Je marche dans les bois, dans le froid clair d’une belle journée d’hiver.
Les jours précédents ont été pleins d’inquiétudes. Et j’ai eu à lutter pour ne pas m’y noyer : méditer, sourire, écouter sincèrement les mots de réconfort de mes proches au lieu de les écarter et de ne pas y croire, me parler à moi-même sans cesse pour maintenir vivante la petite flamme de l’espérance ; sourire encore et encore, malgré tout, sans raisons, sans attentes, le matin en m’éveillant, le soir en m’endormant. Mais ce matin-là, je viens d’apprendre une bonne nouvelle, qui a déchiré le voile de mes peurs, et m’a redonné joie et courage.
Je marche donc, plein de gratitude et d’énergie, les yeux et le cœur grand ouverts, avalant chaque instant avec bonheur et simplicité, comme un animal, c’est-à-dire avec la pure intelligence de l’instant présent, sans autre attente que celle de me sentir vivant. J’ai l’impression de découvrir un jardin d’Eden, situé au Nord, au froid, mais bienveillant et magnifique.
Et là, je la vois.
Devant moi, délicatement posée au milieu du chemin, une petite plume de geai. La plus élégante de ses plumes : celle qui porte les rayures bleues et noires, qui embellissent l’avant des ailes. Un petit éclat de grâce, tombée du ciel, discrètement offerte par le geai silencieusement envolé à son frère inférieur, l’humain qui marchait lourdement, mais qui volait lui aussi dans sa tête.
Ravissement infini de cette rencontre ; il n’y a plus aucun mot pour accompagner l’envol de mon âme vers la joie dépouillée de tout, la joie que l’on doit ressentir au Paradis. Mon esprit essaye de trottiner derrière le tourbillon de mes états d’âme, s’efforce de faire son travail clarificateur et explicatif, tente de nommer ce que je ressens. Personne ne l’écoute.
Je ramasse la plume, la contemple ; je la place délicatement dans une de mes poches ; surtout ne pas l’abimer ; puis je repars à pas lents, heureux, léger, comblé. À la fois empli de toutes ces grâces (marcher, vivre, admirer, respirer, entendre, voir…) et allégé par elles.
Une fois rentré, je m’assieds sur mon banc de méditation et j’écoute enfin mon esprit. J’observe le déroulement de mes pensées, qui me disent ceci : que tu pleures ou que tu ries, le monde est plein des mêmes grâces. Pourquoi n’es-tu pas encore capable de vivre de tels bonheurs même dans le chagrin et l’inquiétude ? Aurais-tu été aussi émerveillé devant ta plume de geai, si tu n’avais pas été soulagé par les bonnes nouvelles de ce matin ? Je n’ai pas de réponse. Alors, je me contente de respirer et de laisser la leçon infuser longuement en moi, afin que ses graines prennent le temps de germer et grandir dans mon cerveau.
Derrière la fenêtre, le soleil brille et la lumière du jour est plus claire et émouvante que jamais.
Illustration : la voilà en vrai, la belle plume...
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en avril 2017.