Ça
se passe dans le TGV, un jour gris de décembre, où tout est noyé dans le
brouillard. Paysages incertains, magnifiques et mélancoliques. Nous sommes
presque arrivés ; déjà, les plus pressés des voyageurs commencent à ranger
leurs affaires, certains se lèvent pour être les premiers à descendre.
Mais le train ralentit fortement et s’immobilise. Le contrôleur fait une annonce nous demandant de ne pas chercher à descendre. L’ambiance change, le bourdonnement des moteurs et de la vitesse laisse place à un silence inhabituel dans les wagons.
Mais le train ralentit fortement et s’immobilise. Le contrôleur fait une annonce nous demandant de ne pas chercher à descendre. L’ambiance change, le bourdonnement des moteurs et de la vitesse laisse place à un silence inhabituel dans les wagons.
Au
bout de quelques minutes, la voix du contrôleur, à nouveau :
« Mesdames et messieurs, notre train est arrêté en pleine voie, en raison
d’un accident de personne. Nous
devons patienter. Je vous tiendrai au courant régulièrement. Merci de votre
attention. Et de votre compassion. »
« Merci
de votre compassion » ! C’est la première fois que j’entends
ça ! C’est magnifique. Avant que nous ne commencions à nous agacer à cause
du retard prévisible, il nous rappelle qu’il
y a plus grave qu’être en retard : perdre la vie. Il nous rappelle qu’un
être humain a tant souffert qu’il en est arrivé au désespoir, et que ce
désespoir l’a poussé à vouloir se suicider en se jetant sous un TGV. À cet
instant, il est mort. Et nous, encore vivants. C’est sûr qu’il aurait pu aller
se suicider ailleurs, pour ne déranger personne…
Mais le contrôleur a eu l’intelligence et l’humanité de nous parler de compassion, pour éviter à nos esprits de partir dans ce genre de pensées. Il nous a aidés à ne pas juger, à ne pas réagir à partir de nos petites urgences et de nos petits égos, mais à réfléchir à la portée de ce qui se passait : un humain a tellement souffert qu’il s’est donné la mort.
Mais le contrôleur a eu l’intelligence et l’humanité de nous parler de compassion, pour éviter à nos esprits de partir dans ce genre de pensées. Il nous a aidés à ne pas juger, à ne pas réagir à partir de nos petites urgences et de nos petits égos, mais à réfléchir à la portée de ce qui se passait : un humain a tellement souffert qu’il s’est donné la mort.
Tout
le monde s’est rassis dans le wagon. Il y a eu un peu de silence au début,
juste après l’annonce, puis chacun a repris ses activités ou ses conversations.
Tout est redevenu normal chez les vivants.
Je regarde à nouveau
le brouillard par la fenêtre. Je pense à la chanson de Jacques Brel, Le Plat pays : « Avec un ciel si bas qu'un canal
s'est perdu, Avec un ciel si bas qu'il fait l'humilité, Avec un ciel si
gris qu'un canal s'est pendu, Avec un ciel si gris qu'il faut lui
pardonner… »
Puis je me demande combien de temps nous allons attendre, car moi aussi, je vais être en retard, on m’attend pour une conférence. J’ai honte d’avoir ces pensés dans la tête. Mais notre cerveau fonctionne comme ça, il nous sert tout sur un plateau : d’un côté, la tristesse et la compassion ; de l’autre, la conscience que, comme nous sommes en vie, nous devons continuer d’agir et d’anticiper.
Puis je me demande combien de temps nous allons attendre, car moi aussi, je vais être en retard, on m’attend pour une conférence. J’ai honte d’avoir ces pensés dans la tête. Mais notre cerveau fonctionne comme ça, il nous sert tout sur un plateau : d’un côté, la tristesse et la compassion ; de l’autre, la conscience que, comme nous sommes en vie, nous devons continuer d’agir et d’anticiper.
Je respire, et
j’espère de tout cœur qu’il y a un Paradis des malheureux, là-haut, pour
accueillir la personne inconnue de nous tous qui s’est donné la mort.
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en février 2018.
Illustration : Dans le métro de New York (Devin Yalkin).
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en février 2018.