vendredi 11 septembre 2015

En avion



Je suis en train d’embarquer à l’aéroport d’Orly, pour me rendre à une retraite méditative dans le sud-ouest.

Au contrôle des bagages, alors que nous déballons nos affaires sur le tapis roulant, un homme derrière moi sort fébrilement deux mignonettes d’alcool, les avale d’un trait et les jette dans la poubelle à liquides. Il s’aperçoit que je l’ai vu. Après le passage des vigiles, embarrassé pour lui, j’essaye d’engager la conversation sur autre chose pendant que nous remettons nos chaussures. Mais il se dérobe, trop gêné.

Le vol est sans histoires. Mais la descente et l’atterrissage sont un peu secoués, à cause du vent. Très secoués même, ça cogne et ça tangue, il y a quelques cris de passagers.

Dans ces cas-là, et à cet instant précis, je sens la peur monter en moi, animale, émanant de mon corps, qui me dit : « Dis-donc, vieux, dans quel pétrin es-tu allé nous mettre ? Pas normale, cette situation, 200 personnes entassées dans un cercueil en métal blindé, dont il est impossible de sortir tout seul, et qui fonce dans les airs, conduit par un homme invisible, dont on n’a jamais vu le visage, jamais pu sentir qui il était vraiment, et à qui nous confions nos vies ! Ne me dis pas que c'est normal ! »

Mon corps a peur, je m’efforce de le calmer. Je lui dis que nous sommes dans la main de Dieu, rien d’autre à faire que respirer, sourire, repenser aux belles choses de la journée et de la vie.

Et voilà, nous sommes posés, stabilisés, en train de ralentir.

La voix de l’hôtesse résonne : « Mesdames et messieurs, nous venons d’atterrir à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Merci de bien vouloir rester attachés jusqu’à l’arrivée à notre point de stationnement. » Elle continue mais je n’écoute plus que sa voix, grave, presque solennelle, qui contraste avec le ton standardisé avec lequel on délivre habituellement ce message.

Du coup – je plane encore dans ma tête - je me dis que c’est exactement le ton avec lequel elle aurait pu nous annoncer : « Mesdames et messieurs, nous venons de nous écraser à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Bienvenue dans l’au-delà. » Et je me demande ce que nous trouverions alors à la descente de l’avion…

Tout le monde se lève. Je cherche des yeux le monsieur qui buvait avant d’embarquer : il est là-bas, debout dans le couloir, pressé de sortir, et tape déjà fébrilement sur son téléphone mobile pour quitter encore plus vite ce maudit avion, au moins par la pensée.

Quel intéressant voyage ! Je vu le ciel de près, et le dessus des nuages. J’ai vu la souffrance et ses mauvais remèdes. J’ai eu peur, j’ai rêvé. Je suis toujours en vie. Et je vais bientôt savourer la paix d’une retraite méditative. A cet instant, je suis comblé…

Illustration : prêts pour le décollage ?

PS : cet article a été publié dans Psychologies en juillet 2015.