vendredi 2 février 2018

Cauchemars



Parfois, je pense à tous les cauchemars que j’ai faits dans ma vie, comme beaucoup d’entre nous. Que d’aventures !

J’ai étouffé dans des tunnels en faisant de la spéléologie ; plus j’avançais, plus ils devenaient étroits, et je ne pouvais pas faire marche arrière. J’ai été attaqué par des dizaines d’assassins qui voulaient ma peau ; mais je ne me suis pas laissé faire, et je leur ai distribué des grands coups en poussant des cris terribles. Je suis tombé dans le vide un nombre incroyable de fois. Je me suis noyé. Je suis sorti tout nu dans la rue, parce que j’étais très pressé et que j’avais  oublié de m’habiller. J’ai été attaqué par des chiens, des lions, des requins. Mais jamais, jamais par des aigles noirs. Ou alors, j'ai oublié...

Un de mes cauchemars récents les plus étranges mettait en scène mon copain Ali Rebeihi, de France Inter. Pour nous rendre à la Maison de la Radio, nous venions de voler une grosse BMW noire, un vieux modèle pas terrible, une voiture de petits brigands de seconde zone. Dans le rêve, c’est Ali qui conduit : mal, trop vite, parce que la police nous poursuit déjà. A un moment, pour leur échapper, il descend sur une rampe destinée aux bateaux, et nous tombons dans le port avec la voiture. Gros coup d’angoisse pour sortir et ouvrir les portières, j’ai le temps de me dire « on va se noyer », mais on y arrive. 

Les policiers nous attendent  sur le quai, et ils commencent à nous interroger. Je comprends qu’il veulent que j'accuse Ali, que je leur dise que c’est lui le coupable, et qu'il m’a entraîné dans cette aventure. Au début, je n’ai pas compris, alors je raconte que c’est lui qui a eu effectivement l’idée de voler la voiture. Puis je comprends leur manœuvre, et je modifie mes arguments, je procède comme un avocat et je retourne la situation pour le disculper. 

Le chef des policiers comprend qu’il a perdu la partie, et me dit « bien joué ! » Là, je m’aperçois qu’en fait c’est un hippopotame, car il ouvre alors la bouche en grand et il a plein d’énormes dents pourries (ça, c’est parce que je suis en soins chez le dentiste au moment du cauchemar). Il me dit « servez-vous », et je comprends que je dois prendre un des nombreux cure-dents qu’il y a dans sa bouche, plantés à côté de ses chicots jaunâtres. Il veut qu’on prenne l’apéro avec lui. Je lui arrache un cure-dents de la mâchoire, mais je trouve ça répugnant, l’idée de piquer les olives à apéritif avec ce machin dégoutant. J’ai une énorme bouffée de dégoût, et ça me réveille…

Bon, enfin, ça ce sont mes petites histoires. Mais que faire quand on cauchemarde régulièrement ?

D’abord comprendre que, comme pour tous nos rêves, ces scénarios nocturnes qui nous agitent traduisent souvent des préoccupations non réglées ou des aspirations non accomplies. Pas forcément besoin de chercher trop loin des explications ésotériques : si nous cauchemardons, c’est que nous avons, dans notre présent ou notre passé, des événements à forte charge émotionnelle, à affronter ou à digérer.

Pour nous aider, nous pouvons en parler, à nos amis ou nos proches, ça s’appelle le soutien social ; nous pouvons les mettre par écrit, ça n’a l’air de rien mais ça fait beaucoup de bien, et ça s’appelle un journal ; nous pouvons aussi nous apaiser avant de nous endormir, faire infuser un peu de calme dans notre cerveau, en nous relaxant, ou y faire infuser un peu de joie, en repensant aux petits bons moments de la journée.

Et puis se dire qu’en général, avec le temps qui passe, les cauchemars sont de moins en moins fréquents et de moins en moins violents…

Mais tout de même, je repense à un truc qui me tracasse à propos de cette voiture qu’on a volé tous les deux cette nuit-là : est-ce qu'Ali, grand piéton devant l'éternel, a son permis de conduire ? 


Illustration : le chef des policiers nous poursuivant pour l'interrogatoire.

PS : ce texte reprend ma chronique du 12 décembre 2017, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.