lundi 29 avril 2013

Un peu de silence



PsychoActif part en vacances et vous propose un peu de silence.

Nos états d'âme entrecroisés reprendront ici-même, et si Dieu le veut, le mardi 21 mai.

D'ici là, profitons bien du printemps : sous le soleil ou sous la pluie, les fleurs poussent et les oiseaux chantent.

Prenons chaque jour le temps de les admirer et de nous réjouir avec eux.

Illustration : portrait de l'auteur en perroquet qui parle trop, et a décidé de se taire pour quelque temps...

lundi 22 avril 2013

Compassion et chanson



Ça m’est arrivé l’autre jour, dans le train, en revenant d’une conférence. Un peu fatigué, j’écoutais de la musique dans mon casque, en regardant défiler le paysage. J’écoutais des chansons de Francis Cabrel, que j’adore. Des chansons de son dernier album, des adaptations de Bob Dylan : personne ne chante mieux que lui Dylan en français, dans l’esprit et le phrasé. Mais j'écoutais aussi de ses vieilles chansons.

Et tout à coup, celle-ci : Elle dort.

Ouille ! En 30 secondes, je commence à renifler, puis à pleurer. Si vous ne la connaissez pas, écoutez-la avant de continuer : c’est l’histoire très simple d’une femme paralysée qui rêve qu’elle marche et qu’elle danse.

Je ne sais pas si c’était lié au mélange de fatigue et de bonheur (la conférence s’était bien passé, humainement et pédagogiquement, il me semblait avoir été utile et avoir partagé avec le public de belles émotions) mais tout à coup, une énorme vague de compassion s’écrase sur moi.

Je tourne la tête vers la fenêtre, pour que les larmes s’écoulent discrètement, je commence même à remuer les yeux de droite à gauche, comme en EMDR, pour accélérer leur disparition.

Puis je comprends que je suis en train de me comporter comme un idiot (ça m’arrive souvent avec mes émotions). En train d’assassiner une expérience émotionnelle, alors que rien ne m’y oblige : je suis au calme, j’ai du temps, et c’est une expérience importante. Une expérience de compassion.

Une irruption de compassion dans mon petit confort de conférencier content d’avoir bien fait son boulot, bien parlé, bien rendu service. Bien sur les rails de sa vie. Et le voilà rattrapé par la souffrance d'autres que lui. Par la grâce d’une chanson simple et sans pathos, qui ne dit presque rien, à part ceci : des millions d’humains sont malheureux de ne pas pouvoir marcher. Et toi, tu marches. Tranquillement, tout le temps, tu marches, tu cours, tu sautes. Sans même y penser. Pense à eux, ou plutôt, non, ne pense pas à eux : ressens de la compassion pour eux, dans ton cœur, dans ton corps, pas seulement avec ta cervelle rationnelle. La vraie compassion, pas la pensée distraite de surface.

Du coup, ça n’arrange pas l’histoire des larmes. Les sanglots commencent à monter. Je cache un peu mon visage de ma main pour continuer de pleurer. Je laisse filer les larmes face aux champs et aux bois qui défilent. Je renifle le plus doucement possible, je sors un mouchoir de ma poche. Je ne cherche plus à freiner le mouvement, je laisse la compassion prendre toute la place qu’elle veut. Je laisse sa vague monter, me secouer, me recouvrir. Je respire et je regarde la nature qui me chuchote : tout est bien, ne te débat pas, laisse tout advenir. En ce moment de ta vie, tout ce qui là est à sa juste place, ne te dérobe pas. Laisse toi remuer et envahir par la compassion. Laisse-la te marquer de son empreinte la plus profonde. Laisse-la t’endolorir et te réjouir : à cet instant où tu sanglotes, cet instant où tu te sens un gros nigaud renifleur, tu éprouves simplement une expérience d’humanité et de fraternité. Reste avec ça, respire avec ça.

Puis, quand tout cela se retirera doucement de toi, n’oublie pas.

Quand les larmes ne couleront plus, quand tu te remettras à respirer normalement, n’oublie pas. À ce moment, tu feras marcher ton cerveau. Tout sera plus clair, tu réfléchiras, tu agiras, tu décideras que faire. Tu n’oublieras pas, jamais, ces longues minutes où tu t’es noyé dans la compassion grâce à une chanson de Francis Cabrel.
Et tu repenseras à tout ce que tu fais déjà, et que tu continueras : ne plus rouspéter quand tu cherches une place en voiture et que tu vois que les seules places libres sont les places pour handicapés, inoccupées (j'ai honte d'avouer qu'autrefois, il m'arrivait de rouspéter pour ça ; honte rétrospective...). Ne plus jamais garer ton scooter sur un trottoir s’il est sur un passage où un aveugle pourrait se cogner (je l'ai vécu : plus jamais ça). Et tu penseras à tout ce que tu pourrais faire en plus : être prêt à aider davantage les personnes handicapées dès que tu en croises une, à leur parler davantage, leur sourire, à donner plus d’argent aux associations qui les soutiennent. Cherche encore un peu : il doit y avoir d’autres gestes…


PS : pour celles et ceux qui trouveraient la vidéo de la chanson trop kitsch (ce n'est pas mon cas : pour moi elle est kitsch, mais pas "trop"), voici une version en concert.

Illustration : photographie de Frédéric Richet : après le passage d'un mariage, sur les pavés du Donjon du Capitole, à Toulouse.

lundi 15 avril 2013

Optimisme en action



L’optimisme ne se résume pas à un état d’esprit, il est aussi une manière d’agir et de réagir. On pourrait le définir comme une aptitude mentale avec des conséquences comportementales. L’aptitude mentale : face à un problème, supposer que des solutions existent, venant de nous, des autres ou de la providence (c’est-à-dire de l’avancement naturel de la situation autour du problème). Les conséquences comportementales : agir pour que ces solutions soient facilitées.

Je participais récemment à un colloque organisé par le Nouvel Observateur à propos des crises contemporaines. Ça s’appelait : "Quelles raisons d’espérer ?" Et j’étais invité pour discuter lors d'une table ronde intitulée, elle : "Comment lutter contre la morosité ?" J’avais rencontré dans le train pour Nantes un autre des invités à cette table ronde, mon copain Philippe Gabilliet, plutôt spécialiste du management, mais grand promoteur de l’optimisme en entreprise.

Juste descendus du TGV, nous étions en train de bavarder dans le couloir souterrain qui nous amenait dans le hall de la gare, quand je m’aperçois tout à coup qu’il continue de me parler sans y être vraiment, fouillant discrètement dans son sac.
« - Tu as perdu un truc Philippe ?
- Oui, mon écharpe, je crois que je l’ai oubliée dans le train… »

Ouille, pas très bon plan quand le train est un TGV qui continue sa route vers je ne sais où ! Je lui propose, sans trop y croire moi-même, de tenter sa chance et de retourner vite voir si le train est toujours à quai ou s’il est reparti. « Tu as raison, me dit-il, il faut toujours essayer ! » et il fonce à contre-sens dans le flot des voyageurs pendant que je garde son sac.

En l’attendant, je me dis que ses chances sont un peu maigres. Mais quand même, nous venons pour parler de l’optimisme : il ne manquerait plus que nous nous comportions comme des pessimistes en nous résignant sans bouger à la disparition de l’écharpe !

Au bout de quelques minutes, le couloir est presque vide, et il n’est toujours pas revenu. Du coup, je change de crainte : je ne redoute plus pour lui que le TGV soit déjà reparti avant même qu’il n’ait pu récupérer l’écharpe, mais qu’il soit reparti avec lui dedans…

Mais non, le voilà, tout sourire avec sa belle écharpe rouge récupérée in extremis !

Ça me fait plaisir pour lui, et pour mes théories : l’optimisme, c’est préférer essayer que se résigner. Et parfois ça marche. J’adore le vérifier dans la vraie vie, à propos de petits moments de rien du tout…

Illustration : une belle photo, qui m'a été adressée par une internaute du Jura, dont j'ai oublié de noter le prénom pour pouvoir la remercier ici. Si elle me lit : merci encore ! À chaque fois que je la regarde, elle me fait chaud au coeur et me rappelle de magnifiques ballades au Pays Basque.

lundi 8 avril 2013

Méditation à trois voix



Il y a quelques jours, j’étais invité à Poitiers par Patrice Gourrier, prêtre et méditant chrétien, pour une soirée consacrée à la méditation, en compagnie de Gelongma Davina, nonne bouddhiste. Cela se passait dans la belle église Saint-Porchaire.

Chacun de nous parla de sa pratique.

Puis nous proposâmes en fin de soirée une méditation à trois voix improvisée (nous en avions parlé juste avant la rencontre).

J’avais la partie la plus facile, en commençant : nous amener tous à prendre conscience de notre présence ici et maintenant, au travers de notre corps et du discret bain sonore tout autour de nous, avec douceur et sans autre attente qu’ouvrir notre conscience à la vie palpitant en nous et autour de nous.

Dans la foulée, Patrice Gourrier nous fit travailler sur le souffle, à sa manière de prêtre chrétien : prendre conscience de notre souffle, et à travers lui de la présence du divin en nous. La Bible nous rappelle que Dieu nous a créés en « insufflant une haleine de vie » dans un bloc informe de glaise du sol. Et même pour les non-croyants ou les croyants d’autres traditions, la présence du souffle en nous est le témoignage du miracle de la vie, de notre vie, de la présence du principe de vie en nous.

Puis Gelongma Davina conclut cette séquence méditative d’un genre nouveau par une méditation de compassion et d’ouverture du cœur, dans la tradition bouddhiste.

Nous avions parlé environ 5 minutes chacun, donc la méditation ne dépassait pas au total un petit quart d’heure. Mais il s’était passé un truc incroyable pendant ces instants, comme si le souffle de l’esprit et de l’amour avait traversé l’étrange et vaste double nef de l’église Saint-Porchaire, tel un bel oiseau tranquille, apparaissant puis disparaissant, sans être vu de personne mais en étant perçu de tous, effleurant le crâne de la plupart des 800 humains méditant ensemble dans cet espace sacré.

J’ai beau avoir un peu l’habitude de ces instants, je n’arrive toujours pas à m’y faire : comment la réunion de personnes en train de méditer côte-à-côte (c’est-à-dire, vu de l’extérieur, en train de ne rien faire, assises et les yeux fermés) peut-elle dégager une telle force ? Et cette force est-elle émise ou reçue ? Émane-t-elle d’elles, ou représente-t-elle une sorte de connexion à un principe, un courant, une noosphère ou une divinité ? Ou bien tout cela n'est-il qu'une douce illusion, une projection de nos attentes, une lecture subjective d'un moment de douceur et de calme intense et inhabituel ?

Comme on dit volontiers quand on ne sait plus quoi penser : ce sont des questions tellement profondes qu’il vaut mieux les laisser sans réponse…

PS : quelques informations sur la rencontre sont disponibles sur le site père & moniale.

Illustration : l'image est belle, mais ces trois anges de Memling, qui chantent au musée d'Anvers, n'ont bien sûr rien à voir avec les 3 orateurs de l'autre soir. Ou peut-être est-ce eux qui conduisaient la méditation en chuchotant à nos oreilles...

mardi 2 avril 2013

Ego et bancs publics



L’ego n’est pas une notion de psychologie, on parle plutôt chez nous du moi, du self, etc. Mais c’est un terme qui, sous l’impulsion notamment de la philosophie bouddhiste, est de plus en plus utilisé, en général avec une connotation critique : l’ego c’est l’ennemi, le trop de « moi, moi, moi »…

Mais la plupart d’entre nous avons besoin d’un ego : l’ego, c’est aussi ce sentiment de la conscience et de l’unité de soi, le sentiment de la continuité de notre personne, le sentiment que même si nous changeons régulièrement, depuis notre enfance jusqu’à notre mort, nous restons aussi, d’une certaine façon les mêmes. Les occidentaux que nous sommes ont besoin de croire à l’ego et sont au départ perplexes face à l’idée d’inexistence du soi.

Je me souviens à ce propos d’une anecdote racontée par un de mes professeurs de lycée, en histoire ou en philosophie. Alors que les armées d’Alexandre le Grand avaient poussé jusqu’à l’Indus, un de ses officiers écoutait un brahmane lui expliquer que la personne, l’ego, n’existait pas, n’était qu’une illusion, que nous n’étions plus aujourd’hui le même humain qu’hier, que nous ne serions pas le même demain, comme l’eau d’un fleuve, qui s’écoule en permanence : jamais la même eau, en fait. L’officier, peut-être perplexe et agacé de mal comprendre, ou peut-être plus malin qu’il n’en avait l’air, lui colle alors une grande claque. Le brahmane furieux lui demande pourquoi il a fait ça, et le soldat lui répond : « Ce n’est pas moi qui t'ai frappé, c’est celui que j’étais tout à l’heure, il y a un instant… »

Bref, nous sommes attachés à la notion d’ego, peut-être à juste titre.

Mais un peu trop, parfois.

J’étais récemment à New-York, où j’en ai eu une overdose, d’egos : là-bas, les milliardaires donnent leur nom aux gratte-ciels (TrumpTower, Rockfeller Center, etc.) ou aux salles de musée. Et les non-milliardaires ne sont pas en reste : ils sponsorisent par exemple des bancs dans Central Park en échange d’une petite plaque qui porte leur nom (voir photo). Ça a commencé apparemment en 1986, sous forme d’un programme « Adopt a bench » (adoptez un banc), et ça coûte 7.500 $ la plaque.

Certes, l’argent sert à l’entretien du parc et à la protection de sa faune. Mais au début, ça m’agaçait un peu tout de même. Je me disais : « si tout le monde se met à avoir un ego aussi gros que celui des milliardaires, nous voilà mal partis… »

Puis j’ai fait le tour de quelques dizaines de bancs. Et je me suis trouvé plutôt ému.

Beaucoup rendaient hommage à une personne disparue qui aimait bien s’asseoir là. Ou à des amoureux qui s’étaient embrassés sur ce banc pour la première fois. Ou se réjouissaient de la beauté du parc. Des trucs comme ça, finalement assez humains, touchants et émouvants. Finalement, pourquoi juger ce désir de laisser une petite trace ? Si, devenu vieux, j’avais un banc préféré, sur lequel je me serais assis chaque jour, est-ce que je ne serai pas heureux d’imaginer qu’une petite plaque ferait penser à moi quelques années après ma mort ?

Bon, d’un autre côté, c’est vrai que si sur le moindre banc, le moindre réverbère, le moindre feu rouge, la moindre boîte à lettres, chacun laisse une signature, cet envahissement d’egos, vivants ou morts, deviendrait asphyxiant et absurde.

Du coup, je n’arrive plus à avoir d’avis net.

Ma conviction est, en accord avec les enseignements du bouddhisme, que l’attachement à l’ego pose beaucoup de problèmes et s’avère la cause de nombreuses souffrances (liées à notre susceptibilité et notre possessivité notamment).

Mais certaines de ses expressions continuent de me toucher et de m’émouvoir parce que je suis un occidental.

Je sens que je vais continuer longtemps à balancer comme ça, entre deux mondes…

PS : apparemment, la démarche « Adoptez un banc » s’étend : c’est maintenant possible de le faire à Paris, et sans doute dans bien d’autres villes et lieux.

Illustration : un banc dans Central Park, à New York, en décembre 2012.