lundi 29 avril 2019

Sourires à la gare de Genève



Je ne sais pas si le rire peut sauver le monde, comme on le dit parfois de la beauté. Mais je suis sûr que le sourire peut changer bien des choses.

Récemment, j’étais invité en Suisse pour faire un exposé à la très ancienne et vénérable Société de Lecture de Genève. Une journaliste m’attendait à la gare, pour réaliser un petit entretien en direct. Afin de mieux m’enregistrer, elle recule tout en me tendant son micro, et fait trébucher un grand monsieur qui passait en hâte derrière elle, et qui n’avait pas prévu sa marche à reculons.

Il est très mécontent, sans doute parce qu’il a été surpris et a vraiment failli tomber. Mais il l’exprime avec retenue, comme le fait un Suisse en colère (le même incident n’aurait peut-être pas donné le même scénario à la gare de Marseille, par exemple). La journaliste sent le ton monter, et elle adopte deux comportements décisifs : elle s’excuse franchement, sans essayer de dire que lui aussi aurait pu regarder devant lui ; puis, le voyant encore contrarié, elle lui tend la main avec un grand sourire, et se présente, en donnant son prénom, en exprimant à nouveau qu’elle est désolée, et en ajoutant « allez, sans rancune ! » Le monsieur a l’air surpris, il hésite une seconde, puis tend la main en rigolant, et s’éloigne… 

Le sourire sincère est un messager puissant : il signifie qu’on respecte son interlocuteur, qu’on lui témoigne de la considération, voire de la bienveillance. Il signifie qu’on désire des rapports humains pacifiés, qu’on souhaite ne pas faire de mal à autrui, et même, si possible, lui faire du bien.

Une littérature scientifique importante existe sur le sujet, et montre qu’il y a au moins deux bonnes raisons de sourire. 

La première, c’est que sourire nous met de meilleure humeur On pense souvent que, quand notre cervelle est joyeuse, elle commande à notre visage de sourire. C’est vrai, mais ça marche aussi dans l’autre sens : quand notre face sourit, elle rend notre cerveau un peu plus joyeux. Des tas d’études ont confirmé que le sourire n’est pas seulement la preuve que nous sommes heureux, mais que l’inverse est vrai aussi : sourire doucement, du moins lorsque nous n’avons pas de raison de pleurer, améliore doucement notre humeur. Car notre corps influence notre cerveau : la manière dont nous respirons, dont nous nous tenons plus ou moins droits exerce une influence sur nos états d’âme, légère, mais qui peut être puissante si elle est constante. Les études qui évaluent le poids de cet impact à long terme aboutissent toutes au même résultat : sourire souvent est favorable au bonheur et à la santé. Un moyen simple et écologique de faire du bien aux autres mais aussi de s’en faire à soi ! 

La deuxième raison de sourire, c’est que cela attire des bonnes choses dans notre vie : on vient davantage vers nous, on nous accorde davantage d’aide et d’attention, on nous sourit en retour. C’est injuste pour les personnes tristes ou boudeuses, qui auraient justement encore plus besoin d’attention et d’affection. Mais c’est ainsi. Je me promène souvent avec un petit sourire sur les lèvres, et j’observe que beaucoup de gens me sourient aussi, voire me disent bonjour (certains croient sans doute que nous nous connaissons, mais beaucoup à mon avis se sentent davantage reliés à moi simplement parce que je leur souris).

Et puis, il y a une troisième raison, pas encore démontrée par la science, mais ce n’est pas grave : faire la tête rend le monde un peu plus moche, et sourire rend le monde un peu plus beau. Rien qu’un peu. Mais un peu quand même. Alors, c’est parti pour une journée sourire ?


Illustration : un visage souriant malgré un peu d'adversité... (temple Wat Mahathat en Thaïlande) 

PS : ce billet a été initialement publié dans la revue Kaizen au printemps 2019.