mardi 24 novembre 2020

une histoire d'amour et de mort




 

C’est l’histoire d’une dame de 80 ans, qui vit toute seule à la campagne. Son mari est mort il y a... longtemps ; ils s’étaient un peu aimés puis beaucoup disputés. 


Mais elle ne se résout pas à rester veuve. Alors, elle s’achète un ordinateur et s’inscrit sur des sites de rencontre pour personnes de son âge. Et un jour elle tombe sur un monsieur de 90 ans, veuf lui aussi. 


C’est le coup de foudre : ils font connaissance, ils se découvrent, deviennent complices, se promènent, chantent tous les deux des chansons de leur jeunesse ; ils s’attachent...

 

Leurs relations ne sont pas toujours faciles, il y a des disputes, des portes claquées, et toujours, à la fin, des réconciliations. Malgré leur âge, ils sont comme des adolescents, remués et bousculés par des émotions qu’ils avaient oubliées, qu’ils ne comprennent pas toujours, qu’ils ne contrôlent pas toujours. 


Mais toujours le cœur battant, à chaque fois qu’ils se retrouvent, et leur histoire d’amour est comme un dernier arc-en-ciel dans leurs vies....

 

Ils savent bien qu’ils sont âgés, et que l’avenir ne leur appartient plus tout à fait. Mais ils savourent toutes ces fleurs qui déboulent dans leur quotidien, après tant de claques reçues... Ils savourent d’autant plus qu’ils sont loin l’un de l’autre : elle habite à Toulouse, il habite à Nantes. 


Ils doivent, pour se voir, prendre des trains, subir de longs trajets, qui les épuisent. Ils parlent parfois de vivre ensemble, mais ils sont trop enracinés dans leurs écosystèmes : leurs maisons, leurs chiens, leurs chats, leurs voisins, les oiseaux de leurs jardins... Alors ils se téléphonent beaucoup.

 

Un jour, la dame ne répond plus, ni au téléphone ni aux lettres envoyées, pendant des jours et des semaines. Et le monsieur apprend que sa bien-aimée est morte. Bouleversé, il meurt, lui aussi, un an après. 


On retrouvera, chez elle et chez lui, des poèmes d’amour qu’il lui écrivait, drôles et légers, habités par l’enfance et la grâce. Un de ces poèmes, qui parle de leur amour et de la distance qui les séparaient, sera lu à l’enterrement du monsieur. Et tout le monde se mettra à pleurer, parce que c’est beau et triste à la fois, ces histoires d’amour empêchées, même à 90 ans.

 

Aimer, c’est s’attacher. On s’attache parfois par nécessité, par fragilité ; mais quand l’attachement est heureux et réciproque, on y gagne en liberté et en joie d’exister. 

 

Aristote enseigne qu’« Aimer, c’est se réjouir ». Spinoza ajoute que « L’amour est une joie qu’accompagne une cause extérieure ». Et voilà l’équation : Aristote + Spinoza = « Aimer, c’est se réjouir que l’autre existe ». 

 

Vous pouvez l’apprendre par cœur, elle vous servira toute votre vie...


 

Illustration : le balcon de la maison de Juliette, à Vérone, sous lequel Roméo venait, peut-être, soupirer et lui envoyer des baisers...


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 25 août 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.



 

vendredi 13 novembre 2020

On n’est pas fatigués !



 

On se plaint souvent de la fatigue, mais il ne faut pas oublier qu’elle a aussi des avantages. Elle est comme la douleur, un signal d’alarme nous avertissant d’un problème en cours. 


Au départ, la fatigue est là pour nous aider. Nous aider, par exemple, à réguler nos comportements : en nous rappelant que nos réserves d’énergie sont épuisées ou que nos capacités sont dépassées, elle nous empêche alors d'aller au-delà de nos forces. La fatigue nous avertit que l’heure du repos et de la récupération est arrivée !

 

Ça, c’est pour notre fatigue à nous. Et puis il y a la fatigue des autres. Parfois, nous aimerions bien que certains autres soient un peu plus fatigués ! Nos enfants, par exemple, quand ils sont petits, et que, le soir venu, leur énervement masque leur fatigue. Ou nos voisins, notamment lorsqu’ils font du bruit : vivement qu’ils se fatiguent ! 


Autrefois, si quelqu'un qui se sentait heureux avait envie de chanter ou de faire de la musique avec un instrument, bien sûr ça cassait un peu les oreilles de l’entourage ; mais au bout d'un moment, le chanteur ou le musicien, fatigué, s'arrêtait. Et les voisins pouvaient souffler. La grande vertu de la fatigue, c’est qu’elle fatigue ! Et que quand on est fatigué, on arrête...

 

Ça, c’était autrefois ; parce qu'aujourd'hui, le souci, c'est la technologie, venue à notre secours pour alléger notre fatigue et repousser nos limites. Alors, si quelqu'un se sent très heureux, au lieu de chanter ou de gratter sa guitare, il peut mettre sa sono, à fond, pendant des heures. La sono ne se fatigue jamais, elle. Et plus c’est fort, plus ça excite, et plus ça efface la fatigue... 


Ah oui, la fatigue a parfois du bon !

 

Et puis, elle en dit long sur la condition humaine, et sur la manière dont chaque personne traverse l’existence : entre les toujours-fatigué(e)s et les jamais-fatigué(e)s, les fatigué(e)s du corps et ceux de l’esprit, ceux qui l’écoutent et ceux qui la refusent...

 

Nous l’avons dit, la fatigue est une conséquence naturelle de toute forme d’action. C’est facile à comprendre pour les actions du corps. Parfois plus subtil pour les actions de l’esprit. 

 

Pourtant notre cerveau lui aussi a ses limites. Réfléchir fatigue, faire attention fatigue, stresser fatigue, passer son temps sur les écrans fatigue... D’où l’étrange apaisement obtenu par la pratique de la méditation de pleine conscience, qui nous réapprend, finalement, à ne rien faire, et à offrir enfin du repos à notre cerveau...

 

L’intelligence de soi qu’apporte la méditation débouche aussi sur une intelligence de la fatigue, un art de l’écouter. Mais pas trop, tout de même, comme le rappelle Proust : « Dans la fatigue la plus réelle, il y a, surtout chez les gens nerveux, une part qui dépend de l’attention et qui ne se conserve que par la mémoire. On est subitement las dès qu’on craint de l’être, et pour se remettre de sa fatigue, il suffit de l’oublier. » 

 

Il en est de la fatigue comme de toutes les adversités : certaines sont à ignorer, d’autres à écouter. Et d’ailleurs... Mais non : je sens que vous êtes fatigués de me lire, je m’arrête ! 


Illustration : une amende pour la prochaine fois que je me plaindrai d'être fatigué (mieux vaut alors me reposer)...

PS : cet article est inspiré de ma chronique 
du 13 octobre 2020dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.