vendredi 12 février 2010

Les sages ont-ils vraiment quelque chose de plus que nous ?


Peut-être bien que non.
Écoutez plutôt ces paroles d’Arnaud Desjardins, rapportées par Bernard Campan, dans un très beau livre avec Alexandre Jollien, La Philosophie de la joie, aux éditions Textuel :
«Qu’est-ce qu’un sage a de plus que nous ?» est une mauvaise question.
Il s’agit plutôt de se demander : «Qu’est-ce qu’un sage a de moins que nous ? Quelles peurs et quelles demandes avons-nous qu’il n’a plus ?»
C’est bien vu.
De quoi devons-nous nous débarrasser, nous alléger, pour arriver à un peu plus de sagesse ? La sagesse comme un dépouillement, et pas seulement comme un enrichissement, un empilement d’expériences et de réflexion. J’aime bien cette idée.

Illustration : Bouddha effectue avec ses mains le geste de l'enseignement, le vitarka mudra.

jeudi 11 février 2010

Assurance Manque de neige


Quel drôle de monde que le nôtre ! L’autre jour, je tombe sur une publicité pour une carte de crédit de luxe, qui permet à son possesseur d’accéder à tout un tas d’avantages, dont celui-ci : « La garantie exclusive Manque de neige » qui indemnise toute la famille « en cas de manque de neige pendant deux jours consécutifs ou de mauvaises conditions climatiques entraînant la fermeture d’au moins 50% des remontées ou des pistes, pendant au moins 5 heures ».
Je n’ai rien contre les assurances, et je comprends bien que c’est râlant de se frayer un chemin dans les grandes transhumances hivernales jusqu’à une montagne lointaine, et de ne pas pouvoir y skier. Mais, là, je suis perplexe.
On n’a pas des trucs plus importants à assurer que notre frustration à ne pouvoir skier ? Vers quoi ça nous pousse, ce genre d’habitudes ? Le jour où l’on pourra contrôler la météo, et faire neiger à volonté, nous serons tentés de le faire, pour notre seul bon plaisir ? Pas très normal ni rassurant, ce que prédit l’apparition de ce genre d’assurances. Ou alors, c’est que je deviens un vieux grincheux rouspétant contre son époque. C’est possible aussi…
Je repense en tout cas au slogan de Mai 68 « Jouir sans entraves ». Le voilà recyclé par notre société d’hyperconsommation : « Soyez assurés de pouvoir jouir sans entraves »…

Illustration : de la belle neige des Pyrénées, photographiée par Frédéric Richet.

mercredi 10 février 2010

Consolation

"Les enfances heureuses font des vies heureuses. Les enfances malheureuses, des vies fécondes."
C'est de la romancière Irène Nemirovski. C'est parfois vrai. Pas toujours, hélas. À quoi cela tient-il ?

mardi 9 février 2010

Admiration


L’autre jour, je donnais une conférence sur les états d'âme dans la crypte d’une église. À la fin de la rencontre, les responsables de l’association qui m’a invité rangent les tables et les chaises.
Puis j’en vois quelques-uns qui visiblement s’apprêtent à passer la nuit sur place : leur groupe a établi une permanence, et ils se relaient à plusieurs, chaque nuit, pour rester dormir avec des SDF accueillis dans leurs locaux, en cet hiver de grand froid.
Pour avoir un peu fréquenté, comme soignant notamment, la population des SDF, je sais que ce genre de nuits, c’est rarement une partie de plaisir : entre ceux qui délirent, ceux qui ont trop bu, ceux qui sont suicidaires, ceux qui sont très très sales, ceux qui ne décrochent pas un mot tellement ils vont mal dans leur tête, c’est souvent un sacerdoce.
Du coup, moi à qui l’on vient de faire des compliments pour mon topo, je me sens comme un imposteur : ce n’est pas moi qu’il faut admirer, mais eux. Pourtant j’ai reçu en quelques instants de passage plus de félicitations qu’eux. Drôle de monde. Même si je sais qu’ils et elles ne font pas ça pour ça.
Consolation et déculpabilisation : la conférence, pour laquelle il y avait un petit droit d’entrée, aura rapporté de l’argent pour soutenir toutes ces actions bénévoles. Ouf, je vais arriver à dormir…

lundi 8 février 2010

Mon ami et la psycho-neuro-immunologie


Malade, une sale sinusite surinfecté, bien pénible. Maux de tête, fièvre, fatigue. Je téléphone à l’ami chez qui nous devons nous rendre le soir même pour lui dire que je ne pourrai pas être là ; je suis triste, et j'ai beaucoup hésité, car je sais qu’il a aussi invité plein de gens que j’aime bien.
Il est un peu déçu, mais me réconforte par des paroles gentilles. Et en raccrochant, je me dis que non, c’est trop dommage ! Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu, j’ai vraiment envie d’y aller quand même.
Ce ne sera sans doute pas une bonne opération du point de vue de ma santé, vu ma fièvre de cheval, mais je me motive moi-même avec de la psycho-neuro-immunologie. Vous savez, le principe c’est que notre psychisme influe sur notre système nerveux, qui influe sur notre immunité (le stress nous rend plus fragile face aux infections, et inversement le bon moral nous aide à mieux lutter).
Alors je me dis : sortir dans le froid pour voir ton ami, voir tous ces gens que tu aimes bien, ça va un peu t’enfoncer dans ta crève, mais si tu le vis comme un choix et non comme une obligation, ça va te faire plaisir et ça compensera.
Pour être honnête, ça n’a pas tout a fait bien marché, mon plan psycho-neuro-immunologique. Pas du tout, même : j'ai été trois fois plus malade les jours qui ont suivi.
Mais bon, je ne regrette rien, ça m’a vraiment fait plaisir de revoir mon vieux pote. Dans un an, je me souviendrai de la soirée, pas de la sinusite. Enfin, j’espère, on va voir comment ça va tourner, mon truc...

Illustration : deux amis jouant aux échecs ; celui de droite a mal à la tête à cause de sa sinusite.

vendredi 5 février 2010

Bright Star


C'est une scène magique dans le film de Jane Campion, Bright Star (qui raconte la vie du plus grand poète anglais, John Keats ; courrez-y vite, si vous ne l'avez pas encore vu !).

Sa fiancée, Fanny Brawne, vient d'apprendre que Keats est mort, à Rome, où il s'était rendu pour tenter de freiner l'évolution de sa tuberculose. Elle fond en larmes, puis s'effondre à genoux, et commence à s'asphyxier : elle ne peut plus respirer. Elle appelle sa mère au secours ; celle-ci accourt, et voit tout de suite que sa fille va peut-être mourir ainsi. Alors, elle ne dit rien, mais s'agenouille face à elle, front contre front, la prend par les épaules, et se met à respirer très fort, pour la ramener à la vie. Peu à peu, Fanny synchronyse son souffle sur celui de sa mère, et remonte lentement à la surface de son chagrin.

Pas de paroles pour sauver, juste le souffle, la respiration.

Cela me rappelle, en moins tragique évidemment, tout ce que nous faisons avec le souffle en psychothérapie, tout ce que nous essayons de transmettre à nos patients. Et évidemment aussi, tout ce que j'utilise pour moi-même : dans les moments de dérapage émotionnel, se recentrer vite sur son souffle, jusqu'à retrouver son discernement....

jeudi 4 février 2010

Ah ! Les parents...


Ma fille Louise qui me raconte l'autre jour à quel point une de ses amies n'a pas de chance : ses deux parents sont avocats !
"Tu comprends, quand il faut discuter les horaires d'ordinateur, ou négocier les sorties, elle est toujours à court d'arguments avec eux..."
J'approuve ; en effet, ça ne doit pas être commode. Mais tout à coup, je suis pris d'un doute, et je lui demande : "Euh... Et avec un père psy, c'est pas trop dur ?"
Et Louise, magnanime : "Mmm, c'est tout de même moins pire."

Illustration : une sympathique famille.

mercredi 3 février 2010

Abstinence

"Abstinent : personne faible qui cède à la tentation de se refuser un plaisir."
Ambrose Bierce, Dictionnaire du Diable.

C'est vrai que je n'avais jamais vu les choses comme ça...

mardi 2 février 2010

Simples mots


Ils n’y sont pour rien, et c’est notre problème davantage que le leur. Mais c’est comme ça : ils y a des mots qu’on aime et d’autres qui nous irritent. C’est bien sûr lié à ce qu’ils veulent dire ; mais aussi à leur usage abusif, et à l’idéologie qui nous semble se cacher derrière eux.
Pour moi par exemple, depuis des années, ce sont des mots tels que : challenge, ou défi. Dès que quelqu’un utilise ces mots dans une phrase, même anodine (« pour moi, c’était un challenge de reprendre le ski après des années sans en faire », « je me suis lancé un défi : arrêter la cigarette ») mon poil se hérisse instinctivement, à l'approche des valeurs de compétitions inutiles qu'ils sous-entendent.
Je sais que pour certaines personnes, notamment chez les thérapeutes, le mot évaluation produit le même effet. Alors que pour moi, il est neutre, voire légèrement positif (un univers psychothérapique sans évaluation représenterait à mes yeux un grand bazar du flou).
Et puis, il y a des mots que j’aime bien, surtout les mots mystérieux et poétiques : j’adore par exemple morganatique ou hypostase. J’oublie régulièrement ce qu’ils veulent dire. Alors je vais fouiner dans le dictionnaire, et je tombe sur d’autres mots poétiques. Le langage est vraiment quelque chose de magique : savoir que des humains ont éprouvé le besoin de mettre des noms sur des objets ou des phénomènes, et que ces noms sont à notre disposition, endormis quelque part dans un dictionnaire, c’est drôle comme ça m’émeut. Quelle chance nous avons d’appartenir à cette espèce !

lundi 1 février 2010

Nelson Mandela


« J’ai toujours su qu’au plus profond du cœur de l’homme résidaient la miséricorde et la générosité. Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé, ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer, car l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que son contraire. Même aux pires moments de la prison, quand mes camarades et moi étions à bout, j’ai toujours aperçu une lueur d’humanité chez un des gardiens, pendant une seconde peut-être, mais cela suffisait à me rassurer et à me permettre de continuer. La bonté de l’homme est une flamme qu’on peut cacher mais qu’on ne peut jamais éteindre. »

Voici ce qu'écrivait Nelson Mandela dans son livre Un long chemin vers la liberté, paru en 2002. C'est bon, non, de savoir que des humains semblables existent ? Ça ne console pas dans l'immédiat, si on n'est pas dans une bonne période, mais ça redonne envie d'agir. Vitamines pour l'optimisme...

PS : merci à Jacques Lecomte, qui m'a appris les sources de ce passage.