jeudi 11 mai 2017

Protéger notre cerveau des pollutions psychiques



Depuis quelques années, ce que l’on nomme « médecine environnementale » prend de l’importance dans nos pratiques de soignants : elle consiste tout simplement à tenir compte de l’influence de l’environnement sur notre santé ou nos maladies.

Cette démarche est désormais bien entrée dans les esprits en ce qui concerne l’environnement physique : nous savons que la pollution de l’eau, de l’air, des aliments que nous ingérons joue un rôle considérable dans l’apparition ou l’aggravation de certaines maladies. Nous savons aussi à l’inverse que respirer de l’air pur, être en contact avec la nature, manger des aliments bio et de saison, influence favorablement la santé de notre corps.

Mais ce que nous savons moins, c’est que le même phénomène d’influences environnementales, toxiques ou favorables, existe aussi au niveau psychique. Des pollutions mentales et sociales agressent régulièrement notre esprit : ainsi, de nombreux travaux montrent que les sociétés dites matérialistes, encourageant et incitant à l’achat et à la consommation, rendent les individus moins heureux, car toujours frustrés et insatisfaits, détournés de sources plus robustes de bonheur (savourer et partager, plutôt que consommer et thésauriser). De même, les sociétés qui valorisent la compétition sociale effrénée (hypocritement désignée par le terme « recherche d’excellence ») provoquent de nombreux dégâts psychologiques : stress et égoïsme chez les « gagnants », dévalorisation et dépression chez les « perdants ».

Comme les pollutions chimiques, ces pollutions mentales agissent insidieusement : lorsque l’air est pollué, lorsque nous avalons des aliments souillés par des pesticides, hormones et autres antibiotiques, nous ne nous sentons pas mal sur le champ. Mais en se répétant, en s’accumulant, ces pollutions affectent, jour après jour, en profondeur, notre santé, jusqu’à la maladie.

De même, les pollutions mentales et sociales ne nous rendent pas fous ou malheureux du jour au lendemain : évoluer dans une société qui nous pousse à acheter de nouveaux vêtements parce que la mode a changé, à acquérir un nouveau smartphone parce que le nouveau modèle a « plus de fonctionnalités », à essayer de mettre nos enfants dans les meilleures écoles « pour assurer leur avenir », à prendre un soin excessif de son apparence physique parce qu’au travail « il ne faut pas avoir l’air trop vieux », etc., tout cela va agir sur nous de manière insidieuse, et nous transformer peu à peu dans un mauvais sens.

Comment lutter contre ces pollutions qui affectent notre esprit, et nos valeurs mêmes ? Un peu en conduisant la même démarche que pour les pollutions physiques : limiter l’exposition aux polluants, et s’exposer au contraire aux « détoxifiants »…

D’abord, donc, limiter l’exposition aux polluants : ne pas se rendre inutilement ou trop souvent dans les magasins, réels ou virtuels, si on n’a besoin de rien (même sous prétextes de soldes ou de promotions) ; lorsqu’on est surexposé aux publicités (affichage, télévision, magazines, internet) régulièrement se rappeler que leur but n’est pas de nous informer ou de satisfaire nos besoins authentiques, mais de nous influencer et de créer, souvent, de faux besoins, que nous ne ressentions pas à la seconde précédente ; concernant son apparence physique, accomplir les efforts minimums requis (ne pas embarrasser les autres en se négligeant) mais se rappeler que l’essentiel n’est pas dans le look mais dans le lien (le véritable effort est d’aller vers autrui, non d’être admiré par lui) ; surprendre son esprit à chaque fois qu’il est en train de nous embarquer dans toute forme de comparaison ou de compétition (jusqu’où est-ce légitime, et comment interrompre le processus le plus tôt possible ?).

Ensuite, s’exposer au contraire aux « détoxifiants » : passer le plus de temps possible dans des environnements où rien ne nous incite à consommer (dans la nature, avec des amis), fréquenter des personnes dont les modes de vie sont des modèles de dépouillement heureux et épanoui (religieux et sages), adopter des loisirs gratuits et sains pour l’écologie de notre esprit (peindre, jouer de la musique, bricoler, jardiner), s’engager dans des activités de bénévolat (qui révèlent l’inanité et la violence des valeurs matérialistes), etc.

Il ne s’agit pas de se couper du monde et de vivre en ascète au prétexte que les influences sociales sont diaboliques et ne nous apporteraient que mal. Il y a des intégristes de la pureté de l’air, de l’eau et des aliments qui transforment leur vie en une suite de contraintes et d’astreintes qui les isolent de tout proche ne partageant pas leur vision. Nous n’avons pas (sauf si nous le souhaitons sincèrement) à devenir des radicaux de l’anticonsommation ou de l’anticompétition : achetons, mais après réflexion, après nous être demandés « est-ce que j’en ai vraiment besoin ? est-ce que cela va augmenter durablement mon bonheur ou celui de mes proches ? », après avoir attendu quelque temps afin de voir si le désir de posséder cet objet ne se dissout pas tout seul. Acceptons de nous engager parfois dans des systèmes de compétition ou d’excellence, mais très vite, demandons-nous quelle en est la finalité, et comment s’en dégager ensuite.

Et puis surtout rappelons-nous ceci : la solution à beaucoup de nos maux et de nos détresses, dans la société de consommation et de pléthore qui est la nôtre, n’est pas d’aller vers le plus (plus d’activités, de possessions, de relations, d’occupations), mais vers le moins, qui nous conduira naturellement vers le mieux, le plus savoureux, le plus heureux, le plus généreux…


Illustration : un casque anti-pollutions psychiques, par Saul Steinberg.

PS : cet article est paru dans la revue Sens & Santé en mars 2017.