lundi 10 avril 2017

Verdure, rugby et nature



J'ai fait récemment une petite une expérience de psychologie : en observant ce que faisait mon cerveau lorsque je l’exposais au mot vert, j’ai vu qu’il produisait des souvenirs liés au rugby. Par le biais, sans doute, d’une synesthésie…

Oui, comme toutes les couleurs, le vert parle à chacun de nous, et dans mon cas, il est fortement associé à une odeur, celle de la pelouse fraîchement tondue d’un terrain de rugby, au printemps.

C’est peut-être une synesthésie, du grec syn (ensemble) et esthesis (sensation), ce phénomène par lequel vous voyez des formes en écoutant de la musique, ou vous percevez des couleurs en observant des lettres, comme dans le célèbre poème d’Arthur Rimbaud, Voyelles : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu… »

En tout cas, prononcez le mot vert en ma présence et instantanément une horde de souvenirs multisensoriels déboule dans mon cerveau, du côté de mon hippocampe : je me souviens de l’odeur très forte et enivrante de l’herbe coupée le matin même, du ciel de printemps très bleu, de la petite fraîcheur encore perceptible lorsqu’on passe à l’ombre des tribunes avant de retrouver le soleil du terrain, du bruit des crampons sur le sol en ciment des vestiaires, des émotions mêlées d’excitation et d’appréhension face au combat physique avec un vainqueur et un vaincu que représente un match de rugby. Tout ça déclenché par le simple mot « vert » prononcé devant un ancien gamin de la campagne toulousaine…

Bon, je vous ai parlé de synesthésie tout à l’heure, c’est peut-être simplement un simple conditionnement pavlovien, qui associe dans mon esprit la couleur verte et le rugby. Mais tout de même, c’est fort dans notre cerveau ces histoires de verdure et de nature !

Vous savez qu’on peut en observer les traces cérébrales en laboratoire : regarder des images de nature entraîne une activité accrue dans le cortex cingulaire antérieur et l’insula (les zones de notre cerveau associées à la stabilité émotionnelle, l’altruisme, l’empathie) tandis que la contemplation de lieux urbains augmente plutôt l’activité de l’amygdale cérébrale (la zone de réponse aux situations émotionnellement pénibles).

Différents travaux montrent enfin que le contact avec la nature facilite la récupération mentale après des tâches complexes et améliore la vigilance, l’attention, la mémoire, etc. Bref, le « sequi naturam » (suis la nature) d’Aristote représente une véritable cure de bien-être ! D’où l’appellation utilisée par certains chercheurs de « vitamine V » (V pour vert ; les anglo saxons parlent eux de « vitamin G », G pour green).

Mais ce constat scientifique ne va pas sans poser quelques soucis ! Car la diminution du lien à la nature est le destin de la plupart des habitants de la planète. Aujourd’hui, plus d’un humain sur 2 est un citadin, et ce chiffre va croissant : il est déjà de 80% chez les occidentaux, qui passent aujourd’hui plus de temps devant les écrans que dans la nature (screen time contre green time).

Il est donc urgent pour les humains de relire le philosophe américain Thoreau, et son Journal dans lequel il notait : « Aucun homme n’a jamais imaginé à quel point le dialogue avec la nature environnante affectait sa santé ou ses maux. »

Et vous, c’était quand votre dernière balade dans la nature, à savourer la couleur verte ?


Illustration : Vous sentez cette bonne odeur d'herbe fraîche ?

PS : ce texte reprend ma chronique du 28 février 2017, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.