L’autre jour à Sainte-Anne, avec une patiente que je vois environ deux fois par an. Elle est suivie par une consoeur, mais elle tient à nos consultations de loin en loin, ça la rassure.
En général, nos entretiens se ressemblent : elle me submerge d’un déferlement de propos négatifs, sur elle et le monde qui l’entoure. Je tiens bon, je souris en la recadrant doucement (« vous pensez vraiment que ..? », etc.). Elle ne lâche rien, fait comme si elle ne m’entendait pas et continue ses propos pleins de malheur et de bile. Et effectivement, il lui en arrive pour de vrai des malheurs, elle n’invente rien. Mais elle ne me parle pas de ce qui va correctement dans sa vie.
Puis les cinq dernières minutes, elle baisse la garde et se met à sourire un peu et à relativiser. Et elle me dit que ça lui a fait du bien de discuter avec moi. Elle termine notre entretien allégée, rassurée que je n’ai pas cédé sur l’essentiel : notre existence ici-bas n’est peut-être pas ce qui se fait de mieux, mais ce n’est pas non plus l’Enfer total. Je suis un peu sonné, mais soulagé moi aussi : que ça s’arrête, et qu’elle semble repartir un peu mieux qu’elle n’est arrivée. Et je sais, car elle m’écrit souvent après les consultations, que nos discussions lui font du bien ensuite, dans les semaines et les mois qui suivent.
Mais j’ai mis quelques années à comprendre que nos entretiens avaient un effet-retard : ils ne marchent pas tout de suite ; il lui faut du temps, à ma patiente, pour malaxer nos échanges dans sa tête, et s’en trouver mieux. Au début, ça m’affligeait, j’avais un sentiment d’impuissance, et j’étais crispé, prêt à l’envoyer sur les roses. Puis, j’ai compris ce que je devais faire pour l’aider : rester calme, continuer de bien l’aimer et de le lui montrer malgré les déferlantes, et faire tranquillement le boulot de thérapie cognitive. Toujours croire en elle, ses bons côtés et son intelligence de la vie. Je ne sais pas jusqu’où ça l’aide (car elle ne change tout de même pas beaucoup d’une rencontre à l’autre), mais je ne sais pas faire autrement pour la soulager.
Souvent, lorsque je vois son nom sur la liste des rendez-vous du jour, je soupire (« ça va être dur… »), puis je souris («je suis content d’avoir de ses nouvelles...»), enfin, je repense à la maxime de Pasteur : « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ». Mon mantra de thérapeute pour les cas difficiles…
Image : Picasso, Femme qui pleure.