vendredi 14 avril 2017

Fourberie



C’est un vieux souvenir d’enfance, qui doit remonter à mes 5 ou 6 ans. C’était un dimanche, chez des cousins de mon père, sans doute en Bretagne. Nous y étions allés avec la vieille 4CV Renault qu’il venait d’acheter, et dont il était très fier. Une fois le long déjeuner achevé, les adultes étaient restés prendre le café et bavarder, et le fils de la maison et moi étions sortis. Ce devait être un très lointain cousin, mais je ne l’avais jamais vu.

Alors que nous étions en train de tourner dans le jardin et qu’il me faisait visiter son territoire, il eut tout à coup une idée de belle bêtise à faire : monter sur le toit de la voiture de mon père. J’hésitais un peu, mais comme il insistait et que ça m’amusait moi aussi, en 5 mn nous étions debout, en train d’imaginer que la voiture était un tank que nous pilotions dans la guerre, ou un gros éléphant, qui avançait sous nos ordres, et des histoires de ce genre, des histoires de petits garçons.

Tout à coup, Benoît – je me souviens encore de son nom – eut une autre idée de jeu : « Ne bouge pas », me dit-il, « je vais chercher des drapeaux, on va faire comme un défilé du 14 juillet ». Il refusa que je l’accompagne, prétextant qu’il fallait s’occuper de l’éléphant, sinon il s’échapperait. Bien qu’un peu inquiet à l’idée de rester tout seul sur le toit, je lui fis confiance

Mais au bout d’un moment, tout de même, je commençais à douter : cette histoire de drapeaux me semblait bizarre. Et pourquoi ne revenait-il pas plus vite ? Après tout, nous étions quand même en train de faire quelque chose d’interdit, et dans ces cas-là, il était préférable de ne pas trop traîner sur les lieux du délit. Et puis je commençais à me sentir mal à l’aise, tout seul sur le toit de la voiture. Je me dépêchais donc de descendre. Juste à temps !

Benoît revenait, sans les drapeaux, mais avec mon père : ce fourbe m’avait piégé puis était allé me dénoncer. Le paternel n’avait pas l’air content du tout à l’idée que je fasse le guignol sur le toit de sa nouvelle voiture, mais comme j’étais redescendu, j’arrivais à nier plus facilement que si j’avais été pris en flagrant délit. Je m’en tirai avec une bonne remontée de bretelles, un moindre mal.

Bizarrement je ne me souviens plus du tout de la suite : si je suis allé faire des reproches à Benoît le traître, si mes parents sont revenus ensuite sur l’incident. Aucun souvenir. Sinon le sentiment d’avoir reçu une vaccination précoce et précieuse : c’était la première fois que j’étais victime d’un acte de fourberie délibérée et totalement gratuite. Je savais désormais que ça existait, des humains apparemment gentils mais qui pouvaient prendre un plaisir étrange à faire du mal aux autres.

Bizarrement, ça ne m’a pas rendu méfiant envers le genre humain : depuis toujours, je fais volontiers confiance aux gens, même quand je ne les connais pas. C’est tellement mieux !

Par contre, depuis cette époque, mon petit radar à détecter les fourbes et les tordus est correctement réglé. Et je les détecte assez tôt, même s’ils avancent cachés derrière le masque de l’amitié, l’autorité ou de la fragilité…

Et vous, ça vous est arrivé d’avoir eu affaire à des fourbes, des traîtres ou des manipulateurs quand vous étiez petit ?


Illustration : Aie confiansssssssse...

PS : ce texte reprend ma chronique du 7 mars 2017, dans l'émission de mon ami Ali Rebehi, "Grand bien vous fasse", tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.