Lorsqu’ils viennent au monde, les nouveau-nés entament leur vie par une grande inspiration. Et lorsque vient le moment de quitter l’existence, les humains rendent leur dernier souffle par une ultime expiration ; dans de nombreuses langues, le terme « expirer » est un équivalent de « mourir ». Voilà pourquoi, depuis toujours, le souffle est associé à la vie.
Il est aussi au cœur du dialogue harmonieux entre le corps et l’esprit. Car il suffit de prendre tranquillement conscience de son souffle, d’arrêter de se disperser pour se sentir respirer, de suivre chacun de ses mouvements, chaque inspiration, chaque expiration, pour s’apaiser peu à peu. Suivre le souffle, c’est la base de toutes les méthodes de relaxation.
Mais cela peut aller encore plus loin : se rendre présent à son souffle, poser et maintenir son attention sur lui, observer comment il est associé à la vie de nos pensées et de nos émotions, c’est la base de toutes les approches méditatives, qui nous enseignent que le souffle nous apporte non seulement l’apaisement mais aussi le discernement.
Le poète persan Omar Khayyam le rappelait ainsi :
« Entre la foi et l’incrédulité, un souffle,
Entre la certitude et le doute, un souffle,
Sois joyeux dans ce souffle où tu vis,
Car toute ta vie est là, dans ce souffle qui passe. »
Le souffle est toujours là, toujours à nos côtés, pour enrichir et approfondir les moments forts de notre vie : nous aider à mieux traverser nos douleurs, et à mieux savourer nos bonheurs. Le souffle est un phénomène simple et humble ; mais sans lui, pas de vie. C’est peut-être pour cela que je suis ému par le son modeste de l’accordéon, l’instrument le plus proche de la respiration humaine, qui s’ouvre et se ferme, doucement, comme un poumon chantant...
Il y a le bonheur et les bienfaits du souffle, et il y a aussi ses drames.
« Je ne peux plus respirer... »
Les parents qui ont eu un enfant souffrant de crises d’asthme savent parfaitement à quoi ressemble l’angoisse de ne plus pouvoir respirer, et ce qu’est l’effroi de voir un humain s’étouffer.
« Je ne peux plus respirer... »
La récente, et encore présente, épidémie de coronavirus a fait basculer de nombreuses personnes malades dans une détresse respiratoire parfois mortelle et toujours éprouvante, dont les survivants gardent longtemps le souvenir traumatique.
« Je ne peux plus respirer... »
Ces mots sont désormais associés au meurtre de George Floyd, mort asphyxié sous le genou d’un policier américain.
Captées par plusieurs vidéos amateurs, ses supplications répétées – « je ne peux plus respirer, s’il vous plaît, ne me tuez pas, je ne peux plus respirer... » - ont suscité une émotion universelle. Émotion d’être témoin impuissant sz l’assassinat d’un être humain. Émotion de constater le calme et l’indifférence de ses assassins. Émotion de s’imaginer, soi-même, en train d’asphyxier, la gorge écrasée au sol sous le genou d’un psychopathe.
Immense tristesse, immense effroi, immense colère. Immense besoin de réagir, avec l’énergie violente de nos émotions. Et puis d’agir, avec l’énergie calme de nos idéaux.
Se rappeler alors le mouvement du souffle, l’inspiration et l’expiration.
L’indignation, la lutte pour la justice d’un côté ; l’obstination pour la fraternité de l’autre. S’ils sont dissociés, aucun de ces deux mouvements n’aboutira. Mais s’ils sont conjugués, ils pourront tout changer.
Allez, on respire, tous ensemble, un grand coup. Et on se met au boulot. Faire reculer et disparaître le racisme, faire avancer et triompher la fraternité, le travail ne va pas manquer...
Illustration : bouts de vie qui s'envolent...
PS : cet article est inspiré de ma chronique du 9 juin 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.