Ça se passe un été,
à la montagne, dans une grande maison de famille. Beaucoup de cousins y sont
réunis, et randonnent régulièrement, grandes ou petites balades. Cette
semaine-là, un vieil oncle de 82 ans est venu passer quelques jours avec un de
ses copains, sympathique et dynamique, mais 84 ans au compteur tout de même…
Ils sont plutôt en
forme, autonomes, s’intègrent très bien au groupe plus jeune, et se font leurs
petites journées, partagées entre bons restaurants et visites culturelles dans
le coin.
Ils nous voient tous
les jours partir pour nos promenades. L’oncle n’est pas un fou de sport, et
n’est guère intéressé par la marche. Mais au bout d’un moment, ça titille son
copain. Un matin, alors que nous nous apprêtons à partir faire une balade de
deux ou trois heures, il veut venir avec nous : sans nous en parler, il
arrive au moment du départ de la promenade, chaussures de sport aux pieds. Et il
nous explique qu’il a décidé de nous accompagner.
Mais je l’ai vu
marcher depuis quelques jours, et je pense qu’il va avoir du mal à
suivre ; alors, j’essaye de lui expliquer et de le dissuader, car j’ai un
peu peur qu’il ne chute et se blesse. Il n’a pas envie de m’écouter. Alors l’oncle
le met lui aussi en garde : « méfie-toi d’eux, ce sont des
montagnards, ils crapahutent partout, à toute allure ! » Je lui explique à
nouveau que la randonnée que nous allons faire est en terrain pentu et
accidenté, qu’il risque de tomber. Les cousins se joignent à moi.
C’est un moment très
embarrassant. Au bout de quelques minutes, il renonce à nous accompagner. Mais
on voit bien que c’est douloureux pour lui, et qu’à la déception et à la
frustration, s’adjoignent d’autres états d’âme : nous venons de lui
rappeler qu’il est trop vieux ; qu’il peut partager nos repas et nos conversations,
mais que nos activités sportives lui sont désormais, et pour toujours,
interdites.
C’est pour lui un de
ces moments-couperets où les humains prennent conscience de leur âge : la
première fois où on nous dit « madame » ou
« monsieur » ; la première fois où on nous laisse une place
assise dans les transports en commun ; et la première fois où on
s’aperçoit qu’on n’a plus sa place dans certaines activités sportives…
C’est certainement
un moment douloureux, j’en ai mal pour lui. Durant la balade, nous reparlons de
l’épisode, tous un peu embarrassés. Nous nous demandons si nous n’aurions pas dû
renoncer à notre programme, pour l’emmener en terrain plus facile et
accessible. Mais d’un autre côté, nous étions une dizaine, tous prêts à partir
et désireux de grimper haut. Nous n’avons pas renoncé à notre plaisir, pour
faire une place à un vieux monsieur et nous résoudre à une promenade adaptée au
troisième âge.
Nous avons eu tort…
Illustration : les lieux du crime, quelque part dans les Alpes...
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine au mois de juillet 2017.
Nous avons eu tort…
Illustration : les lieux du crime, quelque part dans les Alpes...
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine au mois de juillet 2017.