« Tout seul, on va plus vite ; mais ensemble, on va plus loin. » Cette formule pourrait être le slogan de l’interdépendance. Mais qu’est-ce au juste que l’interdépendance ?
Pour la comprendre, il faut partir de la dépendance, cette condition dans laquelle on doit faire appel à autrui pour la satisfaction de nos besoins et l’atteinte de nos objectifs. La dépendance est inévitable et inhérente à la condition humaine.
Nous sommes tous, de fait, dépendants les uns des autres. L’enfant dépend de ses parents, pour sa survie, mais les parents dépendent de leurs enfants, pour leur bonheur ; les âgés dépendent des plus jeunes, pour leur dignité, mais les plus jeunes dépendent des âgés pour leurs apprentissages, etc.
L’interdépendance est une réalité, mais c’est notre regard sur elle qui change tout. Les personnes qui se sentent mutuellement dépendantes les unes des autres, mais le vivent comme une faiblesse, qui se focalisent sur leurs manques, qui se disent : « je suis trop fragile pour ne pas m’accrocher à autrui… » ne sont pas dans l’interdépendance mais dans la codépendance. C’est parce qu’elles voient l’indépendance comme un idéal et un absolu que la dépendance, même mutuelle, leur semble un problème.
Mais si on modifie son regard sur les situations de codépendance, en se réjouissant de ce qu’on y reçoit, et de ce qu’on y donne, on peut évoluer vers l’interdépendance ! Les personnes se sentent alors mutuellement dépendantes les unes des autres, mais le vivent comme une richesse. Elles sont conscientes de leurs manques et limites (qui n’en a pas ?) mais aussi de l’extension de leurs bonheurs et capacités grâce aux autres. Elles ressentent de la gratitude lorsqu’on les aide, plutôt qu’une inquiétude d’être en dette.
Mais alors, pourquoi rappeler ce qui ressemble à une évidence, pourquoi insister sur l’interdépendance ?
Parce que la dépendance est aujourd’hui associée à une forme de déchéance : on pense à la dépendance des personnes âgées en fin de vie, dans une société où l’indépendance est devenue un idéal. La psychologie de la fin du XXème siècle, à partir des années 1960, a beaucoup insisté, à juste titre, sur les droits de l’individu par rapport à ses groupes d’appartenance : droits de la femme dans le couple, droits de l’enfant dans la famille, droits du citoyen dans la nation, droits des minorités dans une majorité, etc.
C’était une excellente chose, et nécessaire. Mais peut-être sommes-nous allés trop loin dans l’affirmation des droits de l’individu et de son indépendance, jusqu’à un individualisme forcené, jusqu’à une forme d’égoïsme et de narcissisme destructeurs des liens sociaux ?
Tout être humain ne peut vivre que dans un écosystème relationnel étroit et nourrissant, dans lequel l’interdépendance est la règle. Et l’interdépendance ne concerne pas que la communauté humaine : elle est aussi importante dans nos rapports avec le monde animal (nous dépendons par exemple grandement des insectes pollinisateurs, pour ne parler que d’un exemple connu de tous) et avec le monde végétal, qui nous offre nourriture et matières premières renouvelables, à condition que nous le respections au lieu de le maltraiter.
Dès le XIXème siècle, dans son Journal d'un poète Alfred de Vigny écrivait : « L'indépendance fut toujours mon désir et la dépendance ma destinée. » L’interdépendance est un fait, à nous de le transformer en valeur, pour aujourd’hui et pour demain !
Illustration : dessin de l'excellent Néjib pour l'excellent Théâtre de la Tempête.
PS : cette chronique a été initialement publiée en 2020 dans le n°51 de l'excellente revue KAIZEN.
PPS : pour en savoir plus, notre (excellent) livre écrit avec Rébecca Shankland : Ces liens qui nous font vivre. Éloge de l'interdépendance. Éditions Odile Jacob.