Longtemps, nous avons hébergé des lapins dans notre jardin.
Nous leur donnions à chaque repas nos épluchures et trognons de légumes et de
fruits, ils adoraient ça. Dès que nous ouvrions la porte de la cuisine donnant
sur le jardin, ils accourraient pour voir ce que nous allions leur offrir. Ils
avaient un goût très sûr : ils reniflaient quelques secondes, mordillaient
éventuellement, puis si ça ne leur plaisait pas, rabattaient leurs oreilles en
arrière et s’éloignaient d’un air déçu ; les nôtres par exemple n’aimaient
pas du tout les poireaux ni les endives.
J’avais tiré à l’époque deux conclusions de ces échanges
réguliers avec nos lapins.
Le première concernait les liens entre alimentation et
émotion : jamais ils ne galopaient vers nous aussi vite que quand nous leur
apportions à manger. C’est ce qu’on nomme la reconnaissance du ventre. Ce partage
affectif autour de la nourriture existe aussi chez les humains : dans les
couples et les familles, amour et bonne chère font souvent bon ménage…
Mais après les liens entre amour et nourriture, ma deuxième
conclusion était que contrairement aux lapins, nous ne pouvons plus guère faire
confiance à notre instinct pour savoir ce qui est bon pour nous : trop
d’aliments transformés et trafiqués, dans lesquels le sel, le sucre, les
exhausteurs de goût affolent nos papilles et nous font avaler trop de saletés et
d’aliments mauvais pour notre santé.
Ce serait tellement bien si, comme nos lapins, en reniflant nos
aliments, nos oreilles se rabattaient en arrière pour nous signaler de ne pas
en manger !
Comme nous n’évoluons plus dans des environnements naturels, comme
les aliments que nous rencontrons sont désormais transformés, notre instinct ne
nous sert presque plus à rien. Nous devons désormais nous appuyer sur nos
connaissances et nos savoirs pour décider de ne pas trop manger de ce délicieux
saucisson, et de ne jamais toucher à ces biscuits à apéritifs au goût de bacon
synthétique.
Nous nous efforçons de suivre les recommandations des experts
scientifiques, et nous nous faisons parfois piéger par des gourous hâbleurs qui
ressemblent à des experts. Ou par nous-mêmes et nos obsessions, de minceur ou
de bien-être. Car aujourd’hui, manger ne sert plus seulement à nous donner énergie
ou plaisir, mais aussi bonne apparence et bonne santé.
Du coup, on est parfois un peu perdus. Mais pour ma part, quand je ne
sais plus que faire ni quoi avaler, je repense au style de vie de nos maîtres
lapins, qui ont atteint un âge très respectable en gambadant dans le jardin et
en n’avalant que des fruits et des légumes. Alors, c’est simple :
végétables à volonté, et rien de mauvais ne pourra nous arriver ; du côté
de l’assiette, en tout cas.
Et vous, c'est quoi votre politique de l'assiette ?
Illustration : des petits lapins de tapisserie médiévale (celle de la Dame à la licorne, au muse de Cluny, à Paris).
PS : ce texte reprend ma chronique du 23janvier 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.
Illustration : des petits lapins de tapisserie médiévale (celle de la Dame à la licorne, au muse de Cluny, à Paris).
PS : ce texte reprend ma chronique du 23janvier 2018, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.