Il y a un moyen de savoir si vous êtes du Nord ou du Sud de la France : si vous ne savez pas ce que sont une pipistrelle ou une chocolatine, vous êtes du Nord. Et si, quand on vous dit « merci », vous répondez non pas « de rien » ou « je vous en prie », mais « avec plaisir », alors vous êtes du Sud.
« Avec plaisir »... Le plaisir est partout dans nos vies. Il est inscrit dans notre condition biologique, il est un de nos deux affects, nos deux ressentis, les plus fondamentaux, avec sa sœur jumelle, la douleur. Douleur et plaisir sont à la base de notre vie émotionnelle, de notre vie psychique, et de notre vie tout court. D’un côté, le ressenti de la douleur nous signale ce qui est désagréable et dangereux ; et de l’autre, le ressenti du plaisir nous indique ce qui est agréable - et le plus souvent utile - à notre vie et précieux à notre existence.
Épicure enseignait ainsi : « Tout plaisir, du fait qu’il a une nature appropriée à la nôtre, est un bien. » Et Voltaire ajoutait : « Le plaisir est l’objet, le devoir et le but de tous les êtres raisonnables ».
C’est pour ça que la nature nous a ainsi équipés du plaisir : prendre plaisir à manger, à boire, à nous accoupler, c’est avant tout bon pour la survie de l’espèce ; mais comme la survie de l’espèce passe par la nôtre, il fallait bien que ce soit bon aussi pour nous, il fallait bien nous motiver. L’activité sexuelle, par exemple : quelle corvée ce serait s’il n’y avait pas le plaisir comme récompense ! Trouver son partenaire, le ou la convaincre, bouger son corps dans tous les sens... Fatigant, tout ça ! Si le plaisir n’était pas au rendez-vous, voilà longtemps que les humains, et tous les animaux d’ailleurs, auraient laissé tomber le sexe, et qu’ils auraient du coup disparu.
Le plaisir, c’est la vie, c’est la nature, mais c’est bien plus que ça : c’est aussi la culture. Car les humains, en plus de ressentir leur plaisir, peuvent le fantasmer, l’amplifier, s’en souvenir, le raconter, l’écrire, le chanter...
Eh oui, le plaisir, c’est bon, mais les mille et une facettes de notre rapport au plaisir, c’est carrément extra, comme le chantait Léo Ferré. Extra et paradoxal.
Par exemple, la satisfaction rapide et répétée de notre plaisir peut conduire à son extinction : un carré de chocolat, c’est top ; toute la tablette, c’est bof, et parfois même, c’est beurk, pour toujours... C’est ce qu’on appelle la satiation : abuser du plaisir jusqu’à la satiété, et continuer encore et encore, alors que le plaisir n’est plus là, seulement son espérance ou son fantôme... Et ce n’est pas la faute du plaisir mais de son abus, comme le notait Vauvenargues : « Lorsque les plaisirs nous ont épuisés, nous croyons avoir épuisé les plaisirs... »
Il y a aussi l’habituation : lorsqu’une source de plaisir est présente en permanence, croire que sa consommation permanente, elle aussi, nous fera plaisir. Ben non ! Le bain moussant c’est sympa, mais au bout de quelques heures, on a comme une envie de sec... Un ou deux épisodes de séries, c’est chouette, mais trois saisons avalées d’affilée, ce n’est plus du plaisir, juste du gavage.
Et à l’inverse, la suspension du plaisir, pourvu qu’elle soit transitoire, peut contribuer à rendre son retour ultérieur plus agréable encore. Le beau temps est toujours plus réjouissant après la pluie. Et même un peu de pluie devient savoureuse après la canicule.
Enfin, il y a la frustration. La frustration, c’est quand on pourrait accéder au plaisir, mais qu’on choisit de ne pas le faire, pour des raisons multiples : mentales, morales ou légales.
La frustration, on sort d’en prendre, comme vous le savez. Avec le confinement, beaucoup de nos plaisirs étaient interdits et reportés, notamment certains des plus fondamentaux, comme le contact avec la nature, l’exercice physique, ou les liens sociaux. Et vraiment, qu’est-ce que c’était bon de reprendre ! Encore meilleur qu’avant, même ! La privation nous ouvre souvent les yeux, et nous savourons beaucoup mieux les délices de nos libertés en grande partie retrouvées que nous ne les savourions avant.
Tant mieux, d’ailleurs, parce que nos ennuis ne sont, peut-être, pas tout à fait finis. Et qu’un autre des avantages du plaisir, c’est qu’il nous donne l’énergie et l’envie de vivre et d’avancer. Ça va nous être bien utile pour les temps qui viennent...
Et vous, qu’avez-vous eu le plus plaisir à retrouver après le déconfinement ?
Illustration : souvenirs de confinement (Van Gogh, La cour de prison, 1890).
PS : cet article est inspiré de ma chronique du 26 mai 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.