lundi 28 août 2017

Mauvais présage



Ça se passe un samedi en fin d’après-midi, alors que je fais des courses dans Paris. Je viens de garer mon scooter, et comme mon coffre est plein, je garde mon casque à la main. Je suis un peu pressé, alors je traverse la rue trop vite, hors des passages cloutés, en surveillant les voitures.  Je me dépêche, et tout à coup mon casque m’échappe et roule au sol en rebondissant.

Alors, le temps se fige, se ralentit comme dans un film : tout à coup, je prends conscience que je suis en danger, que je fais quelque chose d’idiot. Je continue de suivre du regard mon casque qui roule, roule encore au sol, interminablement, sans arrêter sa course. 


J’ai froid, une impression de mauvais présage dans la gorge, un sentiment soudain de fragilité. Ma tête n’est pas dans le casque, mais si j’avais un accident, ça ressemblerait à ça : boum, boum, le bruit du casque cognant contre le bitume, sa trajectoire désordonnée et imprévisible.


Je relève la tête : je suis en plein milieu de la rue, toute les voitures sont arrêtées, les conducteurs et quelques passants me regardent, étonnés ; personne ne klaxonne. Je dois avoir l’air totalement à l’Ouest, debout, immobile, parmi les voitures, fixant un casque qui culbute sur le sol. L’air de quelqu’un qui ne va pas bien dans sa tête, ou qui est perdu dans son monde intérieur ; l’air d’un fou des villes. Du coup, personne ne rouspète. Pour le moment, en tout cas. J’avance pour ramasser mon casque, qui a fini par s’immobiliser. Je regagne le trottoir en remerciant d’un geste embarrassé les automobilistes qui ne m’ont pas écrasé.


Je marche lentement dans la rue. L’idée de mauvais présage me revient à l’esprit. Ce casque tombé violemment au sol, inarrêtable, est-ce le présage d’un danger à venir, d’un accident qui m’attend, bientôt, quelque part ? Je me sens inquiet, mal à l’aise. Je ne cherche même pas à me raisonner, à me dire : « tu ne vas tout de même pas te mettre à croire à ces sottises, à devenir superstitieux ? » Non, je suis encore trop ému. Je me contente de bien respirer, et de relever la tête, cherchant je ne sais quoi, au-dessus de moi.


Alors qu’il pleuvait il y a encore 10 minutes, le ciel s’est ouvert. D’immenses pans lumineux de bleu azur sont en train de prendre le pouvoir, et d’écarter le rideau gris terne des nuages. Me voilà soulagé, sauvé par ce beau ciel du soir. Le mauvais présage est effacé, annulé. Mes anges gardiens sont venus à mon secours, après m’avoir donné une petite leçon. Ils m’ont parlé avec clarté : « C’est bon pour cette fois. Mais souviens-toi et ne recommence pas ! » Oui, oui, merci les amis, c’est très clair, j’ai bien compris, parfaitement compris.


Je m’assieds sur un banc. Je redresse mon dos, ouvre mes épaules, ferme les yeux et souris doucement. C’est si bon d’être vivant, à cet instant. C’est si bon de pouvoir continuer à habiter ce monde encore quelque temps. Merci, merci la vie…



Illustration : un soleil levant, en automne, par Frédéric Richet.

PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazines en mai 2017.