lundi 5 septembre 2016
Stéréotypes antipathiques
De temps en temps, je surprends ma cervelle en train de produire des pensées que je n’aime pas du tout. Pas seulement des inquiétudes, tristesses ou colères exagérées, mais des clichés, des stéréotypes.
Par exemple, j’ai croisé l’autre jour un homme d’environ cinquante ans, cheveux grisonnants, habillé comme un ado en train de faire du long-board (une grande planche à roulette) sur le trottoir, casque audio sur les oreilles, et casquette à l’envers. J’ai pris mon cerveau la main dans le sac, en train de le juger : « à son âge, c’est quand même un peu pathétique ». Avant de me dire : « ben quoi ? Il s’amuse, ne fait de mal à personne, et c’est peut-être quelqu’un de bien, un chouette humain, sympa et généreux. »
Un autre jour, encore pire : à un feu rouge, deux jeunes gens au look de cadors de banlieue étaient au volant d’une grosse Mercédès décapotable noire, lunettes noires et sono à fond. J’ai vu jaillir le cliché à mon esprit : « à leur âge, comment ont-ils pu se payer une voiture aussi chère ? ce sont probablement des dealers… » Malsain. Vite, je me remonte les bretelles : « tu n’en sais rien ! ce sont peut-être aussi deux génies de l’informatique, qui ont crée une start-up et fait fortune ? si tout le monde se met à penser des trucs comme ça, la société devient invivable ! fais leur crédit d’autres compétences que le trafic de drogue. »
Mais pourquoi ai-je donc de temps en temps des trucs pareils qui surgissent dans ma tête, moi qui pense être plutôt tolérant et bienveillant ? Moi qui pense ne pas être du tout raciste ? Pourquoi de telles pensées à l’opposé de mes valeurs, surgissent-elles ainsi à mon esprit ?
Je n’en sais trop rien. Il me semble ne jamais les cultiver de manière consciente ou délibérée. Peut-être que je ne travaille pas assez mes contre-stéréotypes bienveillants ? Du genre : « tous les adultes qui font du long-board sont en général des gens originaux et sympathiques » ou « tous les conducteurs de grosses voitures très chères les ont le plus souvent gagnées en faisant un boulot honnête ». Ce ne serait pas mieux.
Je dois simplement continuer à être attentif à tous les bugs de mon esprit, ou à toutes les contaminations par simplifications abusives qu’il a tendance à produire, par paresse personnelle et par passivité face aux clichés : le stéréotype est bien pratique, il nous évite de réfléchir aux cas particuliers, nous offrant un prêt-à-penser confortable et souvent trompeur.
Allez, je vais continuer à travailler, à repérer et à secouer mes stéréotypes mentaux, continuer de faire régulièrement le grand ménage dans mon stock de clichés, apprendre à ne juger que lorsque je connais, et pas juste parce que des personnes ou des comportements inhabituels font irruption dans mon petit monde.
Illustration : stéréotypes et préjugés avancent toujours masqués dans notre cerveau, à nous de les débusquer...
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en juin 2016.