jeudi 23 mai 2019

La main dans le sac et le nez sur le portable




C’est une petite leçon de vie qui m’est arrivée il y a quelques temps, alors que je sortais d’une émission sur France Inter, un mardi matin. J’étais en train de marcher sur le parvis de la Maison de la Radio, et de me diriger vers mon scooter pour me rendre à Sainte-Anne.

Tout en marchant, je rallume mon portable et regarde mes messages. Ce n’est pas une bonne idée. Je ferais mieux de ne faire que marcher, respirer, regarder le ciel et le mouvement de la vie autour de moi, laisser reposer l’excitation de l’émission, etc. 

Mais bien sûr, ce jour-là, je me convainc que j’ai de bonnes raisons de le faire : voir si mon premier RV à l’hôpital ne s’est pas annulé, si j’ai reçu des réponses à quelques appels urgents, et autres justifications habituelles. Mais mon ange gardien veille sur moi et à décidé de m’adresser un rappel à l’ordre souriant.

Comme je marche penché sur mon portable, mais en relevant la tête de temps en temps pour ne heurter personne, je vois une dame, qui me regarde venir de loin, en rigolant et en me regardant bien droit dans les yeux. En me croisant, elle m’interpelle : « Alors monsieur André ! Ce n’est pas bien de faire ça ! » Elle est morte de rire... 

Je ne la connais pas mais je comprends que c’est une de mes lectrices. Elle m’a reconnu, et elle doit connaître aussi mes recommandations, généreusement dispensées dans mes livres, conférences et interventions dans les médias : « le téléphone portable est un engin merveilleux et diabolique, dont nous devons faire un usage contrôlé et modéré » ; « notre cerveau n’est pas conçu pour faire deux choses en même temps, on marche ou on regarde ses messages », etc.

En général, j’applique ces recommandations. Par souci de cohérence, et aussi parce que je me sens mieux en vivant ainsi. Mais de temps en temps, ma vigilance se relâche, comme ce matin, où je suis pris la main dans le sac !

La dame rit, et je rigole moi aussi. Je sens une petite envie réflexe de me justifier, d’expliquer que c’est exceptionnel, que je ne le fais jamais, que d’habitude… Mais non, je bloque mes mots juste avant qu’il ne sortent de ma bouche. Inutile, mieux vaut accepter la leçon de bon cœur. Je reconnais que j’ai tort, et je lui dis juste : « Je sais ! Merci, vous avez raison ! » 

Et je range mon téléphone dans ma besace. Tout ça pourra attendre. Le ciel est bleu, le soleil d’hiver brille de son mieux, la dame m’a fait sourire. Je ne me suis pas senti mal à l’aise avec sa remarque, juste gentiment rappelé à l’ordre. Elle a raison : durant ces quelques minutes de transition entre deux activités, je ferais mieux de simplement marcher, respirer, savourer, laisser tout ce que j’ai vécu durant l’émission se déposer doucement en moi, nourrir mon cœur et mon esprit.

Je continue vers mon scooter, avec un sentiment de gratitude pour cette lectrice anonyme, qui m’a gentiment poussé vers un peu plus d’intelligence et de cohérence. J’aime qu’on m’aide à progresser…

Illustration : scène de rue...

PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en février 2019.

mercredi 15 mai 2019

Sexe et bonheur



Vous connaissez le test de Rorschach ? Vous savez, on vous montre des feuilles avec des taches de formes variées mais ne représentant rien de précis, et on vous demande à chaque fois ce que ça vous inspire. 

Bon, alors justement, c’est l’histoire d’un psy qui fait passer un test de Rorschach à un de ses patients. À la première planche, le patient lui dit : « Ah ! Là, je vois une femme avec des gros seins ». À la seconde : « Ah ! Là, je vois un sexe en érection ». À la troisième : « C’est un homme et une femme en train de s’accoupler sauvagement ». À la quatrième : « Évident, c’est un clitoris de profil ».

Le psy n’en peut plus, range ses planches et lui dit : « Cher Monsieur, inutile de continuer ; le diagnostic est clair : vous êtes obsédé sexuel. » Et le patient, furieux, de répondre : « Moi, obsédé sexuel ? C’est vous qui avez un problème avec le sexe ! Vous n’arrêtez pas de me montrer des images pornographiques depuis tout à l’heure ! »

Sincèrement, parler de sexe ça n'est pas mon truc ! C’est peut-être une question d’âge ? Il ne faut pas oublier que je fais partie des personnes qui ont grandi dans une société où parler de ça, ça ne se faisait pas ; d’une génération qui a accompli une grande part de son éducation sentimentale et sexuelle au son des slows, ces morceaux de musique sentimentaux et langoureux qui permettaient de danser étroitement collés l’un à l’autre. Ça n’existe plus ces trucs là, non ? Quel dommage ! C’était fou, les slows, ça faisait quand même bien bouger les cœurs et tout le reste. 

Bref, le sexe, m’en occuper : oui, en parler : non. Je vais plutôt vous parler de bonheur, tiens, ou même de sexe et de bonheur. Voilà : que peut-on dire des rapports entre sexe et bonheur ?

D’abord, que certaines personnes n’ont pas besoin de sexe pour être heureuses, voire très heureuses : on en rencontre beaucoup par exemple dans les communautés religieuses, mais pas seulement. Que cela soit chez elles du refoulement, du renoncement, de la sublimation, ou tout simplement la priorité donnée à d’autres bonheurs qu’elles jugent plus importants, comme ceux de l’engagement social, artistique, religieux, elles peuvent être heureuses sans vie sexuelle. 

Puis, que ces rapports entre sexe et bonheur relèvent de multiples mécanismes. 

Bien sûr, le sexe offre du plaisir, un plaisir inné et nécessaire, que nous sommes biologiquement programmés pour ressentir, car il est indispensable à la survie de notre espèce. Si le sexe ne nous faisait pas plaisir, notre espèce disparaîtrait vite ! Pourquoi, en effet, se fatiguer à chercher un ou une partenaire ? Pourquoi faire des efforts pour le ou la convaincre de faire crac-crac ? Pourquoi se dépenser physiquement pendant l’accouplement, en gigotant dans tous les sens ? Quel intérêt à cette débauche d’énergie, s’il n’y a pas la récompense du plaisir ? Mieux vaut rester tranquille dans son coin, à regarder passer les nuages…

Mais comme tous les plaisirs, le sexe ne suffit pas à nous rendre heureux, il faut pour cela qu’il ait du sens. Du sens parce que nous avons avec notre partenaire d’autres liens que ceux du seul sexe ; du sens parce que nous savons savourer notre plaisir et en être ému, nous abandonner et ainsi amplifier ce plaisir animal et le voir se transformer en un sentiment de plénitude qui nous échappe et nous dépasse.

Un autre mécanisme important reliant sexe et bonheur est que l’activité sexuelle nous absorbe et mobilise en général toute notre attention. Dans une très intéressante et importante étude sur les liens entre attention et bien-être, une équipe de chercheurs avait montré que la sexualité était la seule activité humaine durant laquelle la plupart des personnes restaient totalement concentrées (au lieu de penser à autre chose ou de regarder l’écran de leur portable). Et que plus notre attention est stable, plus nous avons de chance de nous sentir heureux. C’est pourquoi, le sexe nous offre beaucoup plus de bonheur que nos smartphones. Je suppose que vous l’aviez remarqué. Mais avez-vous calculé votre ratio hebdomadaire entre temps de sexe et temps d’écran ? Allez, au boulot !

Au fait, et vous, vous parlez facilement de sexe avec vos proches ?


Illustration : Tristan et Iseut (Edmund Blair Leighton, 1902).

PS : ce texte reprend ma chronique du 23 avril 2019 sur France Inter dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi. 


jeudi 2 mai 2019

Ne vous laissez plus emmerder !




Il y a quelques années, nous avions écrit avec mon copain Muzo, dessinateur, un petit livre illustré sur les casse-pieds, leur psychologie et leurs comportements. Nous avions trouvé le titre parfait : « Ne vous laissez plus emmerder ! ». Hélas, notre éditeur de l’époque l’a refusé, le trouvant trop osé. Comme nous sommes de bons petits auteurs bien élevés, nous n’avions pas insisté ; dommage…

Mais avant de parler aujourd’hui des emmerdeurs, j’aimerais bien parler des bienveilleurs : vous savez, toutes les personnes bienveillantes, polies, respectueuses des règles : les propriétaires de chiens qui ramassent leurs crottes ou leur font faire dans le caniveau, les personnes qui tiennent la porte derrière elles, les automobilistes qui freinent pour laisser traverser en souriant les piétons dans les clous, les voyageurs qui passent leurs coup de téléphone depuis les plateformes des trains… Bref les humains sympas qui font tout pour ne pas casser les pieds aux autres, voire même pensent à les aider !

Ils sont majoritaires, heureusement. C’est grâce à eux que nos sociétés, que tous les groupes humains sont vivables et agréables. Mais on ne les repère pas, ils œuvrent  dans le silence et n’attirent pas notre attention. Comme dit le proverbe, « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». Et nous sommes plus choqués par un seul comportement incivique que par 10 attitudes de discret respect d’autrui. Ouvrons donc un peu mieux les yeux.

Bon, pour autant, les sagouins, et les comportements crétins, ça existe bel et bien. Les personnes qui mettent leur sono à fond sur la plage, les fumeurs qui cancérisent les poumons des non-fumeurs sur les terrasses de café au printemps, les conducteurs qui grillent la priorité ou ceux qui garent leur grosse voiture en double file devant la boulangerie… Ou pire encore, les agressifs, les irascibles qui vocifèrent et insultent quand on se trouve en travers de leur chemin, et si on rouspète. Alors, là on fait quoi ? On répond quoi par exemple à quelqu’un qui vient de nous crier : « Ta gueule ! » ?

Je l’avoue, je ne suis pas très doué pour rectifier les incivilités sur le vif, comme ça, dans la rue, sur les trottoirs, dans le train… J’ai toujours un peu tendance à laisser faire, à me dire que ce n’est pas très grave, que chacun est libre, et sera jugé tôt ou tard pour tout ça, ici-bas ou dans l’au-delà. Mais je sais que j’ai tort, et aussi que ma tolérance, c’est plutôt de la paresse.

Et je sais aussi que tout groupe humain a besoin de s’auto-réguler. Quand un de ses membres casse les pieds des autres ou enfreint une règle importante de savoir-vivre, il est logique qu’il soit remis en place, sans agressivité mais avec fermeté. Et il est important que tout le monde le fasse.

Les chrétiens ont pour cette démarche une belle expression : ils parlent de « correction fraternelle », pour désigner l’attitude que l’on doit avoir envers un de ses semblables qui vient à pécher. L’idéal de correction fraternelle laïque me plait beaucoup : aller tranquillement vers ceux qui transgressent en leur demandant de cesser. Sans les agresser : après tout, ça peut arriver à chacun d’être casse-pieds, ou de commettre une incivilité. Mais sans laisser passer : car si nous procédions tous, régulièrement, à de telles corrections fraternelles, nos quotidiens changeraient peut-être en bien. 

Et vous, vous faites quoi quand vous voyez quelqu’un doubler tout le monde dans la file d’attente de votre boulangerie après avoir garé son 4x4 en double file ?


Illustration : un poney mal garé dans la rue, merde alors ! (photo PRA)

PS : ce texte reprend ma chronique du 9 avril 2019 sur France Inter dans l'émission Grand Bien Vous Fasse, d'Ali Rebeihi.