bon souvenir de notre aventure intellectuelle et émotionnelle commune. J’ai appris beaucoup de choses, vraiment. J’ai lu et savouré les encouragements. J’ai médité les critiques. J’ai cherché à comprendre les agressions. J’espère qu’il en a été de même pour vous.

Le Printemps est devant nous, les jours rallongent déjà , la vie est belle, le monde est grand : il y a beaucoup à découvrir. Nous allons nous régaler.

Portez-vous bien.
À bientôt, j’espère.
Et à nouveau : merci beaucoup.

PS 1 : je réfléchis à une nouvelle formule pour PsychoActif, qui redémarrera sans doute au Printemps, ou à l’Automne, ou plus tard. Dans tous les cas, je continuerai de signaler publications, conférences et rencontres dans la colonne des actualités, à votre droite.

PS 2 (20 février 2011) : merci pour toutes vos réactions amicales ; je ferme maintenant l'espace des commentaires, qui n'a plus lieu d'être.

vendredi 28 janvier 2011

Une tendance dont je ne me suis jamais débarrassé


Tout petit déjà, j’avais ça : la peur de faire de la peine aux gens.

Attention, pas la peur normale, pas le souci de ne surtout pas blesser en étant méchant, malpoli, agressif.

Non, la crainte excessive, envahissante, inappropriée : par exemple, l’embarras de ne rien acheter au marchand qui me regarde passer, solitaire et sans clients derrière son étal. Ou celle de ne pas avoir donné tout mon argent au mendiant.

L’autre jour ça m’a repris. Dans le train, un obscur embarras est monté en moi parce que je n’achetais rien au monsieur qui passait avec son chariot de sandwichs et de boissons dans le compartiment ; et avant de monter dans le TGV, embarras encore de ne rien acheter au vieux vendeur de journaux posté en bout de quai.

C’est bizarre comment ça me remonte par moments, cette hypersensibilité à la détresse éventuelle d’autrui. Je n’ai jamais clairement compris pourquoi à certains moments j’arrive à m’en déconnecter et pourquoi à d’autres elle me déborde. En vérité, je crois que n’ai jamais cherché à m’en débarrasser vraiment. Il me semble que j’y perdrai un peu en humanité.

Illustration : Famille de mendiants, par Rembrandt.

jeudi 27 janvier 2011

Ne m'oubliez pas !


C'est un rêve que j'ai fait il y a quelques semaines à propos de mon père, mort il y a 3 ans.

Il revient lors d’une réunion de famille, avec l’air pas content, comme si on ne pensait pas assez à lui.
Tout le monde est très embarrassé, évidemment, et par son retour et par la culpabilité.
Tout le monde se demande : c'est vrai, il a raison, est-ce qu’on pense assez à lui ? Est-ce qu'on n'est pas souvent en train de penser à autre chose, de l'oublier tout doucement ?
Et tout le monde est un peu mal (surtout moi) : il a raison de venir nous remonter les bretelles, nous sommes bien en train de commencer à l'oublier.

J'ai encore la sensation de mon embarras au fond de la poitrine.

Je comprends pourquoi les anciens voyaient les rêves comme des signes à respecter : les images sont virtuelles mais les émotions ressenties, elles, sont bien réelles. Vérité du corps, d'autant plus mystérieuse qu'indicible...

Illustration : Squelettes se disputant un hareng saur, un tableau magnifique et dérangeant de James Ensor.

mercredi 26 janvier 2011

Sagesse amère

«Souviens-toi qu’il existe deux types de fous : ceux qui ne savent pas qu’ils vont mourir, ceux qui oublient qu’ils sont en vie.»
Patrick Declerck

mardi 25 janvier 2011

Désamour


"Elle ne l’écoute plus que quand il ronfle."
(Éric Chevillard)

C’est sur le blog du génial écrivain Chevillard.
Et ça décrit en peu de mots l’enfer du conflit conjugal chronique, quand le dialogue n'est plus fait que de reproches, de conflits, de silences. Quand il n'y a plus de tristesse, que du ressentiment.

Illustration : le balcon dit de Juliette, à Vérone.

lundi 24 janvier 2011

On ne peut pas mettre le vent en cage


Tout au long de notre vie, nous sommes confrontés à des phénomènes qui nous dépassent. Ils peuvent nous aider, nous nourrir, nous grandir. Mais aussi nous gêner, nous détruire ou nous faire souffrir.

Certains de ces phénomènes sont extérieurs à nous : il peut s’agir des forces de la nature, comme le vent, ou de ces enchaînements d’événements de vie que certains appellent le destin. Mais il arrive aussi que cela se passe en nous : toute notre vie émotionnelle - l’amour, la peur, la tristesse, la colère - comporte ainsi une large part qu’il est illusoire de vouloir totalement contrôler.

Comme le vent, nos émotions sont puissantes, comme des forces qui vont. Et que l’on ne peut, évidemment, mettre en cage. Faut-il alors se résigner et subir ? Pas forcément.

Accepter, ce n’est pas renoncer. Ce même vent qui détruit et balaye tout ce qui s’oppose frontalement à lui, c’est aussi lui qui fait tourner les moulins, ou avancer les bateaux. Si l’on accepte qu’il soit le plus fort, et si l’on réfléchit à ce qu’il peut nous apporter, alors on comprend vite que ce n’est pas de vouloir le mettre en cage, ou de le contrôler, qui est la bonne démarche. Mais de savoir en tirer le meilleur.

Nos émotions aussi peuvent nous balayer et nous bousculer. Elles aussi, parfois, nous aimerions bien les contrôler et les mettre en cage. Ce serait aussi illusoire qu’avec le vent. Voire encore plus risqué. Nos émotions ne peuvent nous servir que libres : acceptées, comprises et canalisées, et non pas supprimées, refoulées, encagées.

Alors, comment devenir meuniers ou marins de nous-mêmes ?

vendredi 21 janvier 2011

Souviens-toi que je t’ai aimée


Ce sont des voisins à nous, invités l’autre soir à dîner avec d’autres amis, et qui, à la fin du repas racontent un petit rituel de leur vie de couple.

Souvent, quand il part le matin sur son scooter dans la circulation parisienne, et quand il a un peu le cafard,le mari embrasse sa femme en lui disant : «S’il m’arrive quelque chose, souviens-toi que je t’ai aimée.»

Elle, ça la touche et ça la stresse en même temps. D’un autre côté, autant se dire les choses comme ça, puisque c’est vrai qu’on ne sait jamais. Mais bon, ça fait toujours drôle...

L’histoire intéresse ou amuse tous les convives. On voit qu’elle plaît beaucoup aux femmes de l’assistance. Alors notre ami rajoute, peut-être pour les hommes : «Et je lui dis souvent aussi : si je meurs, tu peux refaire ta vie, pas de souci.»

C’est une autre preuve d’amour, peut-être plus forte encore, même si elle est évidemment moins romantique. Mais elle ne convainc pas davantage les hommes.

Les mâles n’aiment pas trop qu’on parle d’amour comme ça, devant tout le monde...

Illustration : "Chéri, tu feras bien attention sur ton scooter, n'est-ce-pas ?" (en vrai, c'est bien sûr le très beau tableau "Jupiter et Thétis", par Ingres, que vous pouvez admirer au Musée Granet à Aix-en-Provence). Pour savoir pourquoi Thétis se prosterne ainsi : cliquez ici.

jeudi 20 janvier 2011

Douleur


C’est un ami qui vient de perdre un enfant.

Je prends de ses nouvelles, lui demandant comment il va, et il me répond :

«Je vais comme je peux aller, nous allons comme nous pouvons aller. Je travaille comme jamais, c'est une manière de faire. Il faut toujours, disait ma grand-mère, que le bonheur s'arrête. C'est ainsi Je t'embrasse.
G.»

Il faut toujours que le bonheur s’arrête.

Bien sûr, nous le savons, évidence...

Mais lorsque c’est lui qui me le dit, dans ces circonstances, la phrase prend soudain un drôle de poids, et une drôle de portée. Plus question d’en sourire, de parler de platitude ou de banalité. Il ne s’agit plus que d’une vérité tragique, à laquelle nous ne pouvons rien faire d’autre que nous rallier...

En ce moment, je pense chaque jour à cet ami lors de ma méditation du matin. Je ne sais si ça l’aide, mais il me semble que je dois le faire, me joindre à lui en silence et en secret.

Illustration : une tombe celtique.

mercredi 19 janvier 2011

Art et intelligence

«Quand on écoute du Bach ou une mélodie grégorienne, toutes les facultés de l’âme se tendent et se taisent, pour appréhender cette chose parfaitement belle, chacune à sa façon. L’intelligence, entre autres : elle n’y trouve rien à affirmer et à nier, mais elle s’en nourrit.»

Simone Weil, dans La Pesanteur et la grâce.

mardi 18 janvier 2011

Corps et thérapie


C'est un chien sur le divan d'un analyste, et qui demande à ce dernier : "Vous voulez bien me gratter la tête ?"
(en quelque sorte, la suite de notre réflexion de vendredi...)

Illustration : The New Yorker.

PS : toutes mes excuses, j'avais déjà utilisé ce dessin pour un billet le 17 octobre dernier ; merci aux internautes de me l'avoir signalé.

lundi 17 janvier 2011

Faiblesses et fragilités


On cite souvent la formule de Nietzsche : "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort".

L'autre jour, une dame que je voyais en consultation à Sainte-Anne m'a appris que l'inverse était parfois vrai.

Après m'avoir raconté comment beaucoup d'épreuves dans sa vie l'avaient peu à peu usée et fragilisée, elle conclut : "Dans mon cas, ce qui ne m'a pas tuée m'a rendue plus faible."

J'étais un peu ennuyé pour lui répondre, je n'aimais pas qu'elle puisse repartir avec cette idée dans la tête si je ne la discutais pas avec elle. Nous en avons bavardé un bon moment, et notre échange a porté sur la différence entre faiblesse et fragilité : je ne la trouvais pas du tout faible mais extrêmement fragile. Il y a dans l'idée de faiblesse un jugement moral, qui me semble moins peser dans la fragilité. Personnellement, quand je me sens faible, cela me décourage et me détourne de l'action. Quand je me sens fragile, cela ne me détourne pas d'agir, mais me pousse plutôt à la prudence et la conscience que je vais avoir besoin des autres.

J'espère que le message est bien passé pour elle...

vendredi 14 janvier 2011

Arrêter son cerveau


Un soir, avec ma plus jeune fille, au moment où je vais l’embrasser avant la nuit, nous bavardons toujours un moment.

« - Papa, je sens que je vais avoir du mal à m’endormir, je suis trop énervée.
- Ah bon ? Il y a des trucs qui ne vont pas, tu as des soucis ?
- Non, non, mais il y a plein de choses dans ma tête. Tu sais comment on fait pour arrêter de penser ?
- Ouh la ! Ça, c’est difficile, de s’arrêter de penser. Tu penses à des choses qui t’inquiètent ?
- Mais non, je te dis, arrête de faire ton psychiatre, Papa ! C’est juste que je n’arrive pas à arrêter mon cerveau pour m’endormir. Dis-moi comment faire.
- Eh bien, souvent, ce qui aide, c’est de ne pas chercher à s’endormir, de ne pas se dire : “il faut que je m’endorme, il faut que je m’endorme“, mais plutôt de se détendre. Par exemple, en sentant bien sa respiration : en prêtant attention à l’air qui rentre dans le nez, qui descend dans les poumons, puis qui ressort, un peu plus tiède ; en sentant bien comment la poitrine et le ventre se gonflent et se dégonflent, tout doucement… Tu sens tout ça ?
- Ouais, ouais. »

Un instant s’écoule.

« - Je sens, mais ça marche pas terrible, tout de même. Tu n’as rien de mieux ?
- Tu sais, le sommeil, on ne peut pas lui commander, on peut juste attendre qu’il arrive, en essayant de ne pas trop s’énerver à vouloir absolument dormir là, maintenant.
- Bon, OK. Alors laisse tomber, gratte-moi plutôt un peu le dos s’il te plaît… »

Ce que je fis.

Et elle s’endormit.

Moralité : pour arrêter son esprit, pas forcément besoin d'un psy, parfois un bon kiné suffit.

Illustration : des fois, nous avons sommeil et nos paupières sont lourdes, mais les yeux de notre esprit n'arrivent pas à se fermer...

Actualité autocentrée du jour : ce vendredi 14 janvier 2011, à 13h30 sur France 5, entretien au Magazine de la Santé sur l'ouvrage "Secrets de psys".

jeudi 13 janvier 2011

Gloire aux infirmières






J’avais un jour rédigé ce petit texte à propos des infirmières de notre service, à l’hôpital :

Elles sont fortes, mes infirmières. Je dis « mes » infirmières comme elles disent « nos » médecins : de manière affectueuse, et pour traduire notre proximité, comme on dit « mes » cousins, « mes » parents, « mes » voisins… Elles sont géniales. Il faut les voir rassurer les patients anxieux, consoler les déprimés, ramener doucement à la réalité ceux qui souffrent de schizophrénie. Lorsqu’elles participent à nos thérapies de groupes, leur présence rassure beaucoup les participants, que nous autres psychiatres n’hésitons pas à confronter parfois à des réalités difficiles, par des mises en situations les confrontant à leurs peurs, ou par des explications qui ne leur font pas toujours plaisir. Elles ont donc toutes les raisons d’être fières d’elles. Et pourtant, elles doutent beaucoup. Lorsqu’elles doivent préparer un exposé pour un congrès, elles se demandent si elles n’auront pas le trac. Dès qu’une radio ou une télé projette de les interviewer, elles s’inquiètent de ne pas avoir de choses assez intéressantes à dire. À chaque fois, ça se passe bien, pourtant. Mais elles ne se sentent pas à leur place dès qu’on les met sous les projecteurs. Question de société : la nôtre valorise beaucoup les médecins, et pas assez les infirmières. Elle reconnaît leur importance, mais ce n’est pas la même chose. Elle ne les glorifie pas. Pourquoi n’y a-t-il pas des statues d’infirmières devant les hôpitaux, des noms d’infirmières donnés aux rues ou aux places publiques ? Ce serait bon pour l’estime de soi de nos infirmières. Et surtout, ce serait mérité.

Et voilà quelque temps, je rencontre lors d’une conférence en Belgique une jeune fille infirmière qui avait lu ce texte et l’avait bien aimé, mais qui me précise qu’il y a au moins une exception à mes dires, comme le montrent les photos ci-jointes, qu’elle me remit ce jour-là. Je suis ravi de cette rencontre et de cette correction.

Bon, maintenant je sais que ça existe : mais je continue de penser 1) que le cas de ces deux infirmières belges est à part (puisqu'elles sont célébrées pour faits de guerre, et non pour leur travail ordinaire), 2) que de toutes les façons, il n’y en a tout de même pas assez !

Illustrations : les photos (statue et plaque de rue) offertes par la jeune infirmière belge.

mercredi 12 janvier 2011

Le mal

"Vu du dehors, le mal appelle le châtiment ; vu du dedans, la pitié."
Gustave Thibon, L'Illusion féconde.

mardi 11 janvier 2011

Guêpe, honte et explications


Ça m'est arrivé en faisant les vendanges, alors que j’étais étudiant.

Le premier soir, nous nous retrouvons dans une grande tablée de 20 ou 30 personnes, où je ne connais encore personne.
Il y a une grande soupière au milieu de la table, et la patronne sert tout le monde. Il y a peu de conversations, le groupe est encore un peu réservé.

Au moment où je tends mon assiette, une guêpe se pose sur ma main sans que personne ne la remarque, moi y compris, et me pique sournoisement mais férocement. Sous l’effet de la douleur et de la surprise, je jette l’assiette en l’air. Elle se fracasse sur la table, éclabousse tout le monde alentour...

Tous les regards se braquent sur moi, inquiets et curieux à la fois, et un grand silence glacé se fait soudain.

Et à cet instant, je réalise que ça va être très très compliqué d’expliquer à tous ces inconnus qu’une guêpe, que personne n’a vu, même pas moi, et qui a disparu instantanément, m’a piqué et m’a fait balancer mon assiette en l’air…

Illustration : je ne sais pas si la guêpe qui m'a fait faire cet intéressant exercice d'affirmation de soi s'appelait Huguette, elle a disparu très vite...

lundi 10 janvier 2011

Lorsque vous perdez, ne perdez pas la leçon...


Je ne sais plus de qui est cette formule.

Ne pas perdre la leçon ? Mais quelle leçon ? Tous les échecs, toutes les défaites sont pénibles. Qui donc aime perdre ? Qui peut rester serein face à ses ratages ? Pourtant, certains s’en sortent mieux que d’autres. Ils accusent le coup sur le moment, puis sortent plus riches de l’histoire qui leur est advenue. Comment font-ils ? Ils ont simplement tiré la leçon de ce qui s’est passé…

Après le désagrément de l’échec, la morsure de la défaite au cœur de l’estime de soi, ils ont observé et réfléchi, au lieu de remâcher inlassablement leurs douleurs ou leurs pensées d’injustice ou de malchance. Puis ils ont regardé ailleurs. Ailleurs, c’est-à-dire plus tard (« si cela recommence, que ferai-je ? »), mais aussi différemment (« comment reconsidérer tout ce qui m’est arrivé avec un regard apaisé et libéré de toute irritation ou de tout aveuglement »).

C’est un enseignement capital, mais que nous devons nous administrer nous-mêmes : les donneurs de leçons nous irritent trop lorsque nous venons d’échouer, même s’ils ont raison. Et cet enseignement, nous avons aussi à l’accepter au plus profond : la compréhension intellectuelle ne suffit pas, il faut que nous ayons reçu la leçon profondément, c’est-à-dire sur un plan émotionnel.

Le travail est immense, passionnant et quasi infini : il existe tant de leçons à recevoir de l’existence ! Ne pas refaire toujours les mêmes erreurs : c’est l’expérience. Ne pas trembler toujours face à l’échec, ou s’irriter face à l’imperfection : c’est le recul. Il y en a bien d’autres. Et lorsqu’on n’arrive pas à tirer la leçon ? Eh bien, c’est cela même le message : il y a des fois où l’on ne peut pas sortir plus riche d’un échec. C’est aussi une leçon…

Illustration : une leçon à méditer pour éviter que ça ne recommence...

vendredi 7 janvier 2011

Secrets de psys


Je me permets de vous signaler la sortie ces jours-ci d’un livre collectif dans lequel des psychothérapeutes racontent comment ils utilisent pour eux-mêmes les méthodes qu’ils proposent à leurs patients. Et comment ces méthodes les ont parfois sauvés, et toujours aidés...

Voici quelques extraits de la préface que j’ai rédigée :

Qu’est-ce qui est nécessaire pour être un bon soignant ?

Eh bien, pour être un bon soignant, il y a d’abord ce qui est indispensable : c’est bien sûr que le soignant ait appris à soigner. D’où l’importance des diplômes et des formations : il faut toujours oser demander à son thérapeute quel est son diplôme (psychologue, psychiatre, médecin ou autre), quelles sont les méthodes qu’il propose, et en quoi elles consistent. Un thérapeute digne de ce nom prendra toujours le temps de vous répondre et de vous expliquer sa façon de travailler. La thérapie, ce n’est pas simplement de l’écoute et du bon sens. En tout cas, ce n’est pas que ça. C’est aussi un ensemble de techniques, un savoir-faire, des repères basés sur la recherche scientifique, l’expérience apprise d’autres thérapeutes, etc.

Pour être un bon soignant, il y a ensuite ce qui est préférable : c’est qu’au moment où il soigne, le thérapeute n’aille pas trop mal dans sa tête. Bien sûr, on peut soigner tout en étant stressé, abattu, perturbé. Mais cela ne marchera pas très longtemps. La formule de Nietzsche : « Plus d’un qui ne peut se libérer de ses chaînes a su néanmoins en libérer son ami » ne peut s’appliquer durablement à la psychothérapie. Il est malhonnête et mensonger de prétendre soigner des patients alcooliques si on est soit même dépendant de la boisson. Il est malhonnête et mensonger de prétendre soigner des patients anxieux ou déprimés si on est soit même en pleine dépression ou sujet à des attaques de panique. Je me souviens de cette anecdote d’un psychanalyste de renom venu un jour faire une conférence sur les phobies dans une grande ville loin de chez lui : il était lui-même totalement phobique, et les collègues qui l’avaient invité devaient l’accompagner dans tous ses déplacements pour qu’il ne panique pas ; ces collègues étaient du coup un peu perplexes, face à ce grand écart entre discours et réalités. Bien sûr, il ne s’agit pas d’exiger un certificat de bonne santé mentale de la part des thérapeutes. Mais la moindre des choses, c’est d’attendre d’eux qu’ils aient surmonté leurs fragilités. Ainsi, une des plus grandes spécialistes de la maladie bipolaire (ce qu’on appelait autrefois maladie maniaco-dépressive) souffre elle-même de bipolarité. Elle n’a pas eu honte d’en parler dans un livre très émouvant (Kay Redfield-Jamison : De l'exaltation à la dépression, Confessions d'une psychiatre maniaco-dépressive. Paris, Laffont, 2003.) dans lequel elle raconte comment sa maladie aurait pu la détruire si elle n’avait pas accepté de se soigner, et comment cette fragilité lui a à la fois compliqué la vie, tout en l’enrichissant. La question n’est donc pas celle de la maladie mais de son traitement : à ce titre les professionnels de santé doivent être des modèles non pas tant de bonne santé que de bonne gestion de leur santé.

Pour être un bon soignant, il y a enfin ce qui est intéressant : le fait d’avoir connu des difficultés et d’avoir eu à s’en débarrasser peut être une bonne chose pour les psys. Cela facilite l’empathie : on comprend mieux la souffrance si on a souffert soi-même. Je dis bien facilite, car il y a tout de même d’autres voies pour l’empathie que le chemin de la souffrance personnelle. Mais avoir été souffrant et s’en être sorti, cela aide à la maîtrise d’outils dont on s’est aussi servi pour soi-même. Et cela ramène à notre esprit de soignant l’humilité, et la conscience de la difficulté de ce que l’on demande parfois à nos patients. En plus de leur savoir, les soignants qui sont passés par différentes formes de difficultés disposent alors d’une autre expertise : celle de l’expérience. Ils se trouvent en général un peu en avant sur le chemin : ils se sont appliqués à eux-mêmes les démarches qu’ils proposent à leur patient. Leur légitimité vient aussi de là. Pas d’une supériorité (en termes de personnalité) mais d’une antériorité (en termes de démarche).

Ce livre raconte donc les expériences vécues de nombreux psychothérapeutes face à leurs difficultés personnelles. Certaines de ces difficultés sont assez répandues pour être familières à la plupart d’entre nous, comme le stress, l’anxiété, ou la dépression : d’autres sont plus radicales et déstabilisantes, comme la toxicomanie, ou les maltraitances. Dans cet ouvrage, des psys vous parlent de ces difficultés, et surtout de ce qui les a aidés à s’en sortir. Et à ne pas y retomber : on y aborde aussi ce que les thérapeutes font pour prendre soin d’eux et continuer d’aller bien. Car il faut continuer d’aller bien pour bien soigner : le bien-être du thérapeute est une aide puissante à ses capacités de compassion. Les compétences d’écoute, d’empathie, de soutien se doivent de reposer sur la joie de soigner pour prétendre durer.

Vous retrouverez donc dans ces pages des conseils concrets pas seulement utiles, mais utilisés : c’est-à-dire validés par l’expérience personnelle du thérapeute. Attention : les thérapeutes de ce livre ne se présentent pas comme des modèles à admirer ; plutôt comme des modèles dont s’inspirer : faillibles, fragiles, mais qui ont mis en pratique les efforts qu’ils recommandent. Plus émouvants, donc plus motivants. Des modèles fraternels, en quelque sorte : pas meilleurs au départ que leurs lecteurs, mais plus avancés dans la démarche, et désireux de transmettre un peu de leur expérience.

J’ai été passionné et touché de découvrir chez des collègues, dont certains sont aussi des amis, des difficultés dont nous n’avions jamais parlé. Je pense que vous serez vous aussi passionnés et touchés par ces récits. Les thérapeutes qui se livrent ici font preuve d’honnêteté et de courage. Comme les patients qui viennent nous livrer leurs souffrances, leurs échecs, leurs hontes, leurs peurs. Et nous montrer leurs ressources. Et nous associer à leurs efforts, leurs progrès...


PS :présentation du livre par Sylvain Courage, du Nouvel Observateur, qui lui consacre un dossier spécial cette semaine.

jeudi 6 janvier 2011

Dictature et douche froide


C'est un exercice que j'appelle «démocratie et douche chaude» et que je propose parfois en psychologie positive : de temps en temps, sous sa douche, se réjouir d’avoir de l’eau chaude (et ne pas attendre la panne de chauffe-eau pour gémir) ; de temps en temps, en lisant les journaux, se réjouir de vivre en démocratie (ne pas craindre d’être réveillé à 5 heures du matin par la police politique, pouvoir voter pour qui l’on veut, dire ce que l’on pense de la vie publique).

J’en avais parlé à une amie.

Peu après, alors qu’elle revenait d’une mission humanitaire en Afrique, elle m’écrit un mail qu’elle intitule «Dictature et douche froide». Le voici :

«J'espère que tu vas bien et que tu tiens le coup malgré ta "saison" chargée.
Je viens de rentrer de 10 jours en RD Congo. Depuis, j'essaie de trouver un sens à toutes ces situations injustes et atroces dont j'ai été témoin, j'essaie d'accepter la manière dont fonctionne le monde et de me décoller de mes pensées de révolte et de tristessse...
Il me faudra encore beaucoup de pratique pour accepter tout cela je crois... 
Que c'est dur, de retour de mission, d'apprécier - sans culpabiliser - tout ce qui nous est donné ici (et que l'on gaspille ou dont on ne profite pas assez)...
À quand la démocratie et la douche chaude pour tous ?
Amitiés»

Toujours la même question : comment se permettre du bonheur au milieu du malheur ? Et toujours la même réponse : ne pas se culpabiliser des bonheurs qui nous sont permis, mais 1) ne pas les gaspiller, 2) y puiser la force d’aider ceux qui en sont très très loin...

Illustration : l'univers que m'évoque "Dictature et douche froide"...

mercredi 5 janvier 2011

mardi 4 janvier 2011

Les deux inquiets et les volets


Ça s’est passé un été. Après une journée très chaude, la famille s’est endormie en laissant toutes les fenêtres ouvertes, pour permettre à la fraîcheur de la nuit entrer dans la maison. Vers trois heures du matin, un énorme orage se déclenche. Parfait pour rafraîchir, mais ça veut aussi dire, vu ce qui dégringole du ciel, de petites inondations autour des fenêtres ouvertes partout dans la maison.

À moitié éveillé par l’orage et cette pensée (l’un sans l’autre n’aurait pas suffi) je me lève et commence à faire le tour des pièces pour fermer les fenêtres. Et je croise ma plus jeune fille, levée avec la même idée. Je lui demande ce qu’elle fait debout à cette heure, et elle m’explique qu’elle va, elle aussi, fermer les fenêtres. Nous sommes les deux inquiets de la famille, donc rien d’étonnant à notre présence, mais tout de même, deux choses m’interpellent.

La première, c’est qu’à son âge, elle se sente responsable des fenêtres de la maison (mais elle est comme ça, volontiers dans la responsabilité et l’empathie). La seconde, c’est que mine de rien, les anxieux rendent service aux autres dans l’ombre. Bon, je le sais bien, mais là, je le vérifie : pendant que les trois «peu inquiets» dorment ou se sont rendormis, les deux «trop inquiets» patrouillent et passent la serpillière. Grâce à quoi, ils se rendormiront.

Comme on dit dans les entreprises : «conjuguons nos talents»...

Illustration : un jeune garçon peint par Greuze, apparemment pas trop inquiet...

lundi 3 janvier 2011

Résolutions d'année nouvelle


"L’heure est aux saines résolutions. Je ne taperai plus les gorilles. Je croquerai moins de cailloux. Je marcherai sur mes deux pieds. Ce sera dur, mais que serions-nous si nous n’imposions parfois à notre volonté ces défis qui la renforcent en l’éprouvant ?"

Éric Chevillard, dans son blog L'Autofictif.

PS : j'aime bien, quand même, les résolutions de début d'année ; elles ont au moins le mérite d'exister ; et puis, on sait qu'elles marchent tout de même mieux que l'absence complète de résolution ("je ne fais aucun effort, ni de réflexion ni d'action, pour amender ou limiter mes défauts").

Illustration : Le célèbre Voyageur au dessus de la mer de nuages, de Friedrich.