Ça se passe au début de l’épidémie de coronavirus du printemps 2020. Comme nombre de mes consœurs et confrères, on me sollicite beaucoup pour recueillir mon avis de psy : comment réagir à la peur du virus, au confinement, etc.
Un soir, je suis donc invité au Journal Télévisé de 20h sur France 2, à la grand-messe de l’info. Je suis chez moi, confinement oblige, en chaussettes, à mon bureau, devant l’écran de mon ordinateur. Nous avons fait des tests dans l’après-midi, et je suis en ligne un peu avant le début du journal. J’assiste donc à tout son déroulement, ce que je ne fais pas d’habitude : en bon anxieux qui se soigne, je préfère lire les infos, à mon rythme, à mon moment et à ma dose, ou les écouter à la radio, pour être moins influencé par l’émotion et la manipulation des images. Bref, c’est une expérience inhabituelle.
Je n’interviens qu’à la fin du journal : normal, on parle d’abord des nouvelles vitales et importantes. Du coup, j’assiste à 35 mn angoissantes, avant mon intervention de 5 mn à la fin. Je fais de mon mieux pour expliquer qu’il ne faut pas éteindre la peur mais l’écouter sans s’y soumettre, que nous avons à la transformer en prudence (continuer d’avancer) et non en panique (tout bloquer, tout arrêter). Avec l’impression de répéter toujours les mêmes bons conseils, évidents ; mais je me dis que là, je parle à des personnes qui ne lisent pas de livres ou de magazines de psychologie.
Une fois le JT terminé, je réfléchis à la logique de ce type d'information : après 38 mn à inoculer des inquiétudes, on s’efforce de calmer l’incendie émotionnel. Les paroles qui apaisent après les images qui effraient. Le calmologue après les virologues...
Du coup, je me pose des questions sur mon rôle dans ces moments, sur celui de la psychologie positive. Qui n’est pas de tout positiver, mais d’équilibrer le négatif avec du positif.
Exemple : quand je croise des gens dans la rue, je m’écarte d’eux, c’est un geste barrière, mais négatif ; alors, en même temps, je les regarde, je leur souris, je leur dis bonjour, c’est un geste fraternel, positif. Pas question non plus que la psychologie positive nous pousse à vouloir minimiser ou oublier le danger. Mais elle peut nous aider à trouver les ressources pour l’affronter : faire vivre en nous la conscience que la vie est belle, et y puiser de la motivation pour tenir, de l’énergie pour agir, car on sait que ça vaut la peine !
J’ai faite mienne cette phrase de Paul Claudel : « Le bonheur n’est pas le but mais le moyen de la vie ». Le moyen, c’est-à-dire que sans le bonheur, on n’a plus les moyens de vivre, on n’a plus l’énergie pour affronter les difficultés de toute vie humaine, et encore moins celle des moments de crise.
Le bonheur – sa présence, son souvenir, son espérance - n’est pas un luxe mais une nécessité. Surtout dans l’adversité.
Illustration : beaucoup de tempêtes à affronter en ce moment, tout autour de nous mais aussi dans nos têtes...
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies en juin 2020.
PPS : et malheureusement, il reste d'actualité en cette rentrée.