lundi 14 décembre 2015
De quoi se nourrit notre esprit ?
La méditation est une très vieille pratique, tant en Orient qu’en Occident. Mais ce n’est que depuis peu que la science a validé sont intérêt dans le domaine de la médecine et de la psychologie. De pratique spirituelle et religieuse au départ, la voilà donc devenue, laïcisée et codifiée, outil de soins.
Nous pouvons nous en réjouir : l’étendue des souffrances humaines est vaste, et toute nouvelle approche susceptible de les réduire est la bienvenue.
Mais pour notre part, depuis que nous avons introduit dès 2004 à l’hôpital Sainte-Anne, nos thérapies de groupe par la méditation, nous assistons de manière régulière à un phénomène étonnant : malgré cet usage strictement thérapeutique, malgré notre discours laïque, nous voyons souvent émerger, au sein de cette pratique, des moments de spiritualité chez nos patients.
Ainsi, il est fréquent que ces derniers nous parlent de ressentis indicibles qu’ils ont pu éprouver en méditant, d’expériences de fusion et d’appartenance, profondes et sans mots pour les décrire, au monde qui les entoure. De vécus d’apaisement allant au-delà de la simple suspension de leurs souffrances. De sentiments de redécouverte de leur esprit et de leur corps (car la méditation est grandement à l’écoute du corps) comme de redécouverte aussi de leur âme. Finalement, d’expériences de vie spirituelle, tout simplement !
Il y a là quelque chose de touchant bien sûr, mais aussi d’étonnant : laïcisée, codifiée, scientificisée, instrumentalisée, mise au (noble) service de la médecine et du soin, voilà la méditation qui, naturellement, revient vers ses racines spirituelles, et y ramène ses pratiquants réguliers. Voilà qu’après avoir été un remarquable outil qui les a aidés à marcher sur le chemin de cendres de leurs souffrances et détresses, elle devient une compagne de route sur la voie de leurs interrogations existentielles. Voilà qu’après les avoir affranchi de la souffrance, elle les ouvre à leur vie intérieure et à ses mystères.
Comme une boussole revient toujours vers le Nord, la méditation, même laïcisée, même originellement pratiquée pour s’apaiser (en termes de souffrances) ou s’enrichir (en termes de capacités mentales, de maîtrise, de lucidité), nous ramène toujours vers la spiritualité.
La spiritualité, c’est tout simplement l’attention, le respect, l’humilité accordés à la vie de l’esprit, perçu comme chambre d’écho du monde, visible ou invisible. Non pour le maîtriser, cet esprit, non pour l’asservir, en faire un outil au service de nos ambitions, mais pour observer, s’incliner, recueillir, contempler, se tourner vers les mystères de la vie sans la certitude de réponses claires.
Je crois avoir lu un jour cette remarque attribuée au Dalaï-Lama : « Nous pouvons nous passer de thé, mais pas d’eau. Tout comme comme pouvons nous passer de religion, mais pas de vie spirituelle. » La spiritualité peut parfaitement se vivre de manière laïque. Et aussi conduire à une qualité accrue de notre foi si nous sommes croyants. C’est pourquoi de nombreux croyants viennent aujourd’hui à la méditation : car la seule foi ne suffit pas à guérir (elle est là pour sauver, pas pour soigner). Et ils s’en retournent ensuite, enrichis, apaisés, vers leur religion : car la seule méditation ne suffit pas à pleinement les nourrir…
Illustration : au Québec, une barque au bout d'un quai, par mon ami Rémi Tremblay.
PS : cet article a été initialement publié dans le magazine La Vie le 10 décembre 2015.