vendredi 28 septembre 2012

Koala sous antidépresseur


C'est un de mes plus anciens patients à Sainte-Anne. Il souffre d'un TOC bien stabilisé sous médicament ; il n'a jamais voulu faire de TCC ni d'autre psychothérapie. Mais il souhaite que je le suive régulièrement, car il a parfois des petits passages à vide dépressifs ; il est rassuré de savoir que notre lien reste actif.

Nous nous voyons donc de temps en temps pour faire le point, comme on dit. Je vérifie son moral, je m'assure qu'il ne se replie pas trop sur lui, que ses rituels ne prennent pas trop de place dans son quotidien. Nous parlons de ses joies et de ses peines.

Il est à la fois très gai et très mélancolique, plein d'humour et doté d'un regard mordant sur notre monde. Un humain véritable et attachant...

Il m'envoie souvent des cartes postales drolatiques, dont celle qui figure ici : c'est son autoportrait en koala (débonnaire et rondouillard, mais doté de bonnes griffes) sur lequel il a scotché un comprimé de son médicament-béquille.

Il est pour moi le parfait exemple de la manière dont on peut avoir une vie intéressante et nourrissante, malgré la maladie. Avec l'élégance de sourire de ses détresses et l'intelligence d'aimer tout le reste de sa vie.

Nous n'y arrivons pas toujours, c'est vrai. Mais on se sent tellement en paix toutes les fois où l'on parvient à vivre sur ce registre...

lundi 24 septembre 2012

Rencontre avec un poète


Une amie m’a permis de rencontrer le poète Christian Bobin, que je vénère. J’étais comme sur un nuage, ému et heureux, sans avoir rien de beau à dire mais sans en souffrir : le voir brièvement et échanger quelques banalités me suffisait. Ne presque rien prendre de son temps, ni de son énergie. Je préfère le lire que lui peser.

Bobin regarde ses interlocuteurs avec un vrai regard. Dans ma vie j’ai rencontré beaucoup d’auteurs ou de personnes que l’on dit connues. Et je sais maintenant observer leurs yeux. Je sais qui fait semblant de regarder et d’écouter, en attendant simplement que la formalité ou la corvée se termine. Et qui écoute ou regarde vraiment, même si ça ne dure que quelques secondes. Bobin regarde et écoute vraiment. C’est sans doute pour cela que les mondanités le fatiguent et qu’il a besoin de la solitude. Ceux qui ne regardent ni n’écoutent ne sont pas fatigués par les superficialités.

Le soir, j'ai commencé à lire son livre, que mon amie m'avait offert, son dernier livre : L’Homme-joie.

Il y avait une dédicace pour moi qui m’a enchanté. Je ne vous la dis pas, pour ne pas l’user, et parce que je ne veux pas savoir si elle est unique ou non ; aucune importance, moi je la lis comme telle.

Comme c’était un bel exemplaire, numéroté, sur vélin, j’ai tranché doucement les pages pour en libérer les mots, comme on le faisait autrefois, avec un très vieux couteau d'artisan, que je suis allé aiguiser auparavant. Oui, je sais, ce sont de plaisirs passéistes. J’aime le passé, parce qu’il ne m’écrase jamais, mais me nourrit.

Le premier récit était tellement incroyable de beauté que j'ai tout de suite arrêté ma lecture. La première fois de ma vie que j’ai fait cela, une lectio interrupta, c’était en lisant L’Insoutenable légèreté de l’être, de Milan Kundera, en 1984. S’arrêter pour ne continuer que le lendemain. Et dans l'attente, plutôt relire et savourer qu’avancer et avaler le livre sous l'emprise du plaisir et de l'avidité d'émotions. Garder intact le bonheur de découvrir chaque page d'un auteur qui nous renverse. Il y a quinze récit dans ce livre. J’en savourerai un par jour : je vais passer deux semaines extraordinaires.

Merci Sophie.

Illustration : le poète par Catherine Hélie. Et un extrait des premières pages : "J'ai passé ma vie à lutter contre la persuasive mélancolie. Chaque sourire me coûte une fortune."

mercredi 19 septembre 2012

Marron


Un matin ensoleillé de septembre, vers 8h30. La lumière est encore basse et rasante, elle caresse les châtaigniers dont les feuilles commencent à roussir : le mélange du vert et du brun est splendide. Je respire la beauté de toutes mes forces, dans cette petite rue anonyme et un peu moche, au bout de laquelle j’ai un rendez-vous administratif qui m'ennuie d'avance.

Tout à coup, comme je marche la tête en l’air, un sourire au lèvres, sans regarder le sol, mon pied heurte un beau marron tout brillant, qui vient de quitter sa bogue à peine tombé de l’arbre.

Il entame une petite course pleine de folie et de rebonds imprévus, dus à sa forme pas tout à fait ronde. Et soudain, comme une madeleine de Proust, tout me revient des automnes de mon enfance.

À l’époque je donnais les coups de pieds dans les marrons de manière délibérée, essayant de les conduire droit devant moi sur le trottoir jusqu’à l’école. Si j’y arrivais, bon augure : je ne passerai pas au tableau, je gagnerai des billes, et toutes les bonnes choses de la vie d'un écolier m'arriveraient ; s’ils tombaient du trottoir : mauvais, mauvais...

Tout resurgit : l’odeur des couloirs de l’école, désertés durant tout l’été ; la sonorité des murs renvoyant les cris des élèves ; l’alignement des porte-manteaux ; le choix d’une nouvelle table, d’un nouvel endroit où passer l’année ; l’excitation de la rencontre avec de nouveaux maîtres ou maîtresses, de nouveaux manuels, de nouvelles matières.

L’univers des rentrées du passé explose à chaque rebond de la course folle du marron. Je me suis arrêté de marcher, émerveillé. Envie de redonner un coup de pied dans le marron, pour voir si tout va recommencer. Mais non, je ne veux pas savoir (et si ça ne remarchait plus ?). Juste me souvenir de ces quelques secondes.

Merci la vie.

Bonus : Ô Toulouse, par Claude Nougaro encore tout jeunot, qui chante son enfance…

lundi 17 septembre 2012

Remontrances et cohérence


J’ai reçu la semaine dernière ce petit mot sur ma page Facebook :

« Bizarre... Je voulais simplement vous remercier et/ou vous féliciter pour votre livre Méditer jour après jour. 
Mais en parcourant tout ceci, après avoir parcouru votre blog, je n'ai pu que penser à une grosse machine à sous... 
Bien sûr, il est totalement légitime que vous gagniez votre vie, et même que vous la gagniez bien. Mais au vu du brouhaha de publicités sur vos apparitions et autres interventions, j'avoue avoir des doutes... Vous parlez de calme et de sérénité ??? Je ne vois ici qu'une vitrine. 
Je m'enfuis donc, vite! En essayant de garder en moi l'essentiel : ce qui me fera du bien, je l'espère, dans vos écrits, et en tentant d'oublier ce que j'ai vu ici.
 Prenez soin de vous et des vôtres avant tout... »

Petit sursaut émotionnel sur le moment : jamais agréable de se faire critiquer.

Puis tout de suite : « elle a raison ».

Elle a raison et je le sens depuis cette rentrée. Tous ces entretiens dans la presse et à la radio, toute cette (relative) agitation autour de mon dernier livre, je les ressens comme à contre-courant de ce que j’aime en vrai : calme, lenteur, continuité. Et à contre-courant du message de mes livres : "décrochez des écrans, de l’info, savourez votre vie à l’écart du tumulte". Même si tout ça m’amuse, je l’avoue, même si ça m’excite un peu, même si, sans doute, ça me flatte et surtout ça me rassure. Elle a raison. Ce que ma promo m’amène à faire n’est pas vraiment cohérent par rapport à mes messages principaux. Petit coup de spleen…

Puis des arguments m’arrivent, pour me justifier (jamais agréable non plus de se sentir en défaut sur ses valeurs) : c’est la règle pour les auteurs qui publient un livre, il y a une période de lancement, durant laquelle on se prête au jeu de la promotion ; quand on écrit, c’est pour être lu. Le reste du temps, ma page Facebook et mon blog sont beaucoup plus calmes (parfois trop, me reprochent certains !). Parce que ma vie est alors plus calme : j’écris, je soigne mes patients, je médite, je marche, je savoure la présence de mes proches et de mes amis, je vis.

Je m’assieds et je respire un long moment avec tout ça dans la tête et dans le corps. Au bout d’un moment, je reviens à ma réflexion, et là, les choses m’apparaissent alors plus claires, je me sens soulagé, à peu près retombé sur mes pieds : OK, j’en fais peut-être un peu trop en ce moment. Mais c’est bientôt la fin (enfin, j’espère), ça va se calmer. Je vais revenir à un rythme de vie que j’aime, plus lent et moins visible.

Mais tout ça m’a fait réfléchir à mes besoins en tant qu’auteur qui s’expose sur le Net.

Je comprends que cette exposition, outre qu’elle m’aide à faire connaître mon travail, m’apporte beaucoup d’encouragements et de chaleur (merci à tous les internautes qui me disent des choses gentilles) et que cela me motive à continuer.

Et de temps en temps, la même exposition sur le Net m’apporte des critiques : certaines ne me touchent guère, ou pas longtemps (les haineuses et les anonymes). Mais lorsqu’elles sont formulées comme celle de Geneviève, citée en début de billet (c’est à dire lorsqu’elles sont mesurées, argumentés, bienveillantes et signées) elles m’aident beaucoup aussi, pour progresser, me nuancer, m’améliorer. Cela m’ouvre les yeux : "mon vieux, écoute-la et essaye de ne pas devenir un gros auteur tapageur…" Et cela me fait penser à la correction fraternelle des catholiques (je suppose que la même démarche existe dans toutes les traditions) : critiquer un frère ou une soeur humains que l'on voit commettre une erreur.

Merci mes internautes ! Vous m’apportez beaucoup plus que vous ne l’imaginez.

Illustration, version 1 : c'est beau la vie, même avec des vagues et des nuages...

Illustration, version 2 : "cool, Geneviève, ça va passer, c'est pas méchant, l'essentiel reste là, sous les vagues et le vent..."

lundi 10 septembre 2012

Esclavage et culpabilité


Une discussion un dimanche après-midi avec ma plus jeune fille, alors que nous sommes en train de ranger la cuisine après le départ de toute une bande d’amis invités à déjeuner :

« - Pfffff…. C’est casse-pied de ranger.
- Ah ben oui ma fille, mais il faut bien le faire.
- J’adorerai avoir un petit esclave, genre petit lutin de la forêt, qui fasse tous les trucs casse-pieds à ma place ! Ranger ma chambre, nettoyer la cage de mes lapins…
- Sûr, ça serait cool ! »

Nous continuons à ranger, mais je la vois qui cogite…

- « Tout de même... Ça doit être trop gênant de ne rien faire et de faire travailler ton esclave ! Tu imagines comme on doit culpabiliser ? Comment ils faisaient les gens avant, quand il y avait de vrais esclaves, pour ne pas se sentir mal devant eux ?
- Ils ne se rendaient pas compte, ça leur semblait normal. Mais heureusement il y avait des gens comme toi qui trouvaient ça trop triste et injuste, et qui ont fait abolir l’esclavage.
- Heureusement… En tout cas, pour moi, ça serait trop gênant. Il me faudrait un robot, en fait. Voilà, un petit robot esclave, qui m’obéirait et ferait tout ce que je lui demanderai ! »

Et nous terminons le boulot en plaisantant sur notre futur petit robot esclave.

On peut considérer (même si tout cela se discute, évidemment) que certains points se sont dégradés dans nos sociétés, par exemple en termes de solidarité entre personnes (entre voisins, entre salariés…).
Mais une chose s’est clairement améliorée dans les consciences, au moins en Occident : l’aversion spontanée de l’immense majorité de nos enfants pour toute forme de domination injustifiée, abusive et prétendument légitimée d’un humain sur un autre. Il me semble que c’est un acquis sur lequel il est désormais impossible de revenir.

Illustration : Léon Tolstoï et ses petits-enfants. Tolstoï, qui se battit contre l'esclavage des moujiks. Et écrivit une belle nouvelle sur les rapports maître et serviteur...

vendredi 7 septembre 2012

Douleur


Un collègue neurologue nous interpelle lors d’un congrès : « Vous savez quelles sont les douleurs que l’on supporte le mieux ? Celles des autres ! »

Rires de la salle, remplie de médecins, mais rires un peu gênés…

Chacun est en train de se dire dans sa tête, avec une petite perplexité : « C’est drôlement vrai, ce truc… Moi qui suis médecin, est-ce que ça ne m’arrive pas parfois, les jours où je ne suis pas assez à l’écoute, de sous-estimer la douleur et la détresse de mes patients ? »

Ben si, ça nous arrive parfois, forcément, comme chez tout le monde (La Rochefoucauld écrivait : « On a toujours assez de force pour supporter les maux d’autrui. »). Mais chez nous, c'est encore plus grave...

Illustration : quelques lectures contre la douleur (cliquez sur l'image pour mieux lire les titres).

jeudi 6 septembre 2012

Nouveau livre


Aujourd’hui, arrivée en librairie de mon dernier ouvrage, sur la quête de la sérénité.

C’est un petit livre de 25 courts chapitres consacrés aux différentes facettes de l’équilibre intérieur. Chacun s’ouvre sur un récit introspectif (la partie nouvelle) puis se continue par un texte de théorie et de conseils pratiques (en fait, il s’agit d’extraits choisis de mon ouvrage sur les états d’âme).

Si vous avez déjà lu Les États d’âme, ce petit dernier ne vous apprendra donc rien de neuf sur le plan théorique, seule la partie poétique est inédite. Si vous ne l’avez pas encore lu, il représente par contre une bonne introduction, plus accessible que son grand frère (qui est le plus complexe et le plus volumineux de mes livres).

Sérénité se termine par un bonus : un long entretien avec Patrice Van Eersel, grand journaliste devant l’éternel (Libération, Actuel, Clés).

Allez, un petit voeu (pour mon livre) et un petit jeu (pour les amateurs de poésie) : ce poème de Guillaume Apollinaire, extrait de son Bestiaire.

La Sauterelle

Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissent mes livres être comme elle,
Le régal des meilleures gens.


Voilà pour le voeu, et voici le jeu : quel mot est modifié ici par rapport au poème original ? J'enverrai un livre dédicacé aux trois premiers internautes qui signaleront la réponse dans l'espace des commentaires ci-dessous (pensez à m'envoyer votre mail, ici ou sur le site).

samedi 1 septembre 2012

Calme et sérénité


Calme et sérénité : ce sont deux mots que j’aime bien. Mais qui ne sont pas tout à fait équivalents à mes yeux. Ce n’est pas tant une histoire d’intensité (la sérénité qui serait une sorte de calme parfait et complet) que de qualité. La sérénité est au-delà du calme, elle en est une transcendance.

Est transcendant ce qui est extérieur ou supérieur au monde tangible. Le calme appartient à notre monde : calme de notre corps et de notre esprit, calme de notre environnement ; dans les deux cas, des caractéristiques physiques le sous-tendent. Pour le calme en nous : notre cœur bat lentement, notre souffle va doucement, nos muscles sont détendus, etc. Pour le calme autour de nous : peu de bruits, peu de mouvements, tout changement dans la progressivité et la douceur.

Lorsque la sérénité prend naissance dans le calme, quelque chose de nouveau survient alors. Une prise de conscience de tout ce qui est là, un sentiment de résonnance entre le calme du dedans et celui du dehors, la dissolution des limites entre le dedans et le dehors. Nous sommes toujours là, mais avec une porte ouverte sur autre chose. À deux doigts de basculer de l’autre côté. Toujours là mais pas que là. Aucun mot pour décrire ce qui se passe et ce que l’on ressent alors. Sauf celui de sérénité.

Nous arrivons plus facilement à frôler des instants de sérénité en vacances et en été : prendre le temps de regarder le soleil se lever ou se coucher dans la nature, s’arrêter pour ressentir une brise tiède, écouter la rumeur de la nuit… Dans ces moments, sérénité : transcendance de calme, résonnance, conscience ouverte et pleine.

Puisse cette année qui s’ouvre nous offrir de nombreux moments de sérénité : d’automne, d’hiver et de printemps.

Belle rentrée à toutes et tous.

PS : je m'aperçois en écrivant ce billet que je continue de raisonner comme un écolier. Pour moi, une année commence en septembre, à la fin de l'été et au moment de la rentrée scolaire. Rien à faire pour me convaincre que le début d'une année se situe le 1er janvier : cela ne dit rien à mon corps, à mes émotions, à mes souvenirs. Alors que le passage des vacances à l'école ou au travail, le sentiment de l'été finissant, tout cela, oui, sonne pour moi comme une transition majeure et un véritable changement. Progressif et naturel, comme tous les vrais changements, et non soudain et artificiel comme les douze coups de minuit entre 31 décembre et 1er janvier.

Illustration : les berges de la Garonne, par Frédéric Richet.