L’autre jour, je
donne 2 euros à un SDF assis devant la boulangerie, et il m’en remercie par un
beau sourire et un retentissant « Que Dieu vous bénisse ! ». Sans
bien comprendre pourquoi, j’en suis profondément touché, et troublé. Je repars
avec l’air normal, mais au fond de moi je chancelle. Je suis transpercé par ses
paroles. J’ai l’impression, la certitude pendant de longues minutes, qu’il m’a
envoyé un éclair de lumière, qu’il m’a offert, vraiment, une protection divine,
que ce n’étaient pas que des mots.
Puis je me calme, je
souris de moi-même. Je me demande combien de temps la bénédiction divine va
planer sur moi et me soustraire à tous les maux qui menacent une vie humaine.
Je me sens à nouveau normal dans ma tête, j’ai repris la situation en main.
J’ai peut-être eu tort, allez savoir ; certains jours, je me dis que nous
devrions nous laisser bousculer plus souvent par les mouvements de nos âmes…
Mais tout de même,
c’est drôle comment quelques instants, j’ai pris ses paroles au sérieux. En
fait, j’ai toujours été comme ça. Sur toutes mes photos d’enfance, j’ai le
regard inquiet et sérieux, l’œil attentif et sans malice du jeune humain qui
prend tout au premier degré. Pendant des années, j’ai toujours cru ce qu’on me
disait, j’ai manqué de méfiance, je me suis souvent montré naïf, et souvent fait
moquer ou rouler.
Puis j’ai fini par
comprendre, et par apprendre à sourire tout en me méfiant, à donner le change.
Mais au fond de moi, c’est resté, je commence toujours comme ça : croire
les autres, et tout prendre au sérieux.
Sans doute que ça m’a souvent aidé dans mon métier de médecin et de thérapeute, cette confiance absolue dans ce que me disent mes patients, sans doute qu’ils le sentent et que ça leur donne aussi confiance en moi. Quelques uns m’ont baladé, mais avec tous les autres, ça s’est bien passé.
Avec mes proches aussi, dont je ne me méfie bien sûr pas, cela marche ainsi : je ne doute jamais d’eux et de leurs paroles. Confiance absolue. Les plus farceurs et les plus taquins en profitent parfois pour me bobarder, étonnés eux-mêmes de la facilité avec laquelle j’avale tout. Je marche à toutes les blagues, et je passe à côté de tous les complots. C’est confortable et délicieux. Cela ne m’a jamais mis dans des situations désespérées : je suis un anti-paranoïaque chanceux. Et je ne me sens pas seul…
Sans doute que ça m’a souvent aidé dans mon métier de médecin et de thérapeute, cette confiance absolue dans ce que me disent mes patients, sans doute qu’ils le sentent et que ça leur donne aussi confiance en moi. Quelques uns m’ont baladé, mais avec tous les autres, ça s’est bien passé.
Avec mes proches aussi, dont je ne me méfie bien sûr pas, cela marche ainsi : je ne doute jamais d’eux et de leurs paroles. Confiance absolue. Les plus farceurs et les plus taquins en profitent parfois pour me bobarder, étonnés eux-mêmes de la facilité avec laquelle j’avale tout. Je marche à toutes les blagues, et je passe à côté de tous les complots. C’est confortable et délicieux. Cela ne m’a jamais mis dans des situations désespérées : je suis un anti-paranoïaque chanceux. Et je ne me sens pas seul…
J’avais lu un jour
le récit des adieux de Gustave Thibon, philosophe paysan, à Simone Weil, génie
de la philosophie. C’était en 1942, pendant la guerre, il venait de lui dire,
pour plaisanter : « Au revoir, en ce monde ou dans
l’autre ! » Et elle de répondre, insensible et étrangère à cet
humour, et devenue subitement grave : « Non, dans l’autre monde, on
ne se revoit plus. »
Tout prendre au sérieux : une faiblesse et une grâce à la fois.
Tout prendre au sérieux : une faiblesse et une grâce à la fois.
Illustration : Le rêve de Sainte Ursule, par Carpaccio.
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en janvier 2018.