jeudi 4 octobre 2018

Je marche seul


Vous connaissez le proverbe (africain, je crois) : "Tout seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin".

Eh bien je me suis demandé si c’était vrai pour le bonheur ? Peut-on être heureux même si on vit seul, même si on est célibataire, dans une société où pour les adultes, la norme affichée, c'est le couple.

Ce qu’il y a de bien avec le célibat, c’est que les clichés ne manquent pas, tout le monde a son avis sur le sujet. Mais globalement, le jugement social sur les célibataires est souvent critique. Et influence beaucoup les ressentis intérieurs de ces mêmes célibataires.

Par exemple lorsqu’ils sortent seuls : aller seul au cinéma, à une exposition, ou pire encore au restaurant, c’est souvent pour eux un moment délicat. Les humains sortant seuls se demandent alors ce que les autres, en couple ou en groupe, pensent d’eux.

C’est le côté sombre du célibat : les personnes seules dans les lieux publics craignent d’avoir un air suspect, inquiétant, attristant. Comme dans le Dictionnaire du Diable, de l’écrivain américain Ambrose Bierce, qui donnait cette définition : « Seul : en mauvais compagnie » ! Toujours le très vieux cliché sur le célibat, entre stérilité et frivolité, dissimulant ou favorisant quelque vice caché…

Mais la solitude a aussi un côté héroïque, avec d’autres clichés, plus favorables : on a choisi de rester seul parce qu’on chérit sa liberté, qu’on veut vivre sans concessions, sans pantouflage. Parce qu’on préfère marcher seul plutôt que se traîner en couple…

Dans notre regard à nous, les médecins, qui ne jugeons pas, vivre seul, c’est simplement un facteur de risque en matière de santé. Comme la sédentarité, le surpoids, la malbouffe ou la cigarette. Et pas seulement à cause de la souffrance et de la honte parfois associées aux solitudes subies et aux pressions sociales sur le célibat.

Il y a également le fait qu’un conjoint, ça nous surveille, ça nous secoue, ça nous remonte les bretelles quand on fait n’importe quoi avec notre vie et notre santé.

Et puis, un conjoint, ça nous socialise, aussi, à deux, on a souvent deux fois plus d’amis, d’occasions de sorties (c’est d’ailleurs ce qui est douloureux dans les divorces et les séparations, on y perd plein de choses dont une partie de notre réseau social).

Mais, pas d’inquiétude tout de même pour les célibataires ! Parce que c’est le lien social en général, et pas seulement le lien conjugal, qui est très bénéfique pour le bien-être et la santé. Toutes les études montrent que les amis, c’est merveilleux aussi !

Par exemple, quand on nous demande d’évaluer la hauteur d’une montagne, nous la supposons moins haute si nous faisons l’expérience avec un ami proche qui se tient en vrai à côté de nous, même s’il ne nous dit rien. Sa simple présence physique nous donne le sentiment que nous pourrons escalader plus facilement la montagne !

Le célibat, ce n’est pas forcément la solitude. Solitude et bonheur c’est compliqué ; mais célibat et bonheur, ça peut fonctionner ! À  condition d’avoir plein d’amis. Et de les voir pour de vrai, pas seulement sur les réseaux sociaux. Et de faire de vraies choses avec eux, des sorties, des randonnées, des vacances, des voyages… Amis virtuels, solitude réelle. Amis réels, solitude plus belle…

Et au fait, vous, ça vous met mal à l’aise, par exemple, d’aller au restaurant tout seul ?

Illustration : un type qui marche seul dans la neige, par Matthieu Ricard...

PS : ce texte reprend ma chronique du 29 mai 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.