mercredi 23 décembre 2020

Repentez-vous !


 

Je suis sur mon scooter, sur une voie urbaine autour de Paris. La circulation n’est pas trop dense, alors j’ai le temps de regarder par petits coups d’œil le ciel et les bâtiments qui défilent. Avant de passer sous un pont, je déchiffre un message peint en grosses lettres maladroites sur le parapet de béton : « Repentez-vous ! »

 

La formule se fiche dans mon crâne. Ce mot de « repentir », à la connotation religieuse, me déstabilise. Repentez-vous ! Qui a pu écrire ça ? En bon psychiatre, je pense à un délire mystique ou un état délirant. Mais tout de même, il a fallu de l’organisation pour arriver à peindre ces grandes lettres, dans un endroit d’accès compliqué. Alors, un prédicateur allumé, ou très motivé ? 

 

Puis je me dis que ce n’est pas la question. Après tout, le meilleur moyen de ne pas écouter les messages qu’on nous adresse, c’est de disqualifier la personne qui les délivre. Or, ce message me touche. Pourquoi ? 


Je n’ai pas l’impression d’avoir commis des actes appelant de la repentance. Pas ces temps-ci. Mais dans ma vie, si. J’ai fait du mal à tout un tas de gens. Par inconséquence et par égoïsme dans ma vie amoureuse, quand j’étais jeune. Par manque de disponibilité et par mauvaise humeur, avec des proches, du fait du stress, quand je travaillais trop. Par manque de disponibilité ou de discernement, dans tout un tas de circonstances. 


La liste est longue, et sans doute l’est-elle encore plus que je ne l’imagine, du fait de tout ce qui passe sous le radar de ma mémoire, de tout le petit mal que j’ai fait et que j’ai oublié ou méconnu. Dois-je m’en repentir ?

 

Le repentir, pour Descartes, « c’est une espèce de tristesse qui vient de ce qu’on croit avoir fait quelque mauvaise action ; et elle est très amère, parce que sa cause ne vient que de nous. Ce qui n’empêche pas néanmoins qu’elle soit fort utile » Quelques siècles plus tard, le psychologue Pierre Janet note : « Le remords se distingue du repentir, qui désigne un état d’âme plus volontaire, moins purement passif... » 

 

Mais ça commence à me mettre en danger ces histoires de repentir, il est temps que je me reconcentre sur la route : en scooter, ne pas conduire en pleine conscience, c’est mettre sa vie en danger. 

 

Le soir en m’endormant, je repense à cette histoire. J’espère que si le « Repentez-vous ! » a été écrit par quelqu’un de perturbé, il (ou elle) va mieux aujourd’hui. Je me dis que je ne devrais pas me prendre la tête pour un oui ou pour un non, pour un simple graffiti. Je me demande si ça vaut la peine de prendre le temps chaque soir, de se poser la question du mal qu’on a pu faire à autrui. Ou si s’attacher simplement à faire du bien chaque fois que possible ne suffirait pas. Les deux, sans doute ? 


Je n’ai pas la réponse. 


Alors je m’endors...



Illustration : un ciel de Paris en hiver 2020, par l'ami Ali.


PS : cet article a été publié dans le magazine Psychologies en octobre 2020.

 

 

 

vendredi 11 décembre 2020

Cauchemars et rêves d’ange



Les cauchemars, c’est l’irruption de l’angoisse dans le cocon douillet du sommeil. En tant que psychiatre, je sais que ça peut gâcher bien plus que nos nuits, nos journées aussi, et nos vies. Je me souviens par exemple d’une patiente qui ne voulait plus dormir, par peur des cauchemars qu’elle faisait chaque nuit. 


Depuis qu’elle avait eu une crise d’angoisse dans son sommeil, une véritable attaque de panique, elle faisait des rêves terribles, durant lesquels elle s’étouffait, se noyait, se faisait étrangler ou enterrer vivante : l’horreur... Alors, elle ne se mettait plus au lit, mais somnolait sur son canapé, sans jamais éteindre ni la télé ni la lumière. 

 

Heureusement pour la plupart d’entre nous, nos cauchemars ne prennent pas cette ampleur. 


Pour ma part, j’ai eu toute une période de ma vie où, je travaillais trop, où je me sentais toujours débordé, submergé, trop sollicité. Et durant cette période, je faisais très souvent des cauchemars d’empêchement : quelque chose ou quelqu’un m’empêchait de faire ce que j’avais à faire ; des gens m’empêchaient de monter dans le train que je devais prendre, des embouteillages m’empêchaient d’avancer sur le périphérique alors que j’avais un rendez-vous urgent, des barrières m’empêchaient de porter secours à mes enfants en difficulté... Ces cauchemars répétitifs d’empêchements, j’en émergeais en gesticulant et en hurlant de colère autant que d’inquiétude : je vous laisse interpréter tout ça comme vous voudrez...

 

Bon, heureusement, tous nos rêves ne sont pas des cauchemars. Il y en a aussi de simplement... étranges. 


Je me souviens d’avoir lu un jour un livre du philosophe Clément Rosset qui racontait comment, lors d’une grave dépression, il avait l’impression irréelle de faire régulièrement les rêves de quelqu’un d’autre.  Et puis, il y a des rêves pleins de charme et de poésie, où l'on croise des anges parés de leurs plumes réglementaires...

 

Des rêves où l’on rencontre des anges, c’est merveilleux et délicieux ! Mais peut-être que pour voir des anges la nuit, il faut les avoir déjà vu passer dans nos journées. Peut-être faut-il apprendre à les deviner derrière chaque petite grâce qui nous émeut, derrière chaque adversité aussi, qu’ils nous envoient comme un message ou une mise en garde. 

 

C’est le poète Christian Bobin qui nous éclaire sur le rôle de ces anges, qui est de nous aider, mais à leur manière : « L’aide véritable ne ressemble jamais à ce que nous imaginons. Ici nous recevons une gifle, là on nous tend une branche de lilas, et c’est toujours le même ange qui distribue ses faveurs. La vie est lumineuse d’être incompréhensible ».

 

Nos rêves aussi sont parfois lumineux d’être incompréhensibles. Alors, on peut se contenter de les savourer, d’en admirer la beauté et le mystère, de se souvenir d’eux, sans chercher forcément à les décrypter en force, là, tout de suite, et attendre simplement qu’ils s’éclairent un jour d’eux-mêmes ; un jour ou jamais, quelle importance ? Du moment que nous avons rêvé, le plus beau n’est-il pas déjà fait ?


Illustration : ça ressemble à un rêve, mais c'est juste l'enregistrement de beaux chants indiens, au débuts du XXème siècle...


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 22 septembre 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.


 

 

 

vendredi 4 décembre 2020

Ça, c’est vraiment toi !




« Je ne mens jamais, c’est trop difficile. Il faut sans cesse se souvenir des millions de mensonges, anti-mensonges et quasi-mensonges précédents, quel embrouillamini ! » 

 

Cet aveu n’est pas de moi, mais du génial Joseph Delteil, écrivain inspiré et oublié du siècle dernier. Pas de moi, donc, mais j’adhère totalement à ses propos ! Non seulement, le mensonge pose un problème moral, mais en plus, il est un stresseur mental : à moins d’être un pur psychopathe, on ne sent pas bien dans le mensonge, on ne vit pas bien dans les faux-semblants, ni notre esprit ni notre corps n’aiment cela. 

 

Alors, l’attitude inverse, celle qui consiste à s’efforcer de ne jamais - ou presque jamais – mentir, cela s’appelle comment ?

 

Spontanéité, sincérité, authenticité : les mots ne manquent pas, et renvoient chacun à une dimension et une nuance spécifique. 


La spontanéité suggère un mouvement naturel qu’on ne réfrène pas, une impulsion. 


La sincérité évoque plutôt une décision volontaire, un choix moral et relationnel. 


Et l’authenticité renvoie à une manière d’être plus durable et permanente, à une façon d’être soi-même à chaque instant.

 

Être soi-même, c’est quelque chose qui plait beaucoup, à notre époque, où l’on valorise plus volontiers l’authenticité que les bonnes manières, par exemple. Quelqu’un d’authentique, c’est a priori quelqu’un de sympathique, quelqu’un de rassurant, qui ne ment pas, ne triche pas, quelqu’un à qui on a envie de dire : « ça, c’est vraiment toi ! »...

 

Alors, être authentique, être vraiment soi, ce serait donc l’idéal ? Pas si simple, tout de même...

 

D’abord parce que « être soi-même », ce n’est pas sûr que ça veuille dire quelque chose de précis. Quand on l’étudie de près, on finit par se demander si le « soi » existe vraiment. En tout cas, un « soi » qui serait toujours stable et prévisible, qui correspondrait à notre personnalité et notre volonté. 


La psychologie scientifique nous montre plutôt que nous changeons sans cesse, en fonction des environnements et des circonstances. Une nuit d’insomnie, un succès, un échec, un peu d’amour ou un peu de détresse, et voilà notre « soi-même » qui n’est plus tout à fait le même...

 

Et puis, il y a un autre souci : « être soi-même », ce n’est pas une garantie de comportement adéquat. Être soi-même, c’est parfois se permettre de se montrer grognon, égoïste, borné, pessimiste, agressif, méprisant... Il y a des personnes qui sont ainsi toujours elles-mêmes, et qu’on n’a pas envie de côtoyer ou de croiser.

 

Bon, je n’insiste pas, vous m’avez compris, comme beaucoup de ce qui est humain, l’authenticité a ses bons et ses mauvais côtés.

 

Alors, pour conduire son existence, mieux vaut peut-être s’aligner non sur son ego mais sur ses idéaux... Mieux vaut peut-être s’efforcer de suivre ses valeurs plutôt qu’attendre qu’elles émergent de notre moi profond, si toutefois il existe...

 

C’est ce travail qui est intéressant, ce travail de mise en cohérence entre ce à quoi on aspire et ce qu’on est spontanément, en se levant chaque matin. Être soi-même, c’est facile. Il n’y a qu’à écouter les pubs : Be yourself, Venez comme vous êtes, etc... 


Devenir quelqu’un de bien, ça par contre, c’est du boulot de longue haleine : lâcher son égo pour mieux se rapprocher de ses idéaux, ça prend souvent une vie entière...

 


Illustration : il y a des moments dans la vie où l'on n'est pas vraiment soi...


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 8 septembre 2020, dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi, sur France Inter.