« Je ne mens jamais, c’est trop difficile. Il faut sans cesse se souvenir des millions de mensonges, anti-mensonges et quasi-mensonges précédents, quel embrouillamini ! »
Cet aveu n’est pas de moi, mais du génial Joseph Delteil, écrivain inspiré et oublié du siècle dernier. Pas de moi, donc, mais j’adhère totalement à ses propos ! Non seulement, le mensonge pose un problème moral, mais en plus, il est un stresseur mental : à moins d’être un pur psychopathe, on ne sent pas bien dans le mensonge, on ne vit pas bien dans les faux-semblants, ni notre esprit ni notre corps n’aiment cela.
Alors, l’attitude inverse, celle qui consiste à s’efforcer de ne jamais - ou presque jamais – mentir, cela s’appelle comment ?
Spontanéité, sincérité, authenticité : les mots ne manquent pas, et renvoient chacun à une dimension et une nuance spécifique.
La spontanéité suggère un mouvement naturel qu’on ne réfrène pas, une impulsion.
La sincérité évoque plutôt une décision volontaire, un choix moral et relationnel.
Et l’authenticité renvoie à une manière d’être plus durable et permanente, à une façon d’être soi-même à chaque instant.
Être soi-même, c’est quelque chose qui plait beaucoup, à notre époque, où l’on valorise plus volontiers l’authenticité que les bonnes manières, par exemple. Quelqu’un d’authentique, c’est a priori quelqu’un de sympathique, quelqu’un de rassurant, qui ne ment pas, ne triche pas, quelqu’un à qui on a envie de dire : « ça, c’est vraiment toi ! »...
Alors, être authentique, être vraiment soi, ce serait donc l’idéal ? Pas si simple, tout de même...
D’abord parce que « être soi-même », ce n’est pas sûr que ça veuille dire quelque chose de précis. Quand on l’étudie de près, on finit par se demander si le « soi » existe vraiment. En tout cas, un « soi » qui serait toujours stable et prévisible, qui correspondrait à notre personnalité et notre volonté.
La psychologie scientifique nous montre plutôt que nous changeons sans cesse, en fonction des environnements et des circonstances. Une nuit d’insomnie, un succès, un échec, un peu d’amour ou un peu de détresse, et voilà notre « soi-même » qui n’est plus tout à fait le même...
Et puis, il y a un autre souci : « être soi-même », ce n’est pas une garantie de comportement adéquat. Être soi-même, c’est parfois se permettre de se montrer grognon, égoïste, borné, pessimiste, agressif, méprisant... Il y a des personnes qui sont ainsi toujours elles-mêmes, et qu’on n’a pas envie de côtoyer ou de croiser.
Bon, je n’insiste pas, vous m’avez compris, comme beaucoup de ce qui est humain, l’authenticité a ses bons et ses mauvais côtés.
Alors, pour conduire son existence, mieux vaut peut-être s’aligner non sur son ego mais sur ses idéaux... Mieux vaut peut-être s’efforcer de suivre ses valeurs plutôt qu’attendre qu’elles émergent de notre moi profond, si toutefois il existe...
C’est ce travail qui est intéressant, ce travail de mise en cohérence entre ce à quoi on aspire et ce qu’on est spontanément, en se levant chaque matin. Être soi-même, c’est facile. Il n’y a qu’à écouter les pubs : Be yourself, Venez comme vous êtes, etc...
Devenir quelqu’un de bien, ça par contre, c’est du boulot de longue haleine : lâcher son égo pour mieux se rapprocher de ses idéaux, ça prend souvent une vie entière...
Illustration : il y a des moments dans la vie où l'on n'est pas vraiment soi...
PS : cet article est inspiré de ma chronique du 8 septembre 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.