mardi 3 novembre 2015

Dormir au premier rang



Lorsqu'on donne une conférence, on est bien sûr très centré sur ce qu'on veut dire. Mais on observe aussi en permanence le public, afin de sentir quel rythme prendre, s'il faut accélérer ou ralentir, expliquer ou faire rire, si les messages passent ou si ça coince...

Et en observant les spectateurs, on voit, du moins dans les premiers rangs, toutes sortes de visages.

Certains souriants et bienveillants, qui font du bien à l'orateur. D'autres sérieux ou même renfrognés ; au début, ça m'inquiétait un peu, mais avec le temps j'ai appris deux choses : que souvent les personnes renfrognées sont juste concentrées, et que ce n'est pas forcément de la désapprobation qui s'exprime sur leur visage ; j'ai aussi appris que ce n'était pas grave, quelques visages renfrognés, du moment que ce n'était pas toute une salle qui faisait la tête (ça, ça doit être plus difficile à affronter !).

Mais ce qui me fascine le plus, ce sont les gens qui dorment en pleine conférence, qui prennent la peine de se mettre au premier rang, bien sous le nez de l'orateur, et qui, au bout de 5 mn, s’endorment à poings fermés… Là encore, au début, en tant que conférencier, je trouvais ça un peu dévalorisant et déstabilisant. Et surtout pas très sympa : pourquoi n'allaient-ils pas piquer leur roupillon quelques rangs plus loin, bien dans l'obscurité ? ou pourquoi ne restaient-ils pas chez eux à se reposer tranquillement ?

Mais en fait, avec le temps, j'ai changé mon regard sur eux : peut-être s'installent-ils là dans l’espoir que ça les tiendra mieux éveillés que s’ils sont dans la discrétion confortable des places au fond et dans le noir ? Je me dis aussi maintenant que je n'ai pas à me concentrer sur eux mais plutôt tous ceux qui veillent, qui m'écoutent les yeux grands ouverts, en général bien plus nombreux. J'arrive même à me convaincre, quand je suis de très bonne humeur, que tous ces éveillé(e)s sont peut-être des dormeurs en puissance, épuisés, mais que mon topo aide à garder les yeux et l'esprit ouverts, malgré leur fatigue...

Mais tout de même, pour les autres, de temps en temps, une petite envie me passe par la tête. Je n'ai pas encore osé, mais un jour je le ferai, j'oserai réveiller un dormeur du premier rang : « oh oh ! chère madame, cher monsieur, réveillez-vous ! coucou, je suis là ! oui, vous là, c'est ça ! je me permets de vous éveiller, car je suppose que si vous vous êtes installé(e) au premier rang, c’est pour mieux écouter et pour ne pas vous endormir. Je voulais juste vous aider à ne pas manquer ce passage très important de la conférence... ».

Tiens, la prochaine fois, avis à celles et ceux qui viendront m'écouter : je me lance à la pêche joyeuse aux dormeurs et aux dormeuses !