Est-ce que les animaux, je veux dire les animaux non humains, admirent ? Est-ce que les aigles admirent les montagnes, ou est-ce qu’ils se contentent d’y chercher leurs proies ? Est-ce que les chiens admirent leurs maîtres ou est-ce qu’ils les aiment, simplement ? Difficile à dire. Alors je me contenterai de parler des humains. Car l’admiration me semble tout de même une émotion très humaine.
C’est quoi, exactement, admirer ?
C’est d’abord être surpris ou touché. C’est ensuite reconnaître des qualités, à un lieu, un objet, une personne. Et c’est enfin, s’en réjouir, s’en trouver mieux, grandi, inspiré, plus heureux.
Admirer, c’est facile pour des lieux ou des choses : admirer un paysage, un bel objet ou une œuvre d’art, cela ne nous remet pas en question.
Mais c’est parfois plus difficile entre humains. D’un côté, admirer quelqu’un, ça peut nous réjouir sincèrement, sans arrière-pensée : quoi de plus agréable qu’admirer une personne disparue, ou un de ses enfants, ou un de ses amis ?
Mais parfois aussi, admirer peut nous mettre à mal : car admirer, c’est faire le constat que l’autre a des qualités que l’on n’a pas, en tout cas, pas autant que lui, ou pas pour le moment. Dans ces cas-là, l’admiration devient douloureuse, elle est le constat d’un manque en nous, et s’avère alors une occasion de souffrance, au lieu d’être une source de réjouissance et d’inspiration. C’est un premier mésusage possible de l’admiration.
Une autre erreur consisterait à n’admirer que le rare et l’exceptionnel, alors que les sources d’admiration quotidiennes sont multiples, tout autour de nous...
A propos de ce que nous choisissons d’admirer, Montesquieu parlait de la « décadence de l’admiration », de son dévoiement, consistant à admirer des actes ou des personnes qui, au fond, ne mériteraient pas de l’être. Disons qu’il s’agit plutôt d’une erreur, d’une facilité, d’une docilité consistant à n’admirer que le clinquant, le bruyant, le « à la mode ». À n’admirer que ce qu’on nous dit d’admirer. À n’admirer que le grandiose et non le discret, que les vedettes du sport, du cinéma ou de la télé, et non les humains anonymes qui font le bien dans leur coin.
Peut-être nous faut-il alors apprendre à admirer même ce qu’on ne nous présente pas comme socialement admirable ? Et pour cela, nous attacher à bien regarder. À voir ce qui beau et bon, autour de nous. Voir les comportements, paroles, et attitudes admirables au quotidien. Peu d’humains sont admirable dans tous leurs gestes, et tout le temps. Mais presque tous peuvent être admirés à un moment donné.
Les études scientifiques montrent largement les bénéfices de l’admiration. Admirer, ça fait du bien, comme toutes les émotions agréables ; ensuite, ça nous décentre de nous-même et ça nous rapproche des autres humains, et ça augmente ce qu’on appelle les comportements pro-sociaux ; et enfin, ça nous motive et ça nous inspire.
Alors, plusieurs fois par jour, ou le soir en s’endormant et en songeant à sa journée, nous pouvons nous livrer à des exercices d’admiration : qu’ai-je vu d’admirable aujourd’hui ? Qu’est-ce que ça m’a fait ? Qu’est-ce que ça m’a montré ? Et qu’est-ce que ça m’a appris ?
Nous nous apercevrons alors, peut-être, qu’admirer transforme peu à peu notre vision du monde. L’admiration, c’est la volonté de porter aussi son regard sur ce qui rend la vie meilleure. Toutes les fois où nous admirons, nous percevons que nous sommes face à quelque chose ou à quelqu’un qui ajoute à la beauté, à la douceur, et à l’intelligence du monde. Et c’est aussi cette inspiration-là, qui peut nous aider à changer tout ce qui ne va pas...
Et vous, qu’avez-vous admiré récemment ?
Illustration : à certains moments de nos vies, c'est difficile de trouver des choses à admirer... (scène du film La Mort aux trousses).
PS : cet article est inspiré de ma chronique du 25 février 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.
PPS : cette chronique a été écrite avant l'épidémie de coronavirus et avant le temps du confinement ; elle aurait sinon abordé l'admiration pour les soignantes et les soignants.