lundi 23 janvier 2017
Robert
La scène se passe dans le tramway, à Paris. Tous les sièges sont occupés, et nous sommes donc nombreux à être debout dans le couloir.
À un moment, un couple âgé monte avec peine, en s’accrochant bien à toutes les barres et poignées ; ils ont des sonotones (on dit encore comme ça ?) derrière les oreilles, et semblent ne pas très bien tenir sur leurs jambes. Une jeune femme cède tout de suite sa place à la dame âgée. Son mari se tient debout derrière elle, en s’agrippant bien pour résister au démarrage.
Un peu plus loin, un jeune au look des cités - casquette de base-ball, grosses baskets au pied, et tout ça - observe la scène. Après quelques secondes (sans doute le temps de latence vient-il du rap qu’il écoute dans son casque à fort volume, et qui l’entraîne dans un autre univers) et tout en restant assis, il appelle : « Monsieur, Monsieur ! » pour lui proposer sa place.
Mais le monsieur n’entend pas. Sa femme, par contre, entend, se retourne, et voit le jeune homme qui leur fait signe pour proposer sa place. Alors, elle appelle à son tour son mari : « Robert, tu veux la place ? »
Mais Robert n’entend pas bien, ou ne comprend pas, il marmonne quelque chose et il retourne la tête vers la fenêtre pour regarder le paysage défiler. Du coup, le garçon se met à crier : « Robert, Robert ! Eh ! Robert ! » dans un élan de familiarité et un souci d’efficacité qui commence à faire sourire le wagon (d’accord, il aurait pu se lever, mais à sa décharge, il était assis un peu loin, et avait peut-être peur que quelqu’un d’autre lui chipe la place qu’il réserve à Robert).
Robert entend enfin, se retourne, voit le jeune homme, comprend, mais refuse la place ; soit par fierté, pour montrer qu’il peut encore tenir debout ; soit parce qu’elle est trop loin de sa femme, ou de la porte… Tout redevient calme ; les regards des passagers se détournent de la scène, et retournent à leur lecture, leur écran ou leur rêverie ; le jeune homme se replonge dans son rap.
Et je réfléchis à ce qui vient de se passer, qui me laisse un goût un peu inhabituel à l’esprit, sans doute lié au mélange insolite qui compose cette scène : le geste de politesse du garçon ; sa familiarité, déplacée selon certains codes, mais finalement bienveillante ; la fierté et le refus de Robert ; la fragilité de la vieillesse…
Je me demande ce qu’en retiendra le couple âgé : gardera-t-il un souvenir amusé et touché de l’interpellation du garçon ? Ou un souvenir agacé de sa manière bien à lui de se montrer poli ?
En tout cas, de mon côté, j’ai trouvé ça mignon, et réconfortant. Et préférable à tous ces regards baissés des autres hommes valides et assis, qui n’ont certes pas interpelé Robert à voix forte, mais qui ne lui ont pas non plus proposé leur place…
Illustration : un homme qui ne peut pas laisser sa place, mais qui aime voir passer les bateaux. Par Florian Kleinefenn.
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en novembre 2016.
mercredi 18 janvier 2017
Déambulateur et frais bancaires
Cette semaine, j’ai vu passer dans la rue une vieille dame qui utilisait un petit déambulateur à roulettes, un modèle perfectionné, avec des freins, et auquel on peut accrocher ses sacs pour faire des courses. Elle s’en servait avec aisance, et elle avançait assez vite.
J’étais en train de l’admirer d’être aussi vaillante et énergique, quand tout à coup, je la vois qui traverse en dehors de tout passage piéton. L’air pas commode, elle toise les automobilistes et les scooters furieux, qui freinent, klaxonnent et zigzaguent pour l’éviter.
Elle s’en fout, elle a décidé qu’elle traversait maintenant ! Et elle va jusqu’au bout, puis accoste sur le trottoir d’en face d’un pas décidé, tout en s’appuyant sur son engin. Là, elle se retourne une dernière fois pour regarder ces conducteurs qu’elle vient de défier, aussi fière et déterminée que Brigitte Bardot sur sa Harley-Davidson…
Je la contemple avec stupéfaction ! Je suis partagé entre admiration (« elle a du cran la mamie ! ») et agacement (« elle est gonflée quand même, elle doit être à la retraite, elle a tout son temps, et au lieu de patienter à un feu piéton, elle se lance comme ça, au risque de provoquer un accident… »).
Pour ne pas la juger trop vite, j’envisage toutes les hypothèses…
Je me demande si elle a toute sa tête, si elle ne souffre pas de maladie d’Alzheimer ? Mais il me semble bien avoir vu un œil vif sur son visage, et guère d’hésitations dans ses façons de faire.
Puis je me dis que c’est peut-être une ancienne baroudeuse, qui faisait du parachute, du saut à l’élastique, de la varape, du planeur, des trucs comme ça, et qu’elle a toujours besoin de sa dose d’adrénaline malgré son âge avancé ?
Ou bien peut-être que son feuilleton préféré passe à la télé dans 10 minutes, et qu’elle ne veut pas rater le début ?
Ou alors il s’agit d’une militante écologiste convaincue, qui déteste les voitures dans Paris, qui pense que les piétons devraient toujours avoir priorité absolue sur les véhicules à moteur, où qu’ils traversent ?
Et là, alors que je continue de l’admirer, je la vois rentrer dans une agence bancaire, en se faisant aider pour passer le seuil par quelqu’un qu’elle a interpelé dans la rue. Ouh la la ! Je ne sais pas si elle y va pour parler de ses frais bancaires, mais si c’est le cas, je n’aimerais pas être à la place de son banquier, ça va chauffer !
Et vous, vous pensez qu'à son âge, vous serez aussi intrépide que cette dame ?
Illustration : la dame en plus jeune sur un autre déambulateur...
PS : ce texte reprend ma chronique du 29 novembre 2016, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.
vendredi 6 janvier 2017
Ma pomme
Une semaine, j’étais tranquille chez moi, un midi, c’était une journée d’écriture, et j’avais décidé de jeûner, pour me nettoyer un peu le corps et l’esprit. Pas un vrai jeûne intégral, mais un allégement de mon menu. Et ce midi-là, mon menu, c’était une des belles pommes que j’avais achetées au marché le dimanche précédent.
J’avais décidé de déguster ma pomme en pleine conscience, tranquillement, comme nous devrions le faire régulièrement avec nos aliments.
Je me suis assis à la table de la cuisine, et j’ai commencé par la regarder, la faire tourner dans mes mains, l’admirer, avec sa belle peau jaune et rouge. Je l’ai un peu reniflée, je l’ai passée sur mes lèvres, puis j’ai croqué dedans, juste une bouchée. Cette bouchée, j’ai pris tout mon temps pour la savourer, tout mon temps pour en explorer les arômes, tout mon temps pour la mastiquer et l’avaler, sans rien faire d’autre, avant de croquer une deuxième fois. Puis, j’ai dégusté lentement chacune des bouchées. C’était hyper-zen, j’adore ce genre d’exercice de méditation, qui consiste à manger ce que nous mangeons d’habitude, mais tranquillement, l’esprit et les sens ouverts, en pleine conscience.
Au bout de 10 minutes, j’avais terminé ma pomme.
J’ai pris encore un peu de temps pour me régaler des dernières saveurs qui s’attardaient dans ma bouche, des derniers fantômes de son goût, du sillage de tout ce qu’elle m’avait offert. Un peu de temps aussi pour écouter ce que me disait mon ventre, pour voir si cette lente dégustation de la pomme l’avait rassasié. Mon ventre m’a dit que c’était OK, et que nous pouvions en rester là.
Alors j’ai coupé le trognon de la pomme en deux, et je suis allé le donner aux deux frères lapins qui vivent dans notre jardin. Ils sont comme moi, ils aiment beaucoup les pommes… Et ils ont fait comme moi, ils ont mangé leur part, tranquilles, en pleine conscience…
Je me suis assis sur le vieux banc du jardin, j’ai regardé le ciel et je me suis réjoui : c’est fou, quand on prend son temps, de voir tout ce qu’une pomme peut nous offrir. Puis j’ai ressenti de la gratitude envers tous les humains qui m’avaient permis de vivre ce moment. Le paysan qui s’est occupé du pommier, ceux qui l’ont cueillie, puis amenée jusqu’à mon marché. Gratitude aussi pour ma marchande de fruits et légumes…
Je suis resté encore un moment dehors, avec dans le crâne ma perfusion d’états d’âme agréables. J’ai reniflé l’air froid de l’automne, le parfum du crachin et de la terre humide, l’odeur des feuilles qui commençaient leur cycle de décomposition et de résurrection future. J’ai senti que la pomme était là, bien au chaud dans mon ventre, et qu’elle commençait à m’offrir ses fibres et ses vitamines. Je me suis dit qu’à cet instant, j’étais heureux…
Et vous, c’était comment la dernière fois que vous avez croqué dans une pomme ?
Illustration : Trois pommes d'api par le divin Chardin...
PS : ce texte reprend ma chronique du 22 novembre 2016, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.
lundi 2 janvier 2017
Voeux pour 2017
Puissiez-vous connaître de nombreux moments heureux tout au long de cette année 2017.
Puissent ces moments vous aider à donner de l'amour tout autour de vous.
Et puissent-ils vous vous donner aussi l'énergie pour changer tout ce qui doit l'être dans ce monde.
Illustration : dans la forêt de Białowieża, en Pologne, par Karolina.
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