mardi 29 septembre 2020

Nos enfants nous font grandir


 

Nous ne restons jamais les mêmes : l’humain que nous étions il y a 5 ou 10 ans n’est plus tout à fait celui que nous sommes aujourd’hui. La vie nous façonne. Les événements heureux nous donnent joie et énergie pour nous lancer dans de nouveaux projets, qui vont nous transformer. Les événements douloureux nous contraignent à nous arrêter pour comprendre, réfléchir, et voir comment changer. De notre mieux, nous nous nourrissons ainsi des coups et des caresses de la vie.

 

Mais, à mieux y regarder, on découvre que la plupart des événements qui dessinent notre existence sont à la fois agréables et contraignants : les études, le travail, la vie de couple. Et la parentalité...

 

Être parent, c’est à la fois agréable parce qu’émouvant, intéressant, réjouissant. Et à la fois pénible parce que fatigant, déstabilisant, contraignant. Certes, on regrette rarement d’avoir été parent : avec le recul, c’est toujours une belle aventure. Mais la parentalité au jour le jour, c’est une autre histoire, qui nous arrache souvent des soupirs et parfois des larmes. C’est peut-être pour cela que certains futurs papas se font un peu forcer la main par les futures mamans...


Pour ma part - et il me semble que c’est vrai aussi pour beaucoup de papas - la paternité est l’événement de ma vie qui m’a le plus transformé, le plus contraint à progresser, et le plus enrichi.

 

Lorsqu’on est parent, on traverse, entre autres, deux grands moments : le premier est celui où l’on sent que nos enfants, en grandissant, commencent à nous juger. Le moment où, nous observant, ils découvrent nos limites et nos défauts. Nous souhaitons bien sûr ne jamais les décevoir ; et bien sûr, nous les décevrons. Au moins une fois. Au moins de temps en temps. L’essentiel est de ne pas les décevoir constamment. Premier aiguillon pour la transformation...

 

Et puis, autre moment clé : celui où nous comprenons que nos enfants nous sont supérieurs, dans différents domaines et parfois dans tous les domaines ! Le moment où nous découvrons que nous pouvons apprendre d’eux, de leur intelligence, de leur générosité, de leur enthousiasme. Le moment où leur supériorité nous réjouit, et où nous avons l’humilité de nous mettre à leur école. Deuxième aiguillon de transformation parentale...

 

Finalement, c’est souvent comme ça, dans la vie : nous croyons donner, et nous recevons. Nous pensons éduquer, et nous sommes éduqués. Nous n’avons qu’à faire l’effort de suivre ce mouvement, décrit par le philosophe André Comte-Sponville : « Les enfants veulent grandir. Notre devoir est de les y aider, et pour cela, de grandir nous-même, au moins par l’esprit... »

 

Moralité : ne vous demandez pas seulement comment vous allez éduquer vos enfants, demandez-vous aussi comment eux vont vous éduquer... 


 Illustration : "Hey, papa et maman, vous avez vu comme je sais tourner ma tête à l'envers !"


 PS : En écrivant cette chronique, je pense aussi à celles et ceux qui n’ont pas eu d’enfants. Qui n’ont pas pu, ou pas voulu devenir parents. Pour elles et pour eux, changer, se transformer sera peut-être plus confortable, car ils pourront décider de leur voie, de leur rythme. Mais le risque de ne pas changer sera aussi plus grand, car ils n’y seront pas contraints par la présence constante, dérangeante et stimulante des enfants. Efforts contraints ou efforts choisis, dans tous les cas, nous avons à travailler pour progresser !



vendredi 18 septembre 2020

N'applaudissez pas (trop) les conférenciers !




Je me trouvais l’autre jour au concert d’un ami pianiste. Comme d’habitude, à la fin, j’assiste à l’étrange rituel des rappels : lorsque tout est terminé, il est d’usage d’applaudir de manière à faire revenir l’artiste saluer le public, et ce, plusieurs fois ; c’est la même chose au théâtre. Je comprends bien le côté sympathique qu’il y a à marquer son contentement : les rappels sont alors comme la preuve que les spectateurs ont apprécié la performance offerte. 

Mais outre le côté systématique (je n’ai jamais vu un public ne pas rappeler) qui démonétise la sincérité du rappel, outre le côté « on veut du rab, on veut un petit morceau de musique supplémentaire en guise de bonus », c’est oublier aussi qu’à ce moment, l’artiste est épuisé, et n’a qu’une envie : partir se reposer !

Je me suis toujours demandé ce qui le retenait de ne revenir qu’une seule fois sur scène et de dire : « Merci beaucoup, je suis très touché par votre gentillesse, et très heureux que le concert vous ait plu. Mais maintenant, je suis crevé et je n’ai qu’une envie : aller me coucher ! Je vous souhaite maintenant une belle soirée ! ». Et hop ! Le rideau retombe, les lumières se rallument, et c’est terminé.

Bon, enfin, je ne suis pas artiste, ni musicien ni acteur ! Juste conférencier, et c’est nettement moins stressant : j’ai le droit de bafouiller,  d’avoir un trou de mémoire, de dire un mot à la place de l’autre, ce que ne peuvent en théorie pas faire les interprètes en musique ou au théâtre. Mais - vous allez me trouver bien grincheux - j’ai aussi un souci avec les applaudissements excessifs ! 

Récemment, je participais à une grande journée de conférences. À la fin de l’après-midi, tous les intervenants de la journée sont réunis pour une table ronde, et pour faire une sorte de bilan. 

Et là, un truc agaçant survient : le public se met à applaudir à presque chaque phrase des premiers intervenants (qui en font peut-être un peu trop dans le registre des bonnes paroles que tout le monde a envie d’entendre, ou des bonnes blagues qui détendent après une dure journée). 

Comme je suis sans doute un peu fatigué, ça m’agace plus que d’habitude, et lorsque mon tour de parler arrive, je demande à ce qu’on n’applaudisse pas tout le temps comme ça. Du coup, ça jette un petit froid dans la salle !

Mais je ne regrette pas ma sortie : ces applaudissements trop systématiques rendent les conférenciers cabotins ; je pense que ça nous pousse, même inconsciemment, à trouver de bons mots, à délivrer de bonnes paroles, celles que le public attend, et pas celles qui pourraient le déranger ou le réveiller. 

Ça fait ressembler les conférences à des plateaux télévisés, où le public est sollicité pour applaudir sans arrêt ; ou à des réseaux sociaux où on ne retrouve que des gens qui pensent la même chose.

La psychologie mérite mieux que ça, non ?


Illustration : applaudissements à l'Opéra...

PS : cet article a été publié dans Psychologies Magazine en février 2020

PPS : et c'était donc avant le Covid, et avant le touchant rituel des applaudissements aux soignants tous les soirs à 20h ; à propos de ce dernier, rien à critiquer, évidemment...


vendredi 11 septembre 2020

Calmologie





Ça se passe au début de l’épidémie de coronavirus du printemps 2020. Comme nombre de mes consœurs et confrères, on me sollicite beaucoup pour recueillir mon avis de psy : comment réagir à la peur du virus, au confinement, etc.

Un soir, je suis donc invité au Journal Télévisé de 20h sur France 2, à la grand-messe de l’info. Je suis chez moi, confinement oblige, en chaussettes, à mon bureau, devant l’écran de mon ordinateur. Nous avons fait des tests dans l’après-midi, et je suis en ligne un peu avant le début du journal. J’assiste donc à tout son déroulement, ce que je ne fais pas d’habitude : en bon anxieux qui se soigne, je préfère lire les infos, à mon rythme, à mon moment et à ma dose, ou les écouter à la radio, pour être moins influencé par l’émotion et la manipulation des images. Bref, c’est une expérience inhabituelle.

Je n’interviens qu’à la fin du journal : normal, on parle d’abord des nouvelles vitales et importantes. Du coup, j’assiste à 35 mn angoissantes, avant mon intervention de 5 mn à la fin. Je fais de mon mieux pour expliquer qu’il ne faut pas éteindre la peur mais l’écouter sans s’y soumettre, que nous avons à la transformer en prudence (continuer d’avancer) et non en panique (tout bloquer, tout arrêter). Avec l’impression de répéter toujours les mêmes bons conseils, évidents ; mais je me dis que là, je parle à des personnes qui ne lisent pas de livres ou de magazines de psychologie.

Une fois le JT terminé, je réfléchis à la logique de ce type d'information : après 38 mn à inoculer des inquiétudes, on s’efforce de calmer l’incendie émotionnel. Les paroles qui apaisent après les images qui effraient. Le calmologue après les virologues...

Du coup, je me pose des questions sur mon rôle dans ces moments, sur celui de la psychologie positive. Qui n’est pas de tout positiver, mais d’équilibrer le négatif avec du positif. 

Exemple : quand je croise des gens dans la rue, je m’écarte d’eux, c’est un geste barrière, mais négatif ; alors, en même temps, je les regarde, je leur souris, je leur dis bonjour, c’est un geste fraternel, positif. Pas question non plus que la psychologie positive nous pousse à vouloir minimiser ou oublier le danger. Mais elle peut nous aider à trouver les ressources pour l’affronter : faire vivre en nous la conscience que la vie est belle, et y puiser de la motivation pour tenir, de l’énergie pour agir, car on sait que ça vaut la peine ! 

J’ai faite mienne cette phrase de Paul Claudel : « Le bonheur n’est pas le but mais le moyen de la vie ». Le moyen, c’est-à-dire que sans le bonheur, on n’a plus les moyens de vivre, on n’a plus l’énergie pour affronter les difficultés de toute vie humaine, et encore moins celle des moments de crise. 

Le bonheur – sa présence, son souvenir, son espérance - n’est pas un luxe mais une nécessité. Surtout dans l’adversité.


Illustration : beaucoup de tempêtes à affronter en ce moment, tout autour de nous mais aussi dans nos têtes...

PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies en juin 2020.

PPS : et malheureusement, il reste d'actualité en cette rentrée.