vendredi 21 décembre 2012

Solstice


Une bonne nouvelle (parmi d'autres) aujourd'hui, qui tient en un mot : solstice.

Le jour cesse de se réduire au profit de la nuit, et dès demain, le temps de lumière recommencera à gagner sur le temps d'obscurité.

Chaque année ce passage me réjouit : en plein coeur de l'hiver, le soleil va se donner du mal pour nous aider à attendre le printemps. Il va nous donner de la lumière pour que nous supportions mieux le froid.

Psycho Actif va fêter ça en prenant des vacances. Nous nous retrouvons, du moins je l'espère, le 7 janvier.

D'ici là, passez de bonnes fêtes !

Illustration : "Courage les gars, c'est bientôt la fin, le solstice est là !"

lundi 17 décembre 2012

Ça fait longtemps qu’on n’a rien cassé !


Nos univers mentaux nous accompagnent discrètement, au travers de chacun de nos actes, sans que nos proches ne s’en rendent compte. À moins que nous ne les exprimions...

La scène se passe il y a quelque temps, chez nous, dans la cuisine. C’est au tour de ma deuxième fille de ranger la vaisselle dans le lave-vaisselle, et elle s’en occupe en silence pendant que le reste de la famille dessert la table et range.

Tout à coup, je vois son visage qui s’illumine du sourire de ceux qui viennent de penser à quelque chose de drôle ou d’intéressant, et elle s’écrie alors : « Dites-donc, ça fait longtemps qu’on n’a rien cassé ! »

Toute la famille éclate de rire : c’est vrai qu’il y a régulièrement un verre ou une assiette qui volent en éclats, mais ce qui est savoureux, c’est que c’est souvent d’elle que ça vient, ces bris de vaisselle.

Et il n’y a donc qu’elle qui pouvait tout à coup, voyant à ce moment qu'elle n’avait encore rien cassé, prendre conscience que tout allait bien, et s’en réjouir !

Ce jour-là, ma fille nous donnait une double leçon.

La première était une leçon de psychologie cognitive : tout ce que nous faisons est accompagné d’un bavardage intérieur, mélangeant ce qui se passe, et nos expériences et nos attentes envers ce qui se passe. Ce que nous vivons de l’extérieur ressemble à ce que tous les autres vivent, mais à l’intérieur, cela n’appartient qu’à nous.

La deuxième était une leçon de psychologie positive : même à propos de choses simples, se réjouir de ce que cela se passe bien.

PS : il y a eu, peu après, une troisième leçon pour moi : un matin où elle venait de casser un verre (en ne prêtant pas assez attention à ses gestes) je me suis souvenu de la scène, et j'ai instantanément arrêté mon réflexe de rouspéter, pour la regarder en souriant et lui dire : "tu peux faire un peu plus attention ?!". Je me suis souvenu de ma rigolade des jours précédents, un vrai cadeau, et me suis dit que ça valait bien un peu de vaisselle cassée de temps en temps...

lundi 10 décembre 2012

Au cimetière


La dernière fois que je suis allé me recueillir seul sur la tombe de mon père, j’ai attentivement observé ce qui se passait dans ma tête.

Rien à voir avec la manière dont les choses se déroulent lorsque nous sommes plusieurs : il y a alors plus d’actions (mettre de l’eau pour les fleurs, nettoyer un peu la tombe) et de bavardages.

Lorsqu’on est tout seul, c’est bien différent. On est confronté à son monde intérieur. On a le temps de se regarder faire, de s’écouter penser, de s’observer ressentir.

Ce jour-là, je me suis d’abord aperçu que j’étais habité de vagues pensées et images qui allaient et venaient en désordre. Souvenirs d’enfance et souvenirs de sa fin de vie. Je ne m’accrochais à aucun, les laissant juste apparaître et disparaître. Tout en continuant d’être dans le moment présent, de regarder la tombe, d’avoir des pensées parasites, d’entendre les bruits de la vie autour de moi.

Puis j’ai eu envie de lui parler, de le saluer, de lui adresser des messages depuis ici-bas. Envie de reprendre un peu le contrôle sur ce désordre. Avec l’impression que les dernières fois que j’étais allé au cimetière, je n’avais pas vraiment « parlé » à mon père. Qu’il fallait que, au moins ce jour-là, je ne me contente pas de laisser vagabonder mon esprit en pensant à lui, mais que j’organise un peu le truc.

Alors je me suis centré sur de la gratitude, je l’ai remercié pour ce qu’il m’avait apporté : le goût de l’effort, le souci des autres, l’amour des livres, la prudence avec les plaintes. Remercié pour avoir travaillé dur afin de nous permettre, à mon frère et moi, de faire les études qu’il n’avait jamais pu faire. J’ai laissé ce sentiment de gratitude se répandre en moi. Je l’ai senti réchauffer ma poitrine, j’ai respiré un peu plus fort pour le diffuser et le répandre partout dans mon corps. Je suis resté quelques minutes en connexion avec mon père sur ce canal de gratitude. Je voyais les bons souvenirs écarter doucement les moins bons, se frayer une place au premier rang de ma mémoire et de mes émotions. Et je sentais qu’à ce moment, c’était la meilleure des attitudes.

J’avais aussi l’impression étrange qu’à cet instant je transmettais quelque chose à mon père. Et que cette transmission me remplissait moi aussi. Je ressentais physiquement ce que l’on dit souvent à propos des dons qui enrichissent et nourrissent la personne qui donne.

Puis doucement je suis revenu dans le cimetière. Je me suis remis à regarder la tombe, mon esprit a recommencé à vagabonder : sur les autres noms, ceux de mon grand-père, de ma grand-mère.

Je suis reparti tout doucement dans les allées, en regardant attentivement chaque stèle, en me sentant lié à tous les morts qui m’entouraient. Sentiment rassurant de continuité humaine. Je crois que c’est l’historien Philippe Ariès qui faisait démarrer la civilisation avec le culte rendu aux morts. À cet instant, j’en suis persuadé. Comment pourrions-nous vivre dans un monde où toute trace physique et tout souvenir des défunts aurait disparu ?

Illustration : les hommes s'habillaient volontiers comme ça, dans les années 1970.

lundi 3 décembre 2012

Après-coup


C’est lors d’une consultation avec un patient en voie de guérison. Nous sommes en fin de thérapie, en phase de fignolage, de réglages fins, de travail sur ses petits automatismes séquellaires. C’est important de continuer d’accompagner un peu les patients dans ces moments, dans une optique de prévention des rechutes (les troubles psychologiques exposent souvent à des rechutes).

Avant cette phase, nous avons eu de nombreuses difficultés à améliorer chez lui (un trouble obsessionnel, des attaques de panique, une anxiété sociale). À côté de ces troubles étiquetés, il avait aussi une forte tendance à ressentir de la honte, de la gêne, à se sentir inférieur, « toujours de trop », bref à être parasité par des appréhensions sociales (liées entre autre à la vie de ses parents, qui avaient soufferts tous les deux de maladies psychiques, et s’étaient rencontrés à l’hôpital psychiatrique).

Il a fait dans tous ces domaines de grands progrès, dont je reste moi-même admiratif. Mais il reste encore de petits réflexes inadéquats dans différents coins de son esprit.

Il me raconte ce jour-là une anecdote survenue cet automne : un matin, il se réveille sévèrement grippé. Mais il hésite et doute avant de se permettre d’aller chez médecin : « je ne vais pas le déranger pour ça, quand même, une simple grippe… ». Puis, il se décide à y aller. Mais dans la salle d’attente, il continue de se demander : « suis-je assez malade pour mériter de lui prendre son temps ? Il y a sûrement des gens qui vont beaucoup plus mal…» Mais il résiste à l’envie de repartir. La consultation se passe bien, le médecin lui confirme qu’il a bien fait de venir. Il sort soulagé, à la fois d’avoir un traitement, et aussi de ne pas avoir eu l’impression de déranger.

À ce moment, je l’arrête : « Vous vous disiez quoi, juste à cet instant ? Sur le pas de la porte du médecin ? »
Lui : « Je me disais : tu vois, tu es bête, il n’y avait pas de problème à venir. »
Moi : « Et puis ? »
Lui : « Et puis ? Euh, rien. Je suis reparti et je suis passé à autre chose… »

Je garde le silence un long moment en hochant la tête et en souriant. Il comprend que pour moi, cette petite séquence n’est pas anodine, et commence à sourire lui aussi.

Je le relance : « Si le médecin vous avait fait une critique, ou vous avait semblé contrarié par votre venue, vous auriez tourné la page aussi vite ?
- Non, non, sûr que j’aurais été très gêné, et que j’aurais ruminé comme un fou !
- Mais là vous n’avez pas ruminé la bonne nouvelle ?
- Non, ce n’est pas dans mes habitudes de ruminer ce qui va bien ! (il rigole)
- Vous n’y avez même pas réfléchi après-coup ?
- Pas vraiment, non. Juste là, maintenant, avec vous.
- Alors, on va travailler à ça ! Si après des peurs comme celles-là, liées à vos vieux réflexes de pensée : “tu ne mérites pas, etc.“ vous ne dégagez pas quelques minutes à prendre conscience de ce qui s’est passé, vous allez mettre beaucoup de temps à éteindre ces vieux automatismes. Quand vous venez de vivre quelque chose qui infirme vos croyances négatives, prenez le temps de savourer, d’ancrer l’événement dans votre mémoire, de le ressentir physiquement, pas seulement de le noter intellectuellement et de passer à autre chose. Respirez, dites-vous : “voilà ce qui vient de se passer, voilà comment ça bouscule tes trouilles. Souviens-toi de ça ! Souviens-toi…“ Là, vous vous dites juste : “tu es bête d’avoir eu peur“, puis vous vous tournez vers l'action suivante. Non ! Travaillez l’après-coup, c’est très important. Si ça n’avait pas marché comme ça, vous auriez ruminé et ressassé votre échec. Vos vieux démons auraient dansé de joie et célébré leur victoire : “on t’avait bien dit de ne pas le faire !“ Alors, pensez aussi à prendre le temps de célébrer votre succès. »

Lorsque les choses se passent bien dans nos vies, et surtout lorsqu’elles se passent bien en dépit de nos prédictions ou de nos habitudes, prenons le temps d’observer et de savourer. De ressentir. De donner de l’espace mental à cet événement favorable qui infirme nos croyances. De l’espace maintenant, dans l’instant. Puis stockons ce bon souvenir en bonne place dans notre mémoire, pour qu’il entrave un peu nos vieux automatismes la prochaine fois.

Illustration : Camarades, il est temps de vous libérer de l'oppression du passé (Prague, 1968, par Josef Koudelka).