jeudi 28 novembre 2019

Science et santé



« Désolé, docteur, mais je ne suis pas très motivé(e) pour prendre des corticoïdes (ou des antidépresseurs, ou des antibiotiques) ni pour me faire vacciner… ». Autrefois, les médecins rédigeaient des ordonnances (eh oui, c’est la même racine étymologique que donner des ordres), et les patients leur obéissaient. 

C’est de moins en moins le cas aujourd’hui.  

Cela agace certains soignants, qui s’insurgent parfois contre ces nouvelles générations de « consommateurs de soins ». 

Cela en réjouit d’autres, dont je suis, qui estiment que, même si ça nous complique un peu la vie (nous avons parfois vraiment besoin de prendre des corticoïdes, des antidépresseurs, des antibiotiques ou de nous faire vacciner) mieux vaut des patients informés et motivés que des patients passifs, non impliqués et simplement obéissants. La santé ne doit plus être seulement l’affaire des soignants, mais aussi celle des patients. Tout comme la démocratie ne doit plus être seulement l’affaire des politiques, mais aussi celle des citoyens.

Les patients ne sont pas devenus des « consommateurs de soins » seulement à cause de l’influence des médias, et des fake news du Web à propos de la santé. Un certain nombre de causes entremêlées ont transformé peu à peu leurs raisonnements et leurs comportements à propos de leur santé. J’en ai recensé au moins six…

Premièrement : la santé est devenue un sujet de plus en plus important à nos yeux. On s’en remettait autrefois à la fatalité ; ce n’est plus le cas. De plus en plus de personnes sont convaincues qu’elles peuvent faire quelque chose pour améliorer leur santé, et donc leur longévité et leur qualité de vie. Et elles ont raison : ce que nous faisons, mangeons, ressentons, ce que nous disons et nous répétons, tout cela joue un rôle et influence notre santé.

Deuxièmement : même si une forte tendance à déléguer existe dans nos sociétés, du moins quand on en a les moyens (payer une femme de ménage, une baby-sitter, un coach scolaire, un jardinier…), ce n’est pas le cas pour notre santé : nul ne peut s’en occuper à notre place ! La pratique de « comportements de santé » auto-produits (marcher, méditer, cuisiner…) va donc prendre une place croissante dans nos vies (et tant mieux si cela prend la place du temps passé devant les écrans !).

Troisièmement : les conceptions longtemps défendues par la médecine occidentale contemporaine (attendre que la maladie survienne et s’en occuper alors très vigoureusement) sont aujourd’hui considérées comme insuffisantes. Prévenir vaut mieux que guérir. Et en tout cas, il faut savoir prévenir ET guérir. La prévention, c’est plus souvent le rôle des patients, la guérison plus souvent celui des médecins.

Quatrièmement : de nombreuses, et très fréquentes, pathologies chroniques (hypertension artérielle, diabète de type II, maladies auto-immunes, etc.) sont sensibles aux modifications favorables de mode de vie (exercice physique, alimentation équilibrée, diminution du stress), qui dans de nombreux cas permettraient d’éviter le recours aux médicaments. 

Cinquièmement : nous disposons aujourd’hui d’une meilleure connaissance des limites des médicaments : les antidépresseurs ne guérissent que deux tiers des patients, et hélas de nombreux effets secondaires existent à peu près pour toutes les molécules ; certains de ces effets indésirables sont parfois supérieurs aux bénéfices attendus. D’où une plus grande prudence dans les prescriptions médicales, et une plus grande attention prêtée aux solutions « naturelles », pour remplacer les médicaments ou pour en prendre moins.

Sixièmement : des études scientifiques en nombre croissant sont justement en train de valider l’intérêt de formes de soins jadis considérées comme folkloriques ou peu efficaces. La méditation, le rôle de l’alimentation, la marche, le contact avec la nature, la phytothérapie, les émotions, le lien social : tous ces domaines sont l’objet de recherches convaincantes, montrant qu’il s’agit de démarches très bénéfiques pour notre santé, notre immunité, etc. 

Ce dernier point est décisif, légitimement. Il est celui qui fait peu à peu basculer les médecins et les soignants du côté du recours à ce qu’ils nomment désormais médecines complémentaires. Non pas « alternatives », car il ne s’agit pas de renoncer à la médecine occidentale moderne, qui garde tout son intérêt dans la plupart des pathologies aigues ou menaçantes, mais « complémentaires » : s’ajoutant à ce qui existe en matière de soins officiellement recommandés.

Cette validation scientifique reste importante. Car il y a tout de même, dans le champ des médecines traditionnelles et alternatives, nombre de zones d’ombre, et de démarches inefficaces ou ne reposant sur aucune donnée sérieuse. Ce n’est pas forcément une raison pour les interdire (les preuves viendront peut-être un jour) mais c’en est une pour prévenir les patients, par une mention telle que : « à ce jour, aucune étude scientifique rigoureuse n’a montré l’efficacité de ce produit / cette méthode ». À chacun(e) ensuite de faire son choix ! 

Dans cette optique, il est important que le monde de la science ne soit pas rejetant, mais accueillant, et plutôt dans la démarche que je nomme « scepticisme bienveillant » : ne rien rejeter a priori, mais ne rien gober sans données… Ne pas forcément exiger des preuves irréfutables, mais demander au moins un faisceau d’indices encourageants. Comme ceux qui existaient au tout début en faveur de la méditation, et qui peu à peu se sont considérablement enrichis, jusqu’à la reconnaissance officielle dont elle bénéficie aujourd’hui.

Les pratiques de santé de demain s’appuieront forcément sur des évaluations scientifiques. Mais elles relèveront, tout aussi forcément, d’une démarche écologique. Elles s’appuieront sur les ressources de l’esprit et du corps : les pouvoirs d’auto-guérison et d’autoréparation. Elles s’appuieront aussi sur les ressources de la nature : mieux utiliser les plantes, notamment pour les soins du quotidien. Elles s’appuieront enfin sur les aptitudes léguées par l’évolution de notre espèce au travers des millénaires : nous sommes équipés pour jeûner, marcher, aimer ; et nous livrer à ces activités fait du bien à toute notre personne, corps et esprit. 

Tradition et intuition nous le chuchotaient, la science nous le confirme. Qu’attendons-nous de plus ?


Illustration : il n'est pas sûr que nos lointains ancêtres aient bénéficié d'une meilleure santé que nous, la médecine préhistorique n'était pas ultra-performante. Mais leur style de vie (exercice physique, peu de viande, pas de sucres, lien permanent avec la nature...) était sans doute plus sain que le nôtre.

PS : cet article a été publié dans la revue (disparue, hélas) Sens & Santé, en été 2018.