vendredi 8 mars 2019

Suivre la mode, c’est ringard !


Il y a longtemps, 15 ou 20 ans, je participais à un congrès de psychiatrie aux USA, dans une grande ville comme Chicago ou Atlanta. Il y avait beaucoup de soleil, et je cherchais un couvre-chef pour me balader, quand je passe devant une vitrine où trônait la casquette rouge de mes rêves. Je rentre pour l’essayer : parfait, il y avait ma taille. Mais elle était tailladée à certains endroits, un peu déchirée à d’autres. Je vérifie la pile : toutes abîmées !

Je demande au jeune vendeur ce qui se passe, et il m’explique en riant que c’est la mode cette année, les vêtements déchirés. Mince alors ! Je connaissais les jeans délavés, mais pas les fringues déchiquetées. L’année suivante, ce truc absurde arrivait chez nous, pantalons tailladés et tout ça… C’est dingue, ces histoires de mode ! 

D’abord, c’est absurde : des bureaux de tendance et de style, commandités par les firmes,  décident tous les ans que l’année prochaine ce n’est plus l’orange qui sera à la mode, mais le violet, et que les vêtements ne se porteront plus amples mais près du corps. Donc, sous la pression insidieuse de ce qu’il convient de porter pour avoir sa place en société, on se débarrasse de son ancienne garde-robe pour suivre bêtement ces diktats et passer à la caisse. 

Ensuite, ça pollue sévèrement la planète : fabriquer un simple T-shirt en coton consomme énormément d’eau. Si on le garde 10 ans, pourquoi pas ; mais si on en change tous les ans, c’est criminel. 

Enfin, ça pollue nos esprits : ça nous rend moutonniers, inquiets quant à notre apparence, tendant à juger les autres sur leur look, etc. L’importance prise par l’apparence physique (corps et fringues) notamment auprès des jeunes et sur les réseaux sociaux, la part qu’elle tend à occuper dans l’équilibre global de l’estime de soi, tout cela est disproportionné et dangereux pour notre équilibre intérieur.

C’est pour ça que ça me réjouit à chaque fois de voir Pierre Rabhi en conférence ou dans les médias, avec sandales, chemise à carreaux et pantalon paysan, pas intimidé par la mode : réconfortant ! Il fait partie de celles et ceux qui résistent tranquillement. Mais quand on ne vit pas dans une communauté ou un groupe ayant adopté ces valeurs, ce n’est pas si facile. 

Alors, on fait quoi ? On résiste comment ? 

Pour la plupart d’entre nous, on peut choisir de n’acheter que ce qu’on appelle des « basiques », solides, écoresponsables, et les garder le plus longtemps possible. On peut les choisir discrets, n’attirant pas l’attention sur nous, ni parce qu’on est à la mode ni parce qu’on est ringard ; le vêtement retrouve alors une fonction plus sobre, il se fait oublier, ce n’est pas lui qui importe mais l’humain qui est à l’intérieur ! 

Vouloir être élégant, plutôt qu’à la mode, me semble un compromis respectable avec nos apparences. Pour les accros à la mode, mais dotés d’une conscience écologique, de nombreux mouvements se dessinent (voir quelques sites ci-dessous) qui encouragent à plus de responsabilité humaine (halte aux vêtements fabriqués dans de sales conditions) et écologique (on recycle).

Il est normal que nos façons de nous vêtir puissent évoluer. Mais il est anormal que les codes changent tous les ans ou presque : ce n’est alors plus une question de plaisir (découvrir des nouvelles couleurs ou formes) ni de fonctionnalité (aller vers un progrès en terme de confort) mais seulement de bénéfices des multinationales de la mode, tout aussi cupides, égoïstes et irresponsables que celles de l’agro-alimentaire, de la banque, etc. 

Comme l’écrivait GB Shaw : « Les modes ne sont après tout que des épidémies provoquées. » Alors, on se soigne et on résiste ?

Sites pour une mode responsable 

Illustration : La mode pour hommes en Allemage de l'Est, en 1975.

PS : cet article a été initialement publié dans Kaizen en novembre 2018.

PPS : quant à la casquette rouge, j'ai fini par l'acheter (il m'en fallait bien une) et elle est toujours en ma possession. Très solide, finalement, malgré les mauvais traitements pré-subis !