jeudi 29 août 2019

Silence, on vit !




Il y a toutes sortes de retraites de méditation, mais celles que je préfère, ce sont les retraites en silence : imaginez un peu, une semaine entière sans parler ; et bien sûr sans téléphone, ni musique. Rien ! Juste vivre et méditer, sans paroles à prononcer ou à écouter. Et vous savez quoi ? On s’aperçoit alors très vite que ce silence n’est pas une privation, mais une révélation. 

Exactement comme la nuit et le ciel étoilé. En plein jour, alors que le soleil brille et que le ciel est bleu, l’idée que tout cela puisse disparaître peut sembler attristante. Et pourtant, quand le soleil se couche, quand le ciel s’assombrit, et que la lune et les étoiles apparaissent, on comprend qu’on n’a pas forcément perdu au change. Eh bien le silence, c’est pareil, ce n’est pas juste un manque de bruit ou de parole, c’est un autre univers qui se révèle.

Il y a bien sûr tous les bouleversements intérieurs que nous apporte le silence, mais je n’en parlerai pas ici, je veux juste raconter la beauté du silence habité. Car le silence absolun’existe pas à l’état naturel, il serait angoissant et ennuyeux ; non, ce qu’on découvre, c’est ce dont parle Paul Valéry dans Tel Quel« Écoute ce bruit que l’on entend lorsque rien ne se fait entendre… Plus rien. Ce rien est immense aux oreilles. » Ce rien, ou plutôt ce presque rien, c’est la rumeur tranquille de la nature : le vent dans les arbres, les chants d’oiseaux ou cris d’animaux... 

Ce silence habité nous offre un bain sonore apaisé, sans sons intenses, agressants ou continus. Et il y a aussiles bruits et chuchotements des environnements humains lorsqu’ils se font discrets : c’est par exemple le silence des monastères et des lieux de retraites méditatives : l’écho de nos pas, le son des objets que l’on utilise, le chuintement des paroles prononcées à voix basse… Comme le dit un autre écrivain, Christian Bobin, c’est «  le bruit que fait le monde lorsque je n’y suis pas ». 

D’ailleurs, si l’on cherche bien, on découvre vite que tous les poètes du monde l’ont chanté, ce silence… Ah, la voix du silence ! On le sent, tout au fond de nous, que c’est bon, que ça nous fait du bien, d’écouter le silence. Aujourd’hui, les recherches scientifiques démontrent les bénéfices sur notre cerveau, notre santé, de ces temps de calme offerts à nos oreilles et donc à tout notre corps.

Mais, alors même que l’on redécouvre ses immenses vertus, le silence est aujourd’hui en danger, plus que jamais. Tels des hordes de pucerons s’attaquant aux rosiers, la technologie et le mercantilisme semblent avoir décidé de dévorer et d’éradiquer le silence de notre quotidien.

En automne, les jardiniers des parcs publics ne balaient plus les feuilles mortes, ils les rabattent à grands coups de souffleuses ; en hiver, ce sont les tronçonneuses pour élaguer les arbres et les buissons ; au printemps, ce sont les tondeuses à gazon. Et en été, nous avons les couillons à moteur, qui ravagent le calme des lieux naturels à l’aide de leurs quads (en forêt), de leurs ULM (en montagne) et de leurs jet-skis (à la mer). 

Et puis, en tout temps et en tout lieu,  les couillons à sono ; c’est terrible, ces engins destinés à produire de la musique sans fatigue et sans talent : jadis, si un voisin décidait de chanter à tue-tête ou de jouer de la trompette, on pouvait patienter car on savait qu’il finirait par s’épuiser et s’arrêter de lui-même ; mais s’il décide aujourd’hui d’écouter sa musique très fort, rien ne l’épuisera que sa lassitude, votre intervention ou celle de la maréchaussée.

Résultat, le silence est devenu si rare, qu’il est aussi devenu chic et cher : entre autres luxes, c’est lui que font payer les hôtels haut de gamme de la chaîne Relais du Silence, et les salles d’attente de Classe Affairesdans les grands aéroports. C’est un triste destin pour un bienfait au départ gratuit et naturel. Mais je suis confiant, et je suis sûr que le droit au silence, si nécessaire à notre santé et notre créativité, va bientôt redevenir accessible à tous…

Et vous, vous allez les chercher où vos temps de silence régénérateurs et salvateurs ?

Illustration : le silence d'une ville, derrière un double vitrage (Genève, 2018).

PS : ce texte reprend ma chronique du 4 juin 2019 sur France Inter dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi.