vendredi 19 octobre 2018

Volant et danger



Autrefois, la bagnole, c’était classe : la voiture était associée à la modernité, à la liberté, au bonheur. Quand on était au lycée, il nous tardait de pouvoir passer le permis de conduire, c’était une sorte de rite de passage vers l’âge adulte. Et lorsque nous étions étudiants, celles et ceux qui avaient en plus une voiture, c’était vraiment le top !

Entassés dans nos vieilles 2 chevaux, les décapotables du pauvre, nous partions en vacances ou en week-end, pied au plancher. Et ceux dont les parents avaient les moyens pouvaient même se payer des décapotables qui fonçaient à plus de 100 km/h, la vitesse mythique des années 60, des années yéyé ! Allez, roulez jeunesse…

Bon, en même temps, sacré carnage sur les routes… La liste des victimes célèbres de l’époque est longue : James Dean, Albert Camus, Grace Kelly, etc. Plus tous les anonymes évidemment…

Les choses ont changé : les jeunes générations sont moins pressées que nous de passer leur permis de conduire. Parmi mes trois filles, toutes les trois majeures aujourd’hui, aucune n’a le permis de conduire ; et apparemment, elles s’en fichent.

Pire, la voiture est devenue un objet de méfiance ! Symbole de la société de consommation, source de pollution. Et aussi objet transformateur de notre psychisme, à l’orgine de comportements conflictuels, agressifs, ou même délinquants.

Pour les personnalités narcissiques, par exemple, la voiture est un outil aggravant. Imaginez-vous dans la tête de Trump au volant : « moi j’ai le droit de rouler plus vite que les autres, parce que je suis meilleur conducteur, que j’ai une meilleure voiture, et que mon temps est précieux ; tous ces blaireaux de piétons, de cyclistes et les autres automobilistes n’ont qu’à faire attention à moi, et me laisser passer, je suis pressé… »

Mais en fait, la voiture n’est pas coupable en tant que telle : ça rend service, une bagnole ! Le souci, c’est qu’elle peut être un incroyable amplificateur de la bêtise humaine. Tout comme de nombreux objets technologiques…

Prenez le téléphone portable : invention fantastique, mais qui permet aux malpolis de pourrir tout le voyage en train de leurs voisins, en racontant à voix haute et convaincue tous les détails de leur quotidien. Ou bien les systèmes d’amplification du son : très agréables pour écouter ses musiques préférées partout, mais arme absolue pour déranger un maximum de monde en un minimum de temps ; les sound-system à fond sur la plage ou sur les pelouses de pique-nique le dimanche, c’est tout de même quelque chose ! Autrefois, on chantait ou on jouait d’un instrument : au bout d’un moment, on fatiguait et on se taisait, les voisins pouvaient alors dormir ou s’écouter parler. Aujourd’hui, la hifi permet de faire du tapage en tout temps et en tour lieu, sans aucun effort ni aucun talent.

Vous voyez, il n’y a pas que la voiture, qui amplifie la sottise humaine.

Et puis, la voiture est devenue ringarde, car elle avait encore un défaut, devenu de nos jours un péché : elle véhiculait un maximum de clichés sexistes. Vous vous souvenez peut-être de toutes ces blagues sur les femmes et la conduite ? Et de ce vieux diction : « Femme au volant, mort au tournant » ? Eh bien, pour conclure, je vous en proposerai un autre aujourd’hui : « Homme au volant, con au tournant… » 

Et au fait, vous, qui me lisez, vous vous transformez psychologiquement en prenant le volant ?

Illustration : Bonne soeur au volant, Dieu au tournant ?

PS : ce texte reprend ma chronique du 8 mai 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. 

mercredi 10 octobre 2018

Desperate househusband



Ça se passe dans le train, un de mes endroits préférés pour observer tranquillement une partie de l’humanité. Assis non loin de moi, un monsieur drôlement habillé, qui ressemble à une caricature de grand-père partant en vacances : short, chemise à carreaux, gilet de baroudeur sans manches mais avec plein de poches, chaussettes et Méphisto, casquette NYC sur la tête. Prêt pour l’aventure !

Il regarde un film sur sa tablette, mais il a un peu de mal avec le son dans ses oreillettes. De temps en temps, il traficote son appareil et envoie la bande sonore à fond dans tout le wagon. Ses voisins lui tapent gentiment sur l’épaule pour le prévenir, alors il remet le silencieux. Ça recommence deux ou trois fois avant qu’il ne comprenne bien le mode d’emploi.

La scène me fait sourire, et du coup, je me tortille un peu pour voir ce qu’il regarde. Et pour être bien sûr, je me lève pour aller aux toilettes, puis pour me dégourdir les jambes, puis pour aller au bar prendre un café, etc. Plusieurs fois, parce que je suis étonné par ce que je vois, et je veux vérifier sur une durée suffisante !

Car le monsieur regarde un film, ou une série, où il n’y a que des jolies jeunes femmes blondes, apparemment américaines, en train de faire des trucs sympas : déjeuner ensemble, sortir ensemble, faire du sport ensemble, aller en discothèque ensemble. De temps en temps de beaux jeunes gens les rejoignent, et il se passe plus ou moins des choses entre eux, mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est la vie de ces jeunes femmes blondes. Je suis nul en films et séries de ce genre, je n’en ai jamais vu, mais ça doit être quelque chose comme Desperate Housewives, dont j’ai entendu parler, ou d’un de leurs équivalents un peu plus actuels.

C’est un petit spectacle savoureux, comme je les aime : ce monsieur âgé, habillé en baroudeur de jardin public, et en train de se délecter d’une série qui me semble aux antipodes de ce que doit être son quotidien. Qui me semble… parce qu’on ne sait jamais, avec les humains ! Après tout, peut-être vit-il entouré de jeunes femmes blondes. Je savoure cet instant : j’aime quand la vie est imprévisible, quand les sondages sont déjoués, quand mes semblables ont des goûts inattendus.

Et peut-être qu’au même moment, dans ce même compartiment, une jeune étudiante en psychologie est en train d’observer ce grand type chauve et barbu qui n’arrête pas de se lever pour marcher dans le couloir, en reluquant avec insistance l’écran d’un autre monsieur, encore plus âgé, mais nettement moins remuant ? 

Et peut-être se dit-elle, elle aussi, que les humains sont étonnants, et que la vie est décidément intéressante et amusante, pour peu qu’on détourne le regard des écrans asservissants…

Illustration : Les Desperate Housewives (Les Beautés Désespérées, comme disent les québécois ; elles n'ont pas l'air trop désespérées sur la photo...).

PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en août 2018.



jeudi 4 octobre 2018

Je marche seul


Vous connaissez le proverbe (africain, je crois) : "Tout seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin".

Eh bien je me suis demandé si c’était vrai pour le bonheur ? Peut-on être heureux même si on vit seul, même si on est célibataire, dans une société où pour les adultes, la norme affichée, c'est le couple.

Ce qu’il y a de bien avec le célibat, c’est que les clichés ne manquent pas, tout le monde a son avis sur le sujet. Mais globalement, le jugement social sur les célibataires est souvent critique. Et influence beaucoup les ressentis intérieurs de ces mêmes célibataires.

Par exemple lorsqu’ils sortent seuls : aller seul au cinéma, à une exposition, ou pire encore au restaurant, c’est souvent pour eux un moment délicat. Les humains sortant seuls se demandent alors ce que les autres, en couple ou en groupe, pensent d’eux.

C’est le côté sombre du célibat : les personnes seules dans les lieux publics craignent d’avoir un air suspect, inquiétant, attristant. Comme dans le Dictionnaire du Diable, de l’écrivain américain Ambrose Bierce, qui donnait cette définition : « Seul : en mauvais compagnie » ! Toujours le très vieux cliché sur le célibat, entre stérilité et frivolité, dissimulant ou favorisant quelque vice caché…

Mais la solitude a aussi un côté héroïque, avec d’autres clichés, plus favorables : on a choisi de rester seul parce qu’on chérit sa liberté, qu’on veut vivre sans concessions, sans pantouflage. Parce qu’on préfère marcher seul plutôt que se traîner en couple…

Dans notre regard à nous, les médecins, qui ne jugeons pas, vivre seul, c’est simplement un facteur de risque en matière de santé. Comme la sédentarité, le surpoids, la malbouffe ou la cigarette. Et pas seulement à cause de la souffrance et de la honte parfois associées aux solitudes subies et aux pressions sociales sur le célibat.

Il y a également le fait qu’un conjoint, ça nous surveille, ça nous secoue, ça nous remonte les bretelles quand on fait n’importe quoi avec notre vie et notre santé.

Et puis, un conjoint, ça nous socialise, aussi, à deux, on a souvent deux fois plus d’amis, d’occasions de sorties (c’est d’ailleurs ce qui est douloureux dans les divorces et les séparations, on y perd plein de choses dont une partie de notre réseau social).

Mais, pas d’inquiétude tout de même pour les célibataires ! Parce que c’est le lien social en général, et pas seulement le lien conjugal, qui est très bénéfique pour le bien-être et la santé. Toutes les études montrent que les amis, c’est merveilleux aussi !

Par exemple, quand on nous demande d’évaluer la hauteur d’une montagne, nous la supposons moins haute si nous faisons l’expérience avec un ami proche qui se tient en vrai à côté de nous, même s’il ne nous dit rien. Sa simple présence physique nous donne le sentiment que nous pourrons escalader plus facilement la montagne !

Le célibat, ce n’est pas forcément la solitude. Solitude et bonheur c’est compliqué ; mais célibat et bonheur, ça peut fonctionner ! À  condition d’avoir plein d’amis. Et de les voir pour de vrai, pas seulement sur les réseaux sociaux. Et de faire de vraies choses avec eux, des sorties, des randonnées, des vacances, des voyages… Amis virtuels, solitude réelle. Amis réels, solitude plus belle…

Et au fait, vous, ça vous met mal à l’aise, par exemple, d’aller au restaurant tout seul ?

Illustration : un type qui marche seul dans la neige, par Matthieu Ricard...

PS : ce texte reprend ma chronique du 29 mai 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.